Mobile : au Canada, la mégafusion entre Rogers et Shaw fait polémique

Le gouvernement canadien a autorisé, la semaine dernière, le géant des télécoms Rogers à racheter son rival Shaw. Ce deal permettra, d’après Ottawa, d’accroître la concurrence dans la téléphonie mobile, et ainsi de faire baisser les prix des forfaits qui sont parmi les plus élevés au monde. Mais beaucoup d'observateurs en doutent, et critiquent vivement cette décision. Explications.
Pierre Manière
Au Canada, le marché du mobile est largement dominé par le trio Rogers, Bell et Telus.
Au Canada, le marché du mobile est largement dominé par le trio Rogers, Bell et Telus. (Crédits : Reuters)

Le gouvernement canadien a donné son feu vert, vendredi dernier, à un énorme deal dans les télécoms. Ottawa a autorisé Rogers, l'un des plus grands groupes de télécoms du pays, à racheter son rival Shaw pour 26 milliards de dollars canadiens (18 milliards d'euros). Dans l'Internet fixe, les deux groupes ont beau être les plus importants câblo-opérateurs du Canada, ils ne sont pas des concurrents directs puisqu'ils opèrent dans des régions différentes. Ce n'est, en revanche, pas le cas dans la téléphonie mobile, où ils disposent chacun d'une empreinte nationale.

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A en croire le gouvernement, cette opération doit pourtant permettre d'accroître la concurrence dans ce domaine. Ce secteur est aujourd'hui ultra-dominé par le trio Rogers, Bell et Telus. Chacun a la main sur environ 30% du marché de la téléphonie mobile. Ils sont suivis par deux acteurs beaucoup plus modestes, Shaw et Québecor, lesquels disposent d'une part de marché avoisinant les 5%.

D'après François-Philippe Champagne, le ministre de l'Industrie, les remèdes imposés à Rogers et Shaw pour fusionner permettront de renforcer Québecor. Ce dernier va, dans le cadre de cette opération, récupérer une partie des actifs de Shaw dans le mobile. Québecor va s'emparer de son opérateur Freedom Mobile, qui compte 1,7 millions d'abonnés, pour 2,85 milliards de dollars canadiens (près de 2 milliards d'euros).

Une « trahison » du gouvernement

Ce renforcement de Québecor et de sa filiale Vidéotron, très présente au Québec, doit lui permettre, d'après François-Philippe Champagne, de « rivaliser avec les trois grandes compagnies, et entraîner une baisse des prix partout au pays »« La preuve est clairement établie: la présence d'un quatrième joueur fort entraîne une réduction des prix », a-t-il renchéri en conférence de presse. Vidéotron s'est, en effet, engagé à offrir à l'échelle nationale des tarifs similaires à ceux pratiqués au Québec, où les forfaits mobiles sont jusqu'à 20% moins chers que dans le reste du pays. Dans le cas contraire, celui-ci s'expose à de lourdes amendes.

Il n'empêche que ce deal entre Rogers et Shaw fait l'objet de vives critiques. Les autorités concurrentielles s'y sont longtemps opposées, mais ont finalement été déboutées par la justice. Dans un communiqué au vitriol, Laura Tribes, à la tête d'OpenMedia, un groupe de défense des consommateurs, a évoqué un « jour sombre pour l'Internet au Canada » dans la foulée de l'autorisation de cette fusion.

« Le ministre Champagne a tourné le dos aux Canadiens, et a couronné Rogers, la plus grande entreprise de notre marché déjà excessivement centralisé, comme le véritable "roi" de l'Internet canadien, a-t-elle fustigé. Il s'agit d'une trahison de la part d'un gouvernement qui a longtemps promis d'améliorer l'accessibilité des télécommunications. [...] Le ministre Champagne est en train de planter le dernier clou dans le cercueil de la concurrence des télécommunications au Canada. »

« Notre oligopole est déjà assez gros »

Dans un éditorial publié début janvier, le journal québécois La Presse, ne cachait pas, pour sa part, tout le mal qu'il pensait de cette opération.

« Notre oligopole est déjà assez gros, a-t-il blâmé. Alors que les prix des forfaits de téléphonie sans fil sont très élevés et que le "Big 3" [Rogers, Bell et Telus, Ndlr] contrôle déjà 86% du marché, devrait-on permettre à la plus importante entreprise de télécoms dans le sans-fil (Rogers) d'acheter la majeure partie de la quatrième (Shaw) ? Si on a les intérêts des consommateurs à cœur, la réponse est évidente : non. »

Le sujet est particulièrement sensible au Canada. Il faut dire que les tarifs pratiqués par les opérateurs sont parmi les plus élevés du globe. D'après une étude du cabinet Wall Communications, le prix moyen d'un forfait mobile comprenant entre 10 et 19 gigaoctets de données s'élevait, en 2022, à plus de 55 dollars canadiens (38 euros) par mois. A titre de comparaison, en France, le coût d'un tel forfait s'élève en moyenne à 19 euros par mois, selon le comparateur Ariase.

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Cette situation préoccupe depuis longtemps le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Le régulateur des télécoms accuse régulièrement le manque de concurrence dans la téléphonie mobile. « Un petit nombre de fournisseurs détiennent une partie dominante du marché dans certaines régions », a-t-il rappelé dans un communiqué en avril 2022. Il souligne notamment que « les prix facturés et les profits » de Bell, Rogers et Telus sont « plus élevés que ceux des autres pays ». Mais ses actions pour renforcer la concurrence n'ont, jusqu'à présent, pas permis de bousculer le marché.

Pierre Manière

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