Alzheimer, Parkinson : le recyclage de médicaments, nouvelle stratégie par défaut ?

Les stratégies thérapeutiques classiques dans le domaine des maladies neurodégénératives connaissent des taux d'échec décourageants. Et, de fait, plusieurs sociétés se sont lancées ces dernières années dans des alternatives moins coûteuses et souvent moins ambitieuses: l'utilisation et l'association de médicaments présents sur le marché pour d'autres indications, ou le rachat de molécules abandonnées.
Jean-Yves Paillé
99,6% des médicaments contre Alzheimer échouent dans les phase I, II,et III des essais cliniques.

Les maladies neurodégénératives restent l'un des domaines thérapeutiques les plus risqués pour l'industrie pharmaceutique. Pour les maladies de Parkinson et d'Alzheimer, il n'existe sur le marché que des molécules s'attaquant aux symptômes, notamment les troubles moteurs ou de la mémoire. L'industrie pharmaceutique ne cesse de connaître des échecs cuisants dans ces pathologies lors des essais cliniques. Ainsi, 99,6% des médicaments contre Alzheimer échouent dans les phase I, II et III. Pas moins de 123 développements de molécules ont été arrêtés entre 1998 et 2014, et seuls quatre médicaments ont été approuvés sur la même période.

Cela pousse le secteur pharmaceutique à développer de nouvelles stratégies. Certaines se focalisent sur la réduction du risque de perte financière importante en cas d'échec clinique. Car le coût des essais cliniques est conséquent pour les maladies neurodégénératives en raison de "leur durée supérieure à la moyenne, et du développement lent de la maladie", expose à "La Tribune" Stéphane Epelbaum, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et chercheur à l'Institut du cerveau et de la moelle-épinière (ICM).

Ces dernières années, les adeptes du recyclage de molécules tombées dans le domaine public et du rachat de molécules abandonnées par les laboratoires pour des raisons stratégiques se sont multipliés. Les sociétés y recourant procèdent à des criblages virtuels, c'est-à-dire des tests biologiques in silico pour trouver les molécules les plus à même de cibler une maladie. "Elles déterminent si le métabolisme des médicaments pour certaines indications peut correspondre à une autre maladie, espérant qu'ils produisent un effet bénéfique pour le patient. Cette méthode est facilitée par les nouvelles connaissances acquises autour des maladies neurodégénératives", décrypte pour La Tribune Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation nationale de coopération scientifique maladie d'Alzheimer.

Repositionnement de médicaments : deux biotech françaises en lice

En 2017, sur 100 traitements en cours d'essai clinique en 2017, on recense 18 médicaments-candidats en phase II, et 9 en phase III contre la maladie d'Alzheimer s'appuyant sur le repositionnement dans une autre indication de molécules tombés dans le domaine public, selon un rapport publié par l'éditeur de littérature scientifique Elsevier.

Deux biotech françaises cotées en Bourse recourent à cette stratégie et tentent de trouver un effet thérapeutique en combinants des molécules. Pharnext développe le PXT864, en phase II, qui associe le baclofène (utilisé contre l'addiction à l'alcool) à  l'acamprosate. Cette combinaison vise à ralentir l'évolution des troubles cognitifs au stade léger d'Alzheimer. Une indication contre Parkinson est également prévue.Theranexus prévoit quant à lui de lancer un essai clinique l'année prochaine pour s'attaquer aux pertes de mémoire, de raisonnement et d'orientation provoquées par la maladie d'Alzheimer, en couplant le donepezil -déjà utilisé contre la maladie neurodégénérative- à la mefloquine -une molécule contre le paludisme-.

A l'étranger on recense Chase Pharma (Allergan), qui développe le CP201, associant le donepezil avec un anticholinergique. Ou encore Avanir (Otsuka) utilisant la dextrométhorphane (molécule prescrite contre la toux) pour calmer des troubles du comportement dus à la maladie d'Alzheimer. Des institutions et organismes de recherche se positionnent également sur cette stratégie, à l'instar de l'Alzheimer's Drug Discovery Foundation. Ce dernier tente de tirer des effets bénéfiques d'un antidiabétique la liraglutide, contre Alzheimer.

Concernant le rachat de molécule abandonnées par des sociétés pharmaceutiques, un exemple a beaucoup fait parler dans le secteur du médicament. La biotech suisse Roivant Sciences (Axovant) a réalisé une levée de fonds record de plus d'un milliard de dollars.   Elle travaille sur quatre essais cliniques dans la démence, avec des molécules rachetées pour quelques millions d'euros, dont l'intepirdine de GSK.

