Agriculture : quand l'eau est aussi utilisée contre le gel

L'aspersion est une méthode de lutte contre le gel déjà bien connue en arboriculture et à ses prémices en viticulture. Des difficultés d'investissement et d'accès à l'eau s'opposent toutefois à sa diffusion.
Giulietta Gamberini
(Crédits : DR)

La méthode, plutôt contre-intuitive, est pourtant éprouvée : pour lutter contre le risque de « gelées blanches » qui - en raison des températures négatives, de la forte humidité et de l'absence de vent - menacent depuis quelques jours leurs récoltes, certains agriculteurs font recours à l'aspersion d'eau. « Si à partir du moment où la température atteint 0°C, et jusqu'à ce qu'elle revienne à 2-3°C, la plante est continuellement arrosée, les bourgeons sont pris dans une poche de glace qui joue le rôle protecteur d'un igloo. L'eau qu'ils contiennent ne gèle donc pas », explique Françoise Roch, arboricultrice dans le Tarn-et-Garonne et présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF).

Le meilleur rapport coûts/efficacité

Selon la productrice de pommes, de prunes et de raisins de table, cette méthode est d'ailleurs celle qui présente le meilleur rapport coûts/efficacité par rapport aux alternatives existantes. Pour le prix de quelque 50.000 euros, auxquels s'ajoute la consommation énergétique d'un tracteur, une pompe permettant l'aspersion de 2-3 hectares est susceptible de les protéger du gel lorsque le thermomètre descend jusqu'à -8°C, observe-t-elle.

Or, le recours à des bougies, d'une durée de vie de huit heures, peut coûter jusqu'à 8.000 euros par hectare, mais ne sera pas efficace en dessous de 2-3°C - sauf si on augmente le nombre de bougies, et donc les frais. Quant aux éoliennes à moteur, qui envoient l'air en hauteur, plus chaud, vers le sol, elles coûtent quelque 40.000 euros pour quatre hectares, mais elles ne permettent pas non plus de gagner plus que 2 à 3 degrés, selon Françoise Roch.

40 mètres cubes d'eau par hectare

La diffusion de l'aspersion se heurte toutefois à des difficultés d'investissement ainsi que d'accès à l'eau, déplore la présidente de la FNPF. Même dans des cultures déjà irriguées comme celles arboricoles, elle implique en effet l'achat de nouvelles pompes plus puissantes et donc plus chères.

« Quand on irrigue, on ne le fait pas partout en même temps : on organise des rotations entre les parcelles pendant toute la durée des périodes de sécheresse. Mais pour l'aspersion contre le gel, il faut arroser toutes les parcelles susceptibles de geler en même temps, pendant des heures et sans interruption », explique Françoise Roch.

De même, les enjeux d'accès à l'eau, bien que différents de ceux de l'irrigation, restent sensibles. Le besoin hydrique pour l'aspersion se concentre en effet l'hiver, lorsque la ressource est généralement plus abondante, et donc les conflits d'usage moins probables. Mais une très grande quantité d'eau est utilisée sur de très courtes durées.

« Il faut 40 mètres cubes par hectare. Ainsi, par exemple, dans la nuit entre samedi et dimanche, lorsque j'ai dû arroser entre 5h et 7h30 du matin, j'ai utilisé 100 mètres cubes par hectare », détaille l'arboricultrice.

Le stockage de l'eau « essentiel »

Le stockage de l'eau - objet de fortes controverses entre agriculteurs et défenseurs de l'environnement, qui les accusent d'accaparement de la ressource - est donc essentiel non seulement pour l'irrigation, mais aussi pour le dégel, plaide Françoise Roch.

« Il ne faut pas toujours des méga-bassines: des retenues collinaires, ou le pompage dans les rivières, peuvent suffire », nuance-t-elle toutefois.

« L'enjeu est surtout de desserrer l'étau : dans le Tarn-et-Garonne, alors qu'il a plu tout l'hiver, on n'arrive pas à débloquer des autorisations pour de petits lacs depuis plusieurs années », précise la présidente de la FNPF.

Lire: Méga-bassines : pourquoi de nombreux projets « autorisés » sont toujours bloqués

Les coûts du stockage ne constitue en effet pas à ses yeux l'obstacle principal :

« La construction d'une retenue collinaire peut certes s'élever à 200-300.000 euros, mais représente un investissement de long terme, sert aussi à l'irrigation et s'amortit sur plusieurs années », estime-t-elle.

La demande d'aides d'Etat plus régulières

Déjà relativement répandue en arboriculture, l'aspersion ne l'est donc pas encore partout là où elle serait désormais utile en raison du changement climatique, qui rend les gelées de plus en plus aléatoire en termes de géographie et de saisons et les bourgeons de plus en plus précoces. Elle n'est qu'à ses prémices dans la viticulture, où l'irrigation, d'ailleurs, se répand petit à petit.

Lire: Eau : l'irrigation agricole, un défi croissant pour la France

« Il faudrait des aides de l'Etat plus conséquentes et plus régulières, assurant aux agriculteurs, qui prennent dans tous les cas en charge la majorité des investissements, une meilleure visibilité », estime Françoise Roch.

La FNPF demande notamment 50 millions d'euros par an pour cinq ans. En 2021, une chute brutale des températures en avril, jusqu'à -5 ou -6°C, avait coûté à l'Etat plus de 400 millions d'euros, rappelle l'AFP.

« Suite au gel exceptionnel de 2021, l'Etat a dû débourser un milliard

Des conséquences de plus en plus « catastrophiques »

Certes,« tout le monde ne fera pas d'antigel : la décision se prend parcelle par parcelle, en fonction du rapport bénéfices-risques », reconnaît l'arboricultrice. Mais pour les agriculteurs qui en auraient besoin les conséquences des gelées risquent aussi d'être de plus « catastrophiques »:

« Dans un contexte de concurrence accrue, toute perte de marchés à cause de mauvaises récoltes risque de devenir durable », met-elle en garde, en insistant sur le « danger que ce qui n'est pas produit en France soit importé ».

Et quant aux techniques de « lutte passive » -des pratiques agronomiques qui réduisent les risques de gel-, telles que l'humidification des vergers ou la création de couloirs facilitant la sortie de l'air froid, « on y travaille avec des agronomes depuis 30-40 ans, mais elles ne suffisent pas face à l'ampleur du défi », selon Françoise Roch.

« Et même le recours à des variétés qui fleurissent plus tard est inefficace face à des épisodes de gel tardif comme celui actuel, qui sont pourtant de plus en plus fréquents », affirme l'agricultrice.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 24/04/2024 à 7:48
Signaler
Nous on en a déjà un qui arrose ses champs alors qu'il a plu particulièrement abondamment dans la région. Toujours plus d'eau, toujours plus de produits chimiques toxiques, la dictature de l'obscurantisme agro-industriel.

à écrit le 23/04/2024 à 18:24
Signaler
En effet cela m'a surpris , il y a plusieurs années il avait gelé le 5 avril et l'agriculteur qui avait des fraises en pleine terre à l'air libre les a arrosées pour les protéger du gel avec succès mais depuis il les a sous serres .

le 23/04/2024 à 22:07
Signaler
"avec succès mais depuis il les a sous serres" Preuve est-il que la culture sous igloo est une aberration de l'idéologie pastèque négationniste de la science car la vie a besoin de chaleur pour se développer dans l'univers.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.