Subventions à Boeing : l'OMC autorise Bruxelles à taxer les produits américains, le ketchup, le 737 MAX et la patate douce dans le viseur

Nouvelle étape dans le conflit entre Bruxelles et Washington sur les aides publiques à leur industrie aéronautique. Un an après avoir autorisé Washington à appliquer des droits de douane d'un montant de 7,5 milliards de dollars sur des importations européennes, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) autorise Bruxelles à taxer des produits américains jusqu'à 4 milliards de dollars, à partir du 27 octobre. L'objectif de Bruxelles est d'inciter Washington à négocier un nouveau cadre d'aides au secteur aéronautique. Le message semble avoir été entendu. Washington a affirmé mardi vouloir "intensifier" les négociations avec Bruxelles dans le conflit Airbus-Boeing.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Kim Kyung Hoon)

Nouvelle étape dans l'interminable conflit entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur les aides publiques accordées à leur industrie aéronautique. Elle intervient à quelques semaines de la présidentielle américaine alors que les tensions commerciales n'ont cessé de s'accentuer entre Washington et Bruxelles sous la présidence de Donald Trump.

L'an dernier, ce conflit vieux de 16 ans était entré dans le dur. Après avoir déclaré que les deux industries aéronautiques avaient toutes deux bénéficié d'aides publiques et, à ce titre, enfreint les règles de concurrence, l'organisation mondiale du commerce (OMC) avait autorisé Washington à appliquer des droits de douane d'un montant de 7,5 milliards de dollars sur des importations européennes. Cette sanction record dans l'histoire de l'OMC équivalait aux pertes de contrats des industriels américains à cause des aides européennes reçues par Airbus pour ses programmes A380 et A350.

Aujourd'hui, l'OMC autorise à son tour Bruxelles à taxer des produits américains, jusqu'à 4 milliards de dollars par an, un montant correspondant cette fois au préjudice subi par les industriels européens pour les campagnes de vente d'avions perdues à cause des subventions reçues par Boeing. Et plus exactement celle concernant la réduction de 40% du taux d'imposition dont bénéficiaient jusqu'à sa suppression, en avril 2019, les entreprises aéronautiques basées dans l'Etat de Washington, où sont situées un grand nombre d'usines de l'avionneur américain. Aux yeux de l'OMC, il s'agissait bel et bine d'une subvention déguisée d'un montant d'environ 300 millions de dollars.

Taxes sur le B737 MAX

Comme Washington l'a fait pour les avions européens (10%, puis 15% de droits de douane), les fromages, l'huile d'olive, le vin...(taxés, eux, à 25%), les pays européens pourront donc instaurer dès le 27 octobre de nouvelles taxes à l'importation sur certains produits américains. Bruxelles a, depuis l'an dernier, dressé une longue liste de produits allant du ketchup Heinz à la patate douce en passant, bien sûr, par les avions Boeing, notamment le 737, a indiqué ce mardi dans Le Parisien Franck Riester, le ministre français chargé du Commerce extérieur. Les tracteurs, les arachides, le jus d'orange congelé, le tabac ou encore le saumon du Pacifique, fugurent également dans la liste.

"Le secteur aéronautique sera certainement visé, comme le Boeing 737", a assuré Franck Riester.

A l'heure où le B737 MAX va prochainement reprendre du service après près de deux ans d'interdiction de vols pour des raisons de sécurité, des taxes seraient plutôt malvenues pour Boeing. Il sera difficile en effet pour l'avionneur américain de vendre plus cher en Europe un avion à la réputation ternie, qui-plus-est dans un contexte de crise du transport aérien mondial. Ceci alors que Ryanair serait sur le point de commander 150 à 200 nouveaux exemplaires, selon la presse irlandaise.

"Le plus important pour Airbus c'est que la Commission européenne impose des tarifs douaniers sur les avions américains pour avoir un traitement équitable avec Boeing. Avec le montant des sanctions autorisées, cela suffit largement car ce montant est basé sur la valeur des importations américaines au sein de l'Union européenne et l'an dernier Boeing n'a pas exporté beaucoup en Europe. Le montant alloué aux avions sera très petit par rapport au montant global. Ce qui laisse beaucoup de possibilités pour la Commission d'imposer des tarifs sur d'autres produits aussi stratégiques", explique une source industrielle.

Bruxelles veut pousser Washington à négocier

Dans tous les cas, plus que d'imposer des tarifs douaniers aux produits américains, l'objectif de Bruxelles est ailleurs : convaincre Washington de négocier à l'amiable un nouveau cadre d'aides publiques pour leur industrie aéronautique respective. Ce que les Etats-Unis ont toujours refusé.

