C'est un acronyme que le commun des mortels ignorait jusqu'à la crise agricole : GNR pour gazole non routier. Ce carburant de couleur rouge sert à alimenter les moteurs des tracteurs, mais aussi et surtout les engins de chantier dans le bâtiment et les travaux publics (BTP). Moins polluant que le fioul, il a été introduit en janvier 2011 et est devenu obligatoire pour tous les engins industriels en novembre de la même année.
Les professionnels du BTP rêvent de sortir du GNR
Sauf qu'au moins dix professionnels rêvent de sortir du GNR, ne serait-ce que pour respecter les dates-butoirs de 2030 et de 2050 imposées par la stratégie nationale bas-carbone. Bouygues Construction, Colas, Eiffage, Haulotte, JCB, Kiloutou, Manitou Group, NGE, Salti et Volvo viennent donc de créer une Communauté des acteurs du matériel durable (CAMD).
Objectif partagé : bâtir un socle de connaissances et une trajectoire de décarbonation commune. L'association CAMD aura pour mission d'identifier les projets transversaux autour des enjeux technologiques de la filière - les énergies, les motorisations et les mesures de CO2 - et, bien sûr, des évolutions réglementaires, telle la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) qui fixe de nouvelles normes extra-financières depuis le 1er janvier 2024.
« Le matériel représente 20% des émissions de CO2 du BTP. Nous avons la conviction que la solution ne peut être trouvée qu'en agissant de concert », justifie le président de la CAMD, Olivier Colleau, président exécutif de Kiloutou (1,2 milliard de chiffre d'affaires, 2è loueur français, 3è européen).
L'équation économique reste l'un des principaux freins à lever
Ses deux vice-présidents ne disent pas autre chose. « Pour tenir le timing de la neutralité carbone, nous devons être capables d'aligner nos stratégies. Si nous prenons des décisions isolées, nous aurons peu de chances d'y parvenir », déclare ainsi Patrick N'Kodia, directeur de la transformation de Bouygues Construction, filiale du géant du BTP et des médias.
Sauf que l'équation économique reste l'un des principaux freins à lever. Passer d'un matériel thermique à un matériel électrique coûte en effet deux fois plus cher. « Ce matériel est plus onéreux tout simplement parce que les technologies ne sont pas produites en quantité nécessaire. Si nous voulons davantage de volumes, il faut une incitation fiscale », estime ainsi Michel Denis, directeur général du Manitou group, spécialisé dans la fabrication d'engins et de machines.
Il ne croit pas si bien dire. Aujourd'hui, une incitation fiscale porte non pas sur l'électricité ou l'hydrogène, mais sur le gazole non routier, 40% moins cher que le gazole traditionnel. A ceci près que ce soutien au GNR agricole coûte 1,3 milliard d'euros par an à Bercy, celui au GNR non-agricole 1,1 milliard.
Le gouvernement ne prévoit aucun dispositif d'accompagnement
Un coût non-négligeable pour les finances publiques que Bruno Le Maire a tenté de corriger en septembre 2023. En pleine préparation du budget 2024, le ministre de l'Economie s'engage alors à supprimer cette niche fiscale « tout simplement pour faire basculer notre fiscalité d'une fiscalité brune - c'est une fiscalité qui incite à consommer des énergies fossiles, donc c'est mauvais pour le climat - à une fiscalité qui valorise les investissements verts ».
Et le patron de Bercy de faire savoir que la fin de la défiscalisation s'appliquerait progressivement à partir du 1er janvier 2024 et jusqu'à 2030 pour le bâtiment et les travaux publics, voire au-delà pour les agriculteurs. Sauf qu'en déplacement dans une exploitation agricole fin janvier, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé l'abandon de la hausse progressive jusqu'en 2030 de la fiscalité sur le gazole non routier.
D'ici là, le gouvernement ne prévoit, pour l'instant, aucun dispositif d'accompagnement, type bonus électrique. C'est du moins ce qu'affirme le délégué général de DLR, la fédération des secteurs de la distribution, de la location, de la maintenance et des services pour les matériels destinés à la construction et à la manutention.
« Nous sommes allés rencontrer l'Etat pour leur demander des subventions de 60-100 millions d'euros - ce qui n'est rien pour le budget de l'Etat - mais surprise, la haute administration n'avait pas pris en compte dans sa réflexion la spécificité des matériels de chantier et de BTP », s'étonne encore Hervé Rebollo auprès de La Tribune.
Pas de véritable politique industrielle non plus
De la même façon que les fabricants de matériels, regroupés au syndicat du syndicat Evolis, regrettent qu'« il n'y ait pas de véritable politique industrielle pour le secteur des machines et équipements afin de protéger (surveillance du marché aux frontières, mesures anti-dumping, ..) et soutenir les fabricants européens en valorisant leurs innovations écologiquement vertueuses ».
A cela s'ajoute un ultime problème et non des moindres : l'alimentation en énergie des chantiers. Puisqu'ils sont non routiers, les matériels ne peuvent s'approvisionner en dehors de la zone de travaux et l'énergie doit leur être apportée sur site. Ce qui suppose d'y installer des bornes de recharge ou des stations d'avitaillement mobiles...
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