Doubler la part du ferroviaire dans les flux logistiques d'ici 2030. C'est l'objectif fixé par le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari lors du lancement de la nouvelle stratégie nationale pour le fret ferroviaire, le 13 septembre, à l'occasion de la Semaine de l'innovation du transport et de la logistique (SITL) au parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. Cette annonce s'est doublée de la signature d'un pacte pour le développement du secteur avec ses principaux acteurs, représentés par l'Alliance 4F « Fret ferroviaire français du futur », l'Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) et SNCF Réseau.
« Dans le secteur de la logistique, il y a un mode qui a peut-être été le parent pauvre des politiques publiques ces dernières années, c'est le fret ferroviaire. Toutes les belles intentions ont été proférées à son égard, mais nous pouvons constater que le succès n'est pas au rendez-vous », déplore en introduction le ministre. Alors que la moyenne européenne se situe autour de 18 %, voire au-delà de 30 % en Suisse et en Autriche, la part modale du fret ferroviaire en France n'est que de 9 %.
Le volume d'activité a également connu une véritable hémorragie depuis l'an 2000, avec une chute de 43 %. La libéralisation du secteur en 2006 et la fin du monopole de Fret SNCF (qui représente aujourd'hui 55% du marché) n'a visiblement pas réussi à endiguer cette chute. Juste avant la crise sanitaire, le fret ferroviaire français ne représentait plus que 33 milliards de tonnes au kilomètre, soit quatre fois moins qu'en Allemagne, champion européen du secteur. A titre de comparaison, le transport routier est le seul à avoir progressé depuis 2000 (+16 %) et représentait 322 milliards de tonnes au kilomètre en 2019.
Retrouver de la croissance
Avec cette