Ce n'est pas facile de financer une série TV en Europe

Quand les chaînes de télévision européennes investissent en moyenne de 800.000 à 1,2 million d'euros par épisode, les Américains mettent plus du double. Un écart de moyens qui incite les Européens à s'allier, via la multiplication des coproductions internationales.
Christine Lejoux
Le triomphe de la série "Breaking Bad" aux Emmy Awards pour la dernière saison en 2013.

Une jeune inspectrice de police française, lancée sur les traces d'un tueur en série dans l'extrême nord de la Suède... Tel est le « pitch » de Jour polaire, une série en huit épisodes qui sera diffusée sur Canal+ cet automne. La chaîne cryptée n'est pas seule dans l'aventure, Jour polaire étant le fruit d'une collaboration entre Canal, la chaîne publique suédoise SVT, Atlantique Productions, filiale du français Lagardère Studios, et la société de production suédoise Nice Entertainment Group. Autre illustration de la dimension internationale de cette coproduction, les personnages s'exprimeront en anglais, en suédois et en français, et le rôle principal sera tenu par l'actrice française Leïla Bekhti, au côté du Suédois Gustaf Hammarsten.

Jour polaire est représentative de la tendance aux coproductions internationales qui monte en puissance depuis cinq ans environ en Europe, dans le domaine des séries télévisées. L'objectif : tenter d'exister sur la scène mondiale, face aux blockbusters américains que sont Game of Thrones, Homeland et autre House of Cards.

« Aux États-Unis, les chaînes câblées, comme HBO, et les nouveaux entrants tels que le service de vidéo à la demande Netflix disposent d'une capacité à mettre de l'argent sur la table sans commune mesure avec celle les chaînes de télévision européennes », analyse Judicaël Perrin, directeur du département médias-audiovisuel chez Banque Palatine (groupe BPCE).

De fait, quand les chaînes de télévision, qui financent de 70% à 80% d'une série (lire encadré page ci-contre), investissent 800.o00 à 1,2 million d'euros par épisode en Europe, les Américains, eux, déboursent 3 millions d'euros en moyenne.

Un gros écart de moyens entre les États-Unis et l'Europe

« Le coût d'une série américaine de 13 épisodes oscille entre 40 millions et 60 millions de dollars (36 millions à 54 millions d'euros). Et, pour le seul pilote [le premier épisode de la série, destiné à convaincre les chaînes d'acheter celle-ci, NDLR], les Américains peuvent investir 8 millions de dollars, soit le budget d'un gros film français », précise Cédric Depierre, chargé d'affaires média et audiovisuel chez Banque Palatine.

Plus largement, « en France, la quantité d'argent dépensée au niveau du développement des séries [l'étape consistant à définir les grandes lignes du sujet, à étudier la faisabilité technique du projet, NDLR] n'est pas suffisante, par rapport à ce qui se fait à l'étranger. Or c'est au stade du développement que se joue la différence [entre les séries] », a estimé Danielle Kadeyan, PDG de la Sofica (société pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel) SofiTVCINE, le 20 avril, lors des Assises européennes du financement des séries TV.

Conséquence de cet écart de moyens entre les séries européennes et les superproductions américaines, les premières ne peuvent rivaliser avec les secondes pour attirer des pointures du cinéma, lesquelles sont autant de gages de qualité et de « marques » susceptibles d'attirer le public. Pour le premier épisode de Boardwalk Empire, HBO s'était offert rien moins que les services du réalisateur Martin Scorsese. La chaîne avait également pioché dans le répertoire hollywoodien pour la première saison de True Detective, avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson dans les rôles principaux.

Autre avantage des séries américaines, « la capacité des États-Unis, depuis la Seconde guerre mondiale, à exporter l'American way of life dans le monde entier », souligne Cédric Depierre. Et ce, alors même que les exportations ne représentent que du bonus pour les séries américaines, celles-ci s'amortissant sans problème sur leur énorme marché national.