Réduire le temps de développement

Que ce soit contre la maladie de Parkinson, ou Alzheimer, la plupart des sociétés recourant au recyclage de molécules n'ont pas l'ambition de ralentir l'évolution de ces maladies. Leurs traitements-candidats font partie du tiers des molécules en développement dédiées à la lutte contre les troubles dus à la maladie.

Une stratégie assumée par une société comme Theranexus. La biotech française l'a seriné lors de la présentation de son projet d'introduction en Bourse, le 11 octobre: sa stratégie est "dérisquée" et "centrée sur la valeur économique et clinique". "Nous réduisons le temps et le coût de développement, le risque dans des maladies où le taux d'échec est supérieur à d'autres aires thérapeutique", expliquait alors à La Tribune Thierry Lambert, Directeur administratif et financier de la société.

Outre les économies réalisées en R et D en utilisant des molécules dont le brevet est tombé, Theranexus saute la phase I, étape où la tolérance du produit est mesurée. "Quand les phase I, voire les phases II, sont déjà effectuées, les laboratoires peuvent ainsi aller plus vite et dépenser moins pour les essais cliniques", abonde Philippe Amouyel.

Theranexus espère obtenir de bons résultats pour faire partie des rares élus pour vendre les licences de ses traitement-candidat à prix d'or, voire parvenir à des transactions plus poussées. A l'exemple de Chase Pharma en 2016 qui a été racheté par Allergan pour un montant pouvant atteindre un milliard de dollars. Ou Avanir vendu en 2014 pour 3,5 milliards de dollars à Otsuka.

Quelle valeur scientifique (et donc économique) possible ?

Pour le moment, le recyclage de médicaments n'a pas fait ses preuves contre les maladies neurodégénératives. Dernièrement, Axovant a échoué avec l'intepirdine en phase III: les patients n'ont pas montré de signe d'amélioration cognitive durant l'essai clinique. Le groupe, qui a perdu les trois-quarts de sa valeur boursière, devrait retenter sa chance avec le Nelotanserin,.racheté à Arena Pharmaceuticals, contre les hallucinations provoquées par les démences.

La stratégie du recyclage de molécules va-t-elle apporter un jour de vrais bénéfices pour les patients ? Stéphane Epelbaum en doute, en particulier pour les nouvelles utilisations de médicaments déjà sur le marché: "Les bases scientifiques des produits de reconditionnement ne sont peut-être pas aussi solides que celle des nouvelles molécules. Il y a certes moins de prise risque en termes de tolérance et de coût investi, mais les prises de risque en termes de chance de trouver une efficacité sont plus importantes." Et si les sociétés recyclant des molécules parviennent "à lever des fonds considérables", c'est parce que "la prise de risque scientifique est moins facile à filtrer", juge-t-il. Le BioMed Central, une plateforme de publications scientifiques, est également circonspect. Dans une analyse sur les stratégies thérapeutiques contre Alzheimer, elle voit dans le recyclage des molécules "une alternative prometteuse", mais qui ne "devrait pas avoir d'impact majeur sur l'objectif du traitement anti-maladie d'Alzheimer en 2025".

Commencer les traitements avant l'apparition des symptômes ?

Pour Philippe Amouyel, le son de cloche est légèrement différent. Les combinaisons de médicaments utilisés pour d'autres indications  pourraient donner de bonnes surprises, selon lui. "En combinant deux médicaments, on peut baisser les doses et donc leurs effets secondaires. On peut en outre avoir des effets nouveaux, inconnus jusque-là, et potentiellement avec les interactions médicamenteuses".

La majorité des scientifiques s'entend au moins sur un point: l'idéal serait de commencer les traitements avant l'apparition des symptômes, pour avoir plus de chances ralentir l'évolution de la maladie. La pathologie peut s'amorcer 20 ans avant qu'un diagnostic clinique soit établi. D'après Philippe Amouyel,on s'oriente  vers une médecine personnalisée. "Un médicament seul ne traitera pas la maladie d'Alzheimer. Il y aura un ensemble prédictif pour déterminer le risque de développer la maladie et des médecines personnalisées, en sachant qu'il existe plus de vingt raisons de la contracter."

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 07/11/2017 à 13:12
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Sûr que de vouloir "soulager" une fois la maladie une fois en place, c'est mission difficile. Espérons qu'on trouvera, pour ne pas traiter 20 ans avant les gens concernés, comment elle démarre pour l'enrayer. Le baclofène est myorelaxant, son usage...

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