"Il faut que l'Europe démontre sa détermination à défendre ses intérêts en imposant des taxes aux entreprises américaines. C'est le seul moyen d'inciter les Etats-Unis à revenir à la table des négociations et à jouer à la loyale", a déclaré Franck Riester.

"Cet été encore, nous avons une nouvelle fois tendu la main vers les Etats-Unis et nous sommes assurés qu'Airbus est désormais en parfaite conformité avec les règles de l'OMC. Les taxes américaines ne sont donc pas justifiées et devraient être retirées immédiatement. Dans le contexte actuel, les sanctions commerciales ne font que pénaliser davantage nos économies qui font face à une crise sans précédent. Nous préférerions bien entendu éviter l'imposition mutuelle de sanctions. Mais à partir du moment où les Etats-Unis ne retirent pas leurs propres taxes sur nos produits, nous devons rééquilibrer le rapport de forces et faire preuve de fermeté. C'est pourquoi l'UE doit imposer des sanctions dès que l'OMC l'y aura formellement autorisée. Une résolution de ces différends, qui durent depuis trop longtemps, est urgente. Dans un esprit de compromis, l'Union européenne a fait des propositions aux Etats-Unis pour trouver un règlement aux deux différends en cours. Nous continuons à appeler à une résolution rapide et négociée de ces différends", a ajouté Bercy dans un communiqué diffusé dans la foulée de la publication du rapport de l'OMC. En l'absence de solution négociée et tant que les sanctions américaines injustifiées sont maintenues, l'Union européenne devra exercer ses droits de sanctions.

Dans un entretien la semaine dernière au Financial Times, le nouveau commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, appelait lui aussi les Etats-Unis à lever les droits de douane pour une résolution du litige entre Airbus et Boeing. Réparer les liens transatlantiques sera l'une des priorités de l'Union européenne et la levée par Washington des sanctions douanières liées à Airbus constituerait une mesure de nature à rétablir la confiance, soulignait-il, en précisant également que si les Etats-Unis ne retiraient pas leurs droits de douane, "nous n'aurons pas d'autre choix alors que de mettre en place les nôtres".

Reste à savoir si Bruxelles passera à l'acte à quelques jours de la présidentielle américaine.

Airbus soutient lui aussi la volonté de négocier de la Commission européenne.

"Airbus n'est pas à l'origine de ce différend porté devant l'OMC. Nous ne souhaitons pas que les dommages infligés aux clients et aux fournisseurs du secteur aéronautique, ainsi qu'à tous les autres secteurs affectés, continuent plus longtemps", a déclaré Guillaume Faury, CEO d'Airbus dans un communiqué. "Nous demeurons, comme nous l'avons montré jusqu'ici, prêts et disposés à engager un processus de négociation en vue de parvenir à un accord équitable. L'OMC s'est prononcée et l'UE peut désormais mettre en place ses contre-mesures. Il est temps à présent de trouver une solution qui permette de supprimer les droits de douane de part et d'autre de l'Atlantique", a-t-il ajouté.

Le message est-il entendu? En tout cas, Washington a affirmé mardi vouloir "intensifier" les négociations avec Bruxelles dans la dispute opposant Boeing et Airbus, dans le but de restaurer une "juste concurrence", d'après un communiqué du représentant américain au commerce (USTR).

"Nous attendons une réponse de l'Union européenne à une récente proposition" des Etats-Unis, a assuré Robert Lighthizer.

Les Etats-Unis bloquent

Par ailleurs, l'Union européenne et certains de ses Etats membres ont fait appel en décembre d'une décision de l'OMC selon laquelle ils n'avaient toujours pas mis en conformité leurs aides à Airbus. L'examen de cet appel est bloqué, Washington refusant la nomination de juges indispensables à son fonctionnement. L'avionneur européen a depuis dit s'être mis "en conformité totale" avec les règles de l'OMC : il a annoncé cet été s'être entendu avec les gouvernements espagnol et français pour payer des intérêts plus élevés sur les avances remboursables consenties par Paris et Madrid lors du lancement du programme d'avion long-courrier A350. Le sujet des avances remboursables des Etats sur les programmes d'Airbus est à l'origine des griefs américains.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaire 1
à écrit le 15/10/2020 à 9:13
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J'ai appris l'économie sous une OMC qui exécutait tout ceux qui osaient proposer du protectionnisme, c'était tabou, il n'y avait pas d'alternative il fallait que les riches deviennent toujours plus riche à n'importe quel prix. Quel retournement !

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