La solution des coproductions

Les séries de pays européens n'ayant pas cette chance, leur potentiel d'exportation représente un enjeu et un coût majeurs. D'où la montée en régime des coproductions européennes, voire internationales, à l'image de Versailles, née d'une collaboration francoitalo-canadienne entre Canal +, Capa Drama, Zodiak Fiction et Incendo. Une alliance qui a permis de doter cette série d'un budget de 27 millions d'euros, soit 2,7 millions par épisode, ce qui en fait la plus chère de l'histoire de la télévision française. Versailles, qui raconte notamment la relation entre le jeune Louis XIV et son frère Philippe, est par ailleurs emblématique du type de sujet susceptible d'intéresser des téléspectateurs européens très divers :

« Par rapport à l'American way of life, ce qui caractérise l'Europe, c'est sa tradition culturelle et historique. Nous avons là tout un champ à nous réapproprier, pour inventer un art de la série européenne, le but n'étant pas d'entrer en concurrence frontale avec les Américains », explique Judicaël Perrin.

L'Europe des séries, ce sont également les soutiens publics auxquels les coproductions peuvent prétendre au sein de l'Union européenne (UE). Certes, il y a encore du chemin à faire dans la compatibilité des aides des différents pays, mais les fonds d'investissement régionaux constituent à cet égard un bon exemple, une même série pouvant conjuguer les aides de plusieurs d'entre eux. Wallimage, en Belgique, dispose, bon an mal an, d'un budget de 6,5 millions d'euros, destiné aux coproductions tournées en Wallonie, dont 1 million est désormais dédié aux séries télé.

En France, le Fonds de soutien Cinéma et Audiovisuel de la région Île-de-France, qui a aidé des séries comme Chefs, Le Bureau des légendes et Dix pour cent, fonctionne avec une enveloppe annuelle de l'ordre de 3 millions d'euros. Parmi les conditions à remplir pour en bénéficier figure l'obligation de réaliser la moitié du tournage en Île-de-France et de dépenser 50% du budget dans la région.

Au total, les 45 fonds membres du réseau européen Cine-Regio, issus de douze pays de l'UE, représentent une force de frappe de quelque 170 millions d'euros par an. D'accord, cette somme n'a rien de pharaonique, mais elle est bienvenue lorsqu'il s'agit de trouver les 10% restants pour boucler le financement d'une série. Une particularité européenne que l'audiovisuel britannique risque de regretter amèrement une fois que le Royaume-Uni aura quitté l'Union.

Dès le 24 juin, Michael Rayan, le président de l'Alliance du cinéma et de l'audiovisuel indépendants au Royaume-Uni, a déclaré que « la décision de sortir de l'UE (était) une catastrophe pour le cinéma et la télévision britanniques ».

« Beaucoup d'entre nous ont travaillé sur des projets, du plus petit au blockbuster, qui n'auraient jamais vu le jour sans un financement et une collaboration transfrontières », avaient écrit Benedict Cumberbatch (Sherlock), Keira Knightley, Jude Law et quelque 250 autres célébrités du cinéma et de la télévision britanniques, le mois précédent, dans une pétition contre le Brexit.

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>> MODE D'EMPLOI : COMMENT PRODUIRE UNE SÉRIE ?

Au départ, il y a un producteur avec un projet de série, qui met de l'argent dans l'avancement du scénario, trouve un casting, puis des partenaires financiers. À commencer par une chaîne de télévision, qui achète les droits de diffusion, suivie par un distributeur, qui versera un minimum garanti, en contrepartie de l'exploitation de la série à l'étranger. À quoi peuvent s'ajouter des aides publiques comme le Fonds d'aide à l'innovation audiovisuelle du CNC (Centre national du cinéma). Ainsi armé, le producteur va voir sa banque, afin de solliciter un crédit pour financer la fabrication de la série, sur la base des créances qu'il détient sur la chaîne de télévision et le distributeur. En effet, ces derniers ne règlent leurs pré-achats qu'une fois la série livrée.

« Pour une banque, il est plus facile de financer une série TV de cinq à douze épisodes qu'un film, car on est davantage dans le registre du "prêt-à-porter" que dans "la haute couture" du cinéma, qui est une économie de prototypes », souligne Cédric Depierre, chez Banque Palatine.

Christine Lejoux

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