Dix millions de tonnes de CO2, soit un sixième des émissions de gaz à effet de serre du secteur manufacturier français. C'est ce qu'émet chaque année le complexe industriel de la vallée de Seine qui s'étire le long des méandres du fleuve entre Rouen et Le Havre. Autant dire que, dans ce temple du raffinage et de la chimie, troisième grand bassin industriel émetteur après Dunkerque et Fos-sur-Mer, la promesse d'Emmanuel Macron de doubler les fonds alloués à la décarbonation de l'industrie de 5 à 10 milliards n'est pas tombée dans l'oreille de sourds.
Le ministre de la Transition écologique a pu en prendre la mesure en se rendant mercredi dans l'usine rouennaise de Saipol, une entité du groupe Avril, pour rencontrer les patrons de la place. L'Élysée voudrait voir divisées par deux les émissions de gaz à effet de serre dans les grandes zones industrialo-portuaires ? Nous sommes prêts à dégainer, lui ont expliqué en substance les intéressés.
Une approche en mode pack
A la manœuvre, l'établissement portuaire Haropa et les trois associations qui fédèrent les entreprises des principales zones industrielles formant le complexe de l'Axe Seine : Synerzip au Havre, Upside à Rouen et Incase à Port-Jérôme. « On a fait cause commune », a souligné, devant le ministre, Stéphane Raison, patron d'Haropa. Une méthode à l'échelle du bassin saluée par Christophe Béchu.
« Cette capacité de chasser en meute est exemplaire. L'État peut s'inspirer de ce qui se fait ici. »
Les quatre entités seront les premières à déposer, dès la semaine prochaine, une réponse groupée à l'appel à projets ZIBAC (Zone industrielle bas carbone) de l'Ademe sous la forme d'une longue liste de trente projets de décarbonation. Installation de panneaux photovoltaïques, valorisation des déchets et de la chaleur fatale, production d'hydrogène, capture du CO2... Sur le papier, le plan est ambitieux. « Si ce projet réussit, nous deviendrons la première zone industrialo-portuaire décarbonée au monde », assure Régis Saadi, directeur des affaires publiques.
Entre appel du pied à l'État et calendrier serré
Pour le mettre en œuvre, les industriels attendent néanmoins un soutien fort du gouvernement - sous-entendu, plus massif que ce qu'a annoncé l'Élysée. « La visibilité règlementaire et fiscale n'incite pas à ce que les investissements soient fléchés vers la France, rappelle à La Tribune Jean-Philippe Petit, président d'Incase. Les industriels sont prêts à prendre leur part, mais l'État doit prendre la sienne ».
Vues sous cet angle, les réserves émises mercredi par le ministre de la Transition écologique sur la technologie du captage et du stockage de CO2 (CCS), pierre angulaire de la feuille de route qui sera soumise à l'Ademe, ne semblent pas de bon augure. Pour l'ancien maire d'Angers, la mise en œuvre du CCS prévue en 2027 ou 2028 est à une échéance un peu trop lointaine - comprendre, au-delà de la fin du mandat d'Emmanuel Macron.
« Ce doit être complémentaire des ambitions de court terme », a-t-il insisté devant les industriels.
De quoi doucher un peu l'enthousiasme des cinq membres du consortium Eco2 (Yara, Borealis, TotalEnergies, ExxonMobil, Air Liquide) qui porte le projet avec la complicité d'Haropa. « Que l'on m'explique comment faire autrement pour se débarrasser massivement du CO2 », s'interrogeait l'un d'eux, en coulisses, à la fin de visite ministérielle.
« Aujourd'hui, il est illusoire de penser que nous aurons assez de courant pour produire de l'hydrogène décarboné en quantité suffisante à court terme », ajoutait un autre.
Mais le ministre était déjà remonté dans sa voiture.
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