« Concernant l’IA, il faut passer de la peur à l’envie » (Sébastien Missoffe, directeur général de Google France)

ENTRETIEN - Le patron de la filiale hexagonale du géant californien analyse les enjeux de Gemini, le nouveau modèle massif de langage annoncé par le géant de la Silicon Valley le 6 décembre.
Sébastien Missoffe, Directeur Général de Google France, au siège de l’entreprise début décembre, à Paris.
Sébastien Missoffe, Directeur Général de Google France, au siège de l’entreprise début décembre, à Paris. (Crédits : © Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

LA TRIBUNE DIMANCHE - OpenAI a lancé la version 4 de ChatGPT il y a moins d'un an, en mars dernier. Gemini est-il la réponse de Google sur le terrain de l'IA accessible au grand public ?

SÉBASTIEN MISSOFFE - C'est avant tout une révolution scientifique qui ouvre un nouveau champ des possibles. Gemini est unique par sa capacité de calcul. C'est la première fois que l'on construit un modèle qui appréhende l'image, le code, le texte, la vidéo et le son de façon coordonnée. L'infrastructure qui a permis sa conception - une nouvelle génération de puces élaborées spécifiquement - nous permettra de progresser sur les modèles d'intelligence artificielle. Nous avons testé Gemini sur les mathématiques, la physique, l'histoire, le droit, la médecine : il a surpassé 30 des 32 meilleurs résultats existants. Grâce à ses trois versions, il offre une flexibilité inédite.

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En particulier la Nano, disponible sur les smartphones ?

Oui, car cela le rend accessible à un très grand nombre d'utilisateurs, y compris au sein des TPE et PME, avec à la clé d'importantes réductions de coûts, notamment en matière d'énergie, en évitant le recours aux data centers.

La nature du moteur de recherche de Google évoluera-t-elle avec l'IA générative ?

L'IA est déjà au cœur de nos produits. Avec Google Photos, vous pouvez modifier une image en quelques secondes. Avec Google Maps, on va plus vite. Sur Google Lens, vous pouvez reconnaître un objet . Tout cela est alimenté par l'intelligence artificielle. Nous avons commencé à utiliser l'IA générative avec Bard, lancé il y a quelques mois. Gemini nous permettra d'obtenir des réponses plus rapides et plus précises sur le moteur de recherche. De façon différente, en passant du texte à l'image ou du texte à la vidéo. 15 % des recherches effectuées chaque jour sur Google n'ont jamais été faites auparavant. Nous devons nous adapter en permanence.

L'enjeu concerne-t-il surtout le BtoB ? Est-ce une bataille entre géants des logiciels et du cloud ?

Google est encore un challenger sur le marché du cloud. Ce dernier est en plein développement, avec une quantité d'acteurs américains et européens. Je pense qu'il s'agit d'un moment clé de rupture technologique qui favorise l'émergence de nouveaux modèles et de nouvelles entreprises. Par exemple, Mistral AI propose ces modèles via notre offre cloud et utilise notre infrastructure de façon non exclusive. À travers Google Cloud, Gemini peut aider les entreprises dans de multiples domaines : un artisan gagnera du temps dans la gestion des devis, par le classement des demandes, les analyses des données techniques et les suggestions de réponses. D'où d'immenses gains de productivité.

Gemini sera disponible en anglais dans 170 pays sur Bard, votre outil d'intelligence générative. Quand le sera-t-il en Europe ?

Il faut avancer très rapidement, compte tenu du rythme soutenu de l'évolution des usages. Mais nous devons tenir compte des réglementations et des enjeux de responsabilité. L'un des premiers sujets sur lesquels nous avons travaillé pour évaluer les risques potentiels de l'IA générative est celui de la désinformation. À partir du moment où l'on crée des images, un problème de désinformation peut se poser. Nous nous sommes donné quelques mois supplémentaires pour avoir le contexte de l'image. Si vous voyez une photo de la guerre en Ukraine, vous pouvez cliquer dessus et on vous dira quand celle-ci est apparue pour la première fois sur Internet. Nous devons nous assurer d'être capables de faire un travail aussi rigoureux que possible dans toutes les langues. Cela a été plus rapide en anglais.

C'est la première fois que l'on construit un modèle qui appréhende l'image, le code, le texte, la vidéo et le son de façon coordonnée

L'IA suscite de nombreuses craintes, sur l'emploi en particulier. Sont-elles justifiées ?

Ma conviction est qu'elle augmente la productivité dans de multiples domaines tout en créant énormément d'emplois. Un exemple tiré des solutions d'intelligence artificielle sur lesquelles nous travaillons : notre outil de prédiction des inondations. Pour qu'il fonctionne, il faut des « data scientists », pour identifier les bases de données existantes dans le monde et les structurer. Ensuite, nous avons besoin de « data engineers » pour travailler sur l'ingestion de ces données. Et enfin de « data analysts » pour décrypter les résultats. La demande est déjà considérable aujourd'hui. Le besoin de dactylos a disparu à la fin des années 1970, mais les gains de productivité ont fait naître d'autres métiers. Si le temps d'effectuer un devis diminue de quarante-cinq à quinze minutes, cela ne remplace pas les artisans, mais ça leur permet de se développer et de se diversifier.

Ces gains de productivité pourraient-ils supprimer des emplois ?

Il ne faut pas opposer l'intelligence artificielle aux hommes. Cette productivité ne desservira pas l'emploi. Il faut collectivement passer de la peur à l'envie. Bloquer les innovations poussera d'autres acteurs à les réaliser. J'ai rejoint Google il y a dix-sept ans, l'époque des débuts d'Internet. Cette troisième grande révolution est la plus grande de nos vies. Le projet AlphaFold en est un exemple. Il a permis de prédire avec précision la structure 3D de plus de 200 millions de protéines, dont celles impliquées dans des maladies rares. Près d'un million de chercheurs l'ont déjà utilisé.

Que fait Google en matière de formation ?

Ces évolutions ne doivent pas engendrer de fractures. En France, un certain nombre de personnes restaient à l'écart de la révolution numérique. Nos formateurs sillonnent le pays pour réduire cet écart. Nous avons accompagné plus de 800 000 personnes depuis dix ans, attiré l'attention des parents quant au temps passé par leurs enfants sur les écrans et assisté des demandeurs d'emploi, des TPE ou des PME. Nous sommes allés voir des PME pour les sensibiliser au sujet de l'IA et leur présenter des outils concrets pour les aider sur différents sujets, comme celui de la cybersécurité.

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Commentaires 5
à écrit le 18/12/2023 à 9:44
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On comprend mieux ce trop plein de publicité quand il s'agit de faire de nous des "consommateurs d'intelligence" en nous rendant plus stupide ! ;-)

à écrit le 18/12/2023 à 8:24
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Envie d'acheter vos produits. LOL

à écrit le 17/12/2023 à 14:45
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On comprend mieux ce trop plein de publicité quand il s'agit de faire de nous des "consommateurs d'intelligence" en nous rendant plus stupide ! ;-)

à écrit le 17/12/2023 à 10:10
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On comprend mieux ce trop plein de publicité quand il s'agit de faire de nous des "consommateurs d'intelligence" en nous rendant plus stupide ! ;-)

à écrit le 17/12/2023 à 9:01
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Ben oui mais c'est votre intérêt. Du coup quel est le notre dans vos propos ?

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