Construire durable, habiter responsable, les nouvelles frontières de l'architecture

ÉVÉNEMENT Le Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim), qui se tiendra à Cannes du 12 au 15 mars 2019, aura pour thème « l'immobilier durable et responsable ». Les professionnels tentent de définir ce concept et d'apporter des réponses.
César Armand
(Crédits : Philippe Wojazer)

L'immobilier durable et responsable, un simple effet de mode ? Le secteur du BTP demeurant le premier émetteur de gaz à effet de serre, il est permis d'en douter. Mais, de l'avis de la majorité des professionnels, ce type d'immobilier est devenu une réalité.

« C'est un immeuble qui sait s'adapter aux transitions énergétique, carbone, écologique (biodiversité, matériaux...) et numérique, souligne Jean-Éric Fournier, directeur du développement durable de l'investisseur Covivio. Cela impose également davantage de flexibilité, notamment dans l'usage et l'occupation des lieux. »

Les architectes, qui portent la responsabilité de tous les aspects d'un bâtiment, de sa conception au suivi économique du projet, jugent au contraire qu'« il reste beaucoup à faire pour un urbanisme responsable, durable, écologique ». Le président du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), Denis Dessus, pense qu'il faut agir en priorité « sur une rénovation du bâti existant » et « sur la reconquête d'une cité capable d'intégrer des notions avancées sur la santé et la biodiversité, douce et inclusive » .

Les professionnels travaillent donc à l'atténuation de leur empreinte environnementale en accélérant les programmes en faveur de l'efficacité énergétique. Fort d'une base de données anonymisée de 17.000 immeubles privés et publics d'un total de 37 millions de mètres carrés, l'Observatoire de l'immobilier durable (OID) plaide pour une approche globale.

« On ne peut plus prôner la rénovation si on ne parle pas de sobriété des comportements, analyse son directeur Loïs Moulas, d'autant plus que cela pose d'autres questions, comme la comparaison avec les actions lourdes de rénovation. »

15%, c'est la moyenne de diminution des consommations après une rénovation dans un bâtiment tertiaire.

« Transmettre un bâtiment sur un siècle et demi est une erreur, un passif plutôt qu'un actif », assène Robin Rivaton, directeur général de l'association Real Estech, qui promeut l'innovation dans l'immobilier.

Il existe pourtant des outils pour simuler l'état du patrimoine dans le temps et anticiper la maintenance. Le gestionnaire Oxand, par exemple, récupère les informations-clés, crée une base de données et les modélise en un tableau de bord dynamique.

« Cela produit un scénario de référence où il est possible de zoomer (type de chauffage, date de réhabilitation...) et de comprendre (performance énergétique, risque amiante...) afin de prioriser les travaux », précise Timothée Boutrolle d'Estaimbuc, son directeur chargé de l'immobilier public.

Une vision sur le long terme

Dans la construction neuve, les promoteurs-constructeurs portent, eux, attention aux émissions de dioxyde de carbone dès le début du chantier.

« Ces dernières années, on s'intéresse à l'énergie grise, les consommations nécessaires à la construction », explique Ludovic Chambe, directeur du développement durable chez CBRE, conseil et gestionnaire en immobilier d'entreprise, pour qui « c'est le signe que ça s'intensifie ».

« Nous devons y penser à chaque phase de l'opération, de l'acquisition à l'exploitation en passant par les travaux », renchérit le promoteur Samuel Gelrubin, président du groupe Terrot. Les bureaux d'études coûtent un peu cher, confie-t-il, mais « nous savons qu'en termes de clim', de ventilation ou de chauffage ensuite, ce seront des coûts d'exploitation en moins ».

Les clients finaux exigent en outre toujours plus de labels, type Bâtiment basse consommation (BBC) ou Haute qualité environnementale (HQE), après s'y être engagés auprès de leurs actionnaires et/ou de leurs banquiers.

« Tout ce qui est certification est réalisé par des organismes para-professionnels qui s'imposent à nous sans statut légal », nuance toutefois Frank Hovorka, délégué à l'innovation de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI). C'est pourquoi l'organisation internationale RICS traduit actuellement « des critères d'impact positif » dans l'évaluation des biens afin d'arriver à « un circuit fluide d'obtention de prêt à taux réduit pour le client ».

« Si nous arrivons à traduire cela en financiarisation, tout le monde aura intérêt à créer des immeubles performants », veut-il croire.

La performance viendra sans doute aussi de l'obligation prévue par la loi Élan de rénover tout parc tertiaire supérieur à 1.000 m2. Le décret d'application prévu pour cette année aura « un effet accélérateur », espère Philippe Pelletier, président du plan Bâtiment durable (PBD).

« La vraie sanction sera financière et viendra du marché. Lorsque vous vendrez le bien, vous devrez dire ce qui a été fait. Si ce n'est pas le cas, l'acquéreur pourra décoter le prix, car il devra avancer l'argent lui-même. »

Dans le parc privé, le réseau d'agences Orpi, déjà associé au PBD, finalise un partenariat avec l'Ademe pour favoriser la rénovation dans son réseau.

« Il s'agira de rendre lisible le processus et d'encourager les propriétaires à faire des travaux, justifie la présidente d'Orpi, Christine Fumagalli. Nous les accompagnerons dans les montants et les aides de même que nous leur expliquerons en quoi c'est synonyme de valorisation future. »

L'année prochaine, c'est la réglementation environnementale (RE) 2020 qui remplacera la réglementation thermique (RT) 2012 pour intégrer le poids carbone du bâtiment de sa construction à sa déconstruction. Recours aux énergies renouvelables, isolation phonique... les dispositions ne manquent pas.

