Telecom Italia : autopsie d’une débâcle boursière

Le titre de l’opérateur historique transalpin s’est écroulé de près de 24% jeudi dernier. Les investisseurs ont sanctionné le plan stratégique jusqu'en 2026 présenté la veille par l'état-major du groupe. En cause : l'incohérence à leurs yeux de la prévision de l'évolution de la dette par rapport aux perspectives de croissance. Explications.
Pierre Manière
(Crédits : YARA NARDI)

Pour n'importe quel grand groupe coté en Bourse, la communication est essentielle. S'il y a bien un moment où la direction ne doit surtout pas se rater, c'est lors de la présentation de son plan stratégique pour les années à venir. Cet événement est toujours suivi de près par les investisseurs et une cohorte d'analystes financiers, qui connaissent la société sur le bout des doigts. A cette occasion, toute erreur, imprécision, ou manque d'explication sur une projection financière peut coûter très cher. Et c'est précisément la mésaventure qui est arrivée, jeudi dernier, à Telecom Italia.

Ce jour-là, l'opérateur historique transalpin, qui est l'équivalent d'Orange en Italie, a précisé les contours de son plan stratégique pour la période 2024-2026. Baptisé « free to run » (« va de l'avant »), celui-ci a, chose rare, plongé les investisseurs et les analystes dans un épais brouillard, à un moment pourtant éminemment important pour son avenir. C'était la première fois que la direction dévoilait ses objectifs financiers à horizon 2026, en prenant en compte la vente, en cours, de son réseau Internet fixe, de loin son actif le plus précieux.

« Nous ne retrouvions pas nos petits ! »

Analyste chez Oddo BHF, Stéphane Beyazian souligne qu' « au regard des chiffres avancés jeudi, le groupe tablait sur une dette nette se situant entre 7 et 7,5 milliards d'euros en 2026 ». « Le problème, c'est que celle-ci ne devait, du coup, baisser que de 500 millions d'euros entre 2024 et 2026, alors que la direction financière indiquait prévoir 1,5 milliard d'euros de flux de trésorerie disponible cumulé sur cette période... » D'après lui, « il y avait une incohérence entre tous les objectifs financiers et la direction financière s'est montrée incapable de l'expliquer ». Analyste chez Alphavalue, Jean-Michel Salvador ne cache pas, non plus, son étonnement. « Les projections en matière de dette ne collaient pas avec les objectifs de revenus, renchérit-il. Nous ne retrouvions pas nos petits ! »

La sanction ne s'est pas faite attendre : le titre a plongé, le même jour, de près de 24% à la Bourse de Milan, à 0,21 euros. Après ce fiasco, Telecom Italia s'est finalement fendu, ce lundi matin, d'une « clarification » à son plan stratégique. Mais cet « addendum » a confirmé les craintes des analystes. Plutôt que d'abaisser la perspective de dette nette, la direction financière de Telecom Italia a revu à la baisse celle de ses flux de trésorerie. L'opérateur évoque différentes dépenses, liées à un important plan de réduction d'effectifs ou au coût de sa dette. Finalement, «Telecom Italia confirme de facto une réduction de dette nette de seulement 500 millions d'euros en raison de flux de trésorerie cumulés de seulement 500 millions d'euros sur 2025-2026, plutôt que de 1,5 milliard d'euros », conclut Stéphane Beyazian. Ce qui justifie tout à fait, d'après lui, le fait que les marchés se soient inquiétés. Ceux-ci n'ont, d'ailleurs, guère été rassurés par les annonces du jour. Le titre, qui était remonté un peu vendredi, a encore perdu près de 4,6% ce lundi, à 0,21 euros.

Telecom Italia à l'aube d'une transformation

Cette volée de bois vert en Bourse intervient à l'aube d'une vaste transformation de Telecom Italia. Celui-ci est, en effet, en passe de céder son joyau, son réseau Internet fixe, au fonds américain KKR pour un montant pouvant atteindre 22 milliards d'euros. Il est le premier opérateur d'une telle envergure à avoir choisi cette voie sur le Vieux Continent. Cette stratégie doit lui permettre de se désendetter et de se relancer alors qu'il pâtit, depuis des années, d'une forte concurrence et d'une intense guerre des prix. Mais la manœuvre est risquée. Cela signifie que Telecom Italia va devenir un « simple » opérateur de services, et n'aura plus la main sur le développement de ses infrastructures.

Dans ce contexte, que va-t-il advenir de ce cador des télécoms européennes ? En coulisse, de nombreux scénarios sont évoqués. Après la claque boursière de jeudi, certains imaginent que Vivendi, le premier actionnaire de l'opérateur (avec près de 24% du capital), pourrait profiter de ce camouflet pour essayer de reprendre les rênes du groupe. Le géant français des médias est en froid avec l'état-major actuel de Telecom Italia. Il conteste notamment en justice la vente du réseau Internet fixe, dont il fustige le montant, très inférieur à ses attentes.

D'autres se demandent si Iliad, la maison-mère de Free et d'Iliad Italia, ne pourrait pas tenter de proposer un deal à Telecom Italia si sa situation se dégradait davantage. Le groupe de télécoms de Xavier Niel pourrait, dans cette hypothèse, se positionner en « sauveur », et, peut-être, gagner les faveurs du gouvernement. Iliad multiplie aujourd'hui les emplettes en Europe, et rêve de grandir en Italie. En janvier dernier, il a notamment échoué, pour la seconde fois, à racheter son rival Vodafone Italia.

Pierre Manière

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