Réseaux sociaux : Snapchat ferme le français Zenly après avoir refusé de le vendre, les 70 salariés sous le choc

Dans le cadre d'un plan social massif concernant 20% de ses effectifs, soit près de 1.300 personnes, le réseau social américain Snap sacrifie sa filiale française Zenly, le réseau social de la géolocalisation qu'il avait racheté en 2017 pour 300 millions de dollars. Ses près de 70 salariés, tous basés en France, sont licenciés et l'app va être supprimée des magasins applicatifs d'ici à quelques semaines, malgré une belle croissance et 40 millions d'utilisateurs actifs par mois. Les salariés en colère dénoncent un « immense gâchis ». La Tribune révèle également que Snap aurait refusé ces derniers mois de laisser partir Zenly : la startup française avait trouvé des investisseurs internationaux prêts à la racheter mais l'Américain préfère s'asseoir sur potentiellement plusieurs centaines de millions de dollars plutôt que de laisser Zenly devenir un concurrent.
Sylvain Rolland
Le logo de Zenly, le réseau social français de la géolocalisation entre amis.
Le logo de Zenly, le réseau social français de la géolocalisation entre amis. (Crédits : Zenly)

Destin tragique pour Zenly. Le réseau social français de la géolocalisation entre amis, qui cartonnait ces derniers mois, est l'une des victimes collatérales de l'énorme plan social engagé par sa maison-mère, Snap, éditeur du géant des réseaux sociaux Snapchat. Suite à de mauvais résultats trimestriels liés à la réduction généralisée des dépenses publicitaires des annonceurs, Snap a perdu près de 40% de sa valeur en Bourse en un mois. Pour tenter de rebondir, l'Américain avait prévenu qu'il devrait réduire ses dépenses, mais personne ne s'attendait à pareille purge : mercredi 31 août, l'entreprise a annoncé la suppression de 20% de ses effectifs, sur un total de 6.400 employés, soit le licenciement d'environ 1.300 personnes, essentiellement aux Etats-Unis.

Toutes les activités qui ne sont pas directement liées au produit Snapchat, à sa monétisation ou au développement de la réalité augmentée, sont purement et simplement supprimées ou « interrompues ». Zenly, réseau social français racheté en 2017 à prix d'or pour 300 millions de dollars, mais qui restait indépendant dans la structure Snap et n'était pas monétisé, en fait les frais, tout comme l'application de création musicale Voisey. Les activités Snap Originals (séries exclusives), Minis (intégration d'applications tierces), Games (jeux mobiles) et Pixy (drone miniature), sont quant à elles « interrompues » jusqu'à nouvel ordre.

Colère et déception : « on a vécu un licenciement à l'américaine »

D'après nos informations, la direction de Snap a acté en interne la suppression de Zenly depuis au moins une semaine, quand Snap a annoncé aux équipes françaises la visite à Paris, dans les bureaux du 11è arrondissement de Zenly, de Jeremy Voss. Ce dernier est product manager chez Snap et également en charge de la startup française depuis le départ, en mars dernier, du dernier cofondateur, Antoine Martin. « On craignait que Jeremy vienne nous annoncer des mauvaises nouvelles, mais on était loin de se douter que Snap jetterait carrément toute la boîte à la poubelle. On pensait qu'ils gèleraient les embauches et qu'ils mettraient fin aux périodes d'essai des nouveaux salariés, soit une quinzaine de postes, ce qui nous semblait déjà important », confie un salarié à La Tribune.

Accompagné de la directrice Europe des ressources humaines, Caroline Sarles, et d'un « transition manager » -un responsable chargé d'accompagner une période de changement-, Jeremy Voos a réuni les salariés présents dans l'open space de la startup mercredi 31 août à 15h30 dans une « ambiance glaciale ». Quelques minutes avant, Evan Spiegel, le fondateur et CEO de Snap, avait envoyé un courriel à l'ensemble des salariés de Snap, dans lequel il annonçait que Zenly allait être « wind down », que l'on peut traduire par « réduire progressivement ». Une expression suffisamment explicite pour angoisser les salariés mais pas assez pour en déduire avec certitude la suppression de l'app.

De nombreux salariés sont donc tombés de leur chaise quand ils ont finalement compris que Snap supprimait Zenly, d'autant plus que la startup continuait à recruter et s'apprêtait à accueillir trois nouvelles personnes dès ce lundi 5 septembre, d'après une source interne. « C'était violent. On a vécu un licenciement à l'américaine : du jour au lendemain on vient vous voir et on vous dit "bravo pour tout, on vous adore mais c'est fini maintenant" », raconte, amer, un autre salarié. La manière d'annoncer la nouvelle a également déplu à cet employé présent depuis plusieurs années. « Ils n'arrêtaient pas de tourner autour du pot, c'est énervant car il a fallu attendre la session de questions/réponses, qui a duré une heure, pour qu'on comprenne clairement qu'ils ferment Zenly et qu'ils vont supprimer l'app des magasins applicatifs dans quelques semaines », poursuit-il. La Tribune a pu confirmer l'information selon laquelle Snap a annoncé aux salariés la suppression prochaine de l'app, qui deviendra donc introuvable dans quelques semaines.

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Snap refuse de vendre Zenly par crainte de la concurrence

Chez Zenly, le choc a laissé place à la colère, à la déception et à l'incompréhension. « Cette décision purement économique gâche plus de 10 ans de travail alors qu'on a une super app qui regroupe une communauté très engagée, une technologie unique et brevetée, et qu'on était en pleine croissance », regrette un salarié dépité.

Créé en 2011, Zenly se présente comme le réseau social de la géolocalisation entre amis, ou « cartographie sociale », qui comporte également une messagerie interne. Il suffit de secouer son smartphone avec la main pour envoyer à ses contacts sa localisation exacte. Pratique pour se retrouver dans un lieu vaste ou bondé comme au lycée, dans un bar ou un événement comme un festival. L'app permet aussi d'organiser des rencontres inopinées selon la localisation de ses proches, ou tout simplement de suivre l'activité de ses amis en temps réel, ce qui est très apprécié par la jeune génération. La nouvelle version, lancée avec succès au printemps dernier, permet enfin de créer son « empreinte », c'est-à-dire une carte d'identité numérique selon ses lieux de prédilection, et de la partager.

Dans l'univers bouché des réseaux sociaux, le succès de niche de Zenly chez les jeunes dès son lancement fin 2015 est une rareté. Le concept, qui place la localisation au cœur de l'interaction sociale, est alors nouveau et prometteur. C'est pourquoi Evan Spiegel, le fondateur de Snap, repère vite la startup française et la rachète pour environ 300 millions de dollars en 2017, un montant énorme pour une pépite certes pleine de potentiel mais alors très peu connue.

Cinq ans plus tard, Zenly est passé de 4 millions d'utilisateurs actifs par mois -les chiffres communiqués à l'époque- à 40 millions aujourd'hui, dont 15 millions se connectent tous les jours. Indépendante de Snapchat, qui est très présent aux Etats-Unis et en Europe, Zenly cartonne surtout en Russie et en Asie du Sud-Est. En mars dernier, la pépite tricolore pointait dans le top 10 des applications sociales les plus téléchargées, devant Twitter ou Discord.

D'où le sentiment de gâchis des employés. D'après nos informations, après le départ du dernier cofondateur, Antoine Martin, en mars dernier, Zenly a demandé à sa maison-mère de retrouver son indépendance. Des investisseurs internationaux auraient même été trouvés et auraient été prêts à débourser plusieurs centaines de millions de dollars pour sortir Zenly du giron de Snap et développer l'application. Mais Snap a refusé, par crainte de la concurrence. Interrogée sur ce sujet, l'entreprise américaine n'a pas répondu à nos sollicitations.

Ce mercredi encore, lorsqu'un salarié a demandé à Jeremy Voos pourquoi Snap ne revend pas Zenly plutôt que de fermer l'entreprise, celui-ci a répondu, d'après plusieurs salariés présents consultés par La Tribune, que Snap ne voulait pas que Zenly, qui s'adresse à la même cible que Snapchat -les jeunes- lui fasse de l'ombre. Snap préfère donc s'asseoir sur un pactole de potentiellement plusieurs centaines de millions de dollars, plutôt que laisser Zenly poursuivre seul son chemin.

L'absence de monétisation, la faiblesse de Zenly chez Snap

Alors que le rachat par Snap paraissait en 2017 une énorme opportunité de développement pour Zenly, être un satellite d'un grand groupe est devenu un piège pour la startup française. « Cette décision n'a pas de sens stratégiquement, c'est purement financier. C'est juste la direction financière dans son bureau qui doit trouver des coupes budgétaires, regarder les comptes et supprimer toutes les lignes rouges », déplore un employé, qui estime que Zenly coûtait à Snap « entre 40 et 60 millions d'euros par an ».

S'il paraît compréhensible de supprimer les postes de coûts non liés à l'activité économique principale en période de crise, Zenly estime qu'il aurait pu en être autrement. « Snap n'a jamais voulu nous monétiser. Zenly ne propose pas de pub, ni d'abonnement, ne collecte pas de datas. Rien. On a proposé maintes fois à Snap des stratégies de monétisation, mais ils n'ont jamais voulu. Ils nous disaient qu'il fallait qu'on se développe davantage avant d'envisager la monétisation, mais paradoxalement ils n'investissaient pas assez pour qu'on accélère plus vite », raconte une source. L'indépendance de Zenly -qui n'est pas construite sur la même stack technique donc impossible à intégrer à Snapchat sans refonte majeure-, s'est donc révélée à double tranchant pour la startup tricolore.

De son côté, Snap estime avoir « beaucoup investi chez Zenly ». Effectivement, après le départ d'Antoine Martin en mars, le groupe a montré enthousiasme et intérêt pour le développement de Zenly, au point de revaloriser les salaires, poursuivre les embauches et mettre en place un plan de primes sur cinq ans basés sur des ventes d'actions pour encourager les salariés à rester dans l'entreprise. Mais le groupe en difficultés préfère désormais se concentrer sur la croissance de Snapchat, notamment son service Snap Map, une fonctionnalité qui présente des similitudes avec Zenly, bien que moins développée.

Créer un autre Zenly à partir de zéro, une hypothèse possible mais improbable

Quid de la suite ? Le licenciement des quelque 70 salariés de Zenly va s'étaler sur plusieurs mois et devra se conformer à la législation en vigueur en France, même si la startup appartient à une entreprise américaine. Dans sa lettre aux salariés, Evan Spiegel a assuré que les personnes touchées par les coupes partiraient dans de bonnes conditions.

L'hypothèse d'un rachat étant exclue, les salariés peuvent-ils recréer un autre Zenly à partir de zéro ? Oui en théorie, car Snap n'a pas activé, d'après nos informations, la clause de non-concurrence. Mais c'est en réalité très improbable. « Recréer une app du même niveau que Zenly prendrait trop de temps, et entre temps le marché aura évolué », balaie l'une de nos sources. Seule consolation : l'écosystème tech français, et en premier lieu BeReal, l'autre réseau social tricolore qui cartonne, va pouvoir récupérer des talents dotés d'une précieuse expérience.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 02/09/2022 à 19:49
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Information de peu d'intérêt. S'ils sont si bons chez Zenly ils n'ont qu'à refaire une app sous un nouveau nom avec de nouveaux investisseurs qui devraient affluer.

à écrit le 02/09/2022 à 14:02
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Si les gars sont malins, ils ont une copie du code et peuvent donc recreer un systeme similaire sans trop de probleme. il faut juste changer quelques details par ci par la pour que snap ne puisse gagner un proces. Et encore. s ils creent leur societe...

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