« Selon le choix des matériaux dès la construction, nous pouvons réduire la présence des composés organiques volatiles et ainsi améliorer la qualité de l'air intérieur », assure même Sébastien Matty, président de GA Smart Building.

Cette question de l'habitat responsable se pose en outre en termes d'usages. Aujourd'hui, les promoteurs ne se contentent plus d'obtenir un permis de construire auprès des maires et de quitter les lieux dès la livraison. Au contraire, ils co-aménagent les espaces communs avec les résidents et s'allient à l'écosystème.

« Nous interrogeons les gens du quartier avec MadeInVote pour identifier les besoins, puis nous montons des ateliers pour connaître les services que les acquéreurs souhaitent, détaille Sophie Rosso, la directrice des opérations de Quartus. Enfin, nous restons dans l'opération et apportons les demandes exprimées (garde d'enfants...) ».

Le défi de l'explosion urbaine

Les uns baptisent cette démarche « RSIE » pour « Responsabilité sociale et immobilière de l'entreprise » (Ludovic Chambe, CBRE). Les autres la qualifient de « RTE » pour « Responsabilité territoriale d'entreprise » (Sophie Rosso, Quartus).

Quoi qu'il en soit, « les clients souhaitent que nous contribuions à l'économie locale en faisant appel à des entreprises ancrées dans les territoires », résume David Ernest, directeur innovation et énergies de Vinci Facilities.

L'architecture, l'ingénierie et la construction vont dans le même temps être confrontées à l'explosion urbaine d'ici à 2050. L'éditeur de maquettes numériques (BIM) Autodesk a modélisé qu'il faudrait livrer dans les trente ans 13.000 bâtiments (écoles, équipements publics, logements) par jour au lieu de 3.000 actuellement.

« Le contenant va rester. C'est le mode de production qui va changer », note le vice-président Nicolas Mangon, qui recommande la préfabrication.

Cette technique, qui augmente de 30 % la production immobilière et atténue de 90% celle des déchets, est déjà utilisée en France par les constructeurs et les promoteurs. Le distributeur Syscobat conçoit et intègre en usine de l'ouate de carton recyclé dans un système constructif à base de bois et de béton, avant de l'apporter sur site.

« Cela utilise quatre fois moins d'eau, cinq fois moins de ressources, et l'impact sur le dérèglement climatique est divisé par sept », promet son président Yves Martorana.

Tournée prioritairement vers les régions avant le Grand Paris, la foncière de bureaux Inea revendique, pour sa part, d'être la première en matière de construction en bois lamellé-croisé. Avec Nexity, elle a ainsi livré en 2013 à Orange quatre bâtiments de bureaux sur un seul et unique site à Aix-en-Provence. « Après avoir remporté l'adhésion des représentants syndicaux, le cadre de vie a immédiatement satisfait les collaborateurs », se souvient Philippe Rosio, président d'Inea.

L'heure est par ailleurs déjà à la maquette numérique à l'échelle de la ville. Le CIM, pour City Information Modeling, permet effectivement d'imaginer les bâtiments de demain dans leur métabolisme urbain. Toutefois, chacun des acteurs a encore son logiciel propre et les fichiers sont parfois trop lourds pour être ouverts simultanément sur différents ordinateurs.

« Plutôt que de recevoir le détail des coulées de béton, il faudrait que nous arrivions à modéliser à la bonne échelle pour extraire la bonne information, explique Constance de Batz, directrice des opérations chez MBAcity. À échelle 100 pour le CIM, à échelle 1 pour l'exécution. »

« Les outils numériques sont devenus indispensables à notre quotidien et indissociables des opérations, mais il n'en demeure pas moins qu'ils doivent rester à leur place d'outil et ne pas nous dicter nos usages, relève de son côté Vincent Ferry, directeur des innovations de la ville de la branche Eiffage Construction. Ils doivent nous permettre de mieux concevoir et de mieux mettre en oeuvre pour rendre les villes et les bâtiments plus efficients et plus résilients. »

Au coeur de la reconversion urbaine, Novaxia achète des immeubles, les finance, réunit des investisseurs avant de donner une nouvelle vie à ces lieux à un horizon de six à huit ans.

« Si notre pays est riche de milliards d'euros, les caisses de l'État et des collectivités sont vides, remarque son président Joachim Azan. Pourquoi n'essaierait-on pas le Plan d'épargne urbain (PEU), comme il existe le Plan d'épargne en actions (PEA) depuis 1992 et le PEA-PME ? Cela permettrait de répondre au manque de logements intermédiaires. »

Toujours est-il qu'en attendant des dispositions réglementaires, les opérationnels s'activent pour penser aux besoins de demain.

« Lorsque nous développons des nouveaux quartiers, il faut penser à la fois aux boîtes qui accueilleront les commandes, aux bornes de recharge pour les véhicules électriques et aux mécanismes de tri sélectif dans les bureaux », estime Magali Marton, directrice des études chez Cushman & Wakefield France.

Ces boîtes aux lettres, toujours trop grandes pour les courriers simples et souvent trop petites pour les colis.

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 11/03/2019 à 9:10
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Alors que nous avons un patrimoine immobilier qui s'écroule à cause de la politique du neuf qui bénéficie d'abord et avant tout aux mégas riches, on a bien l'impression que plutôt que de pencher sur ce problème majeur que les architectes avec d'autre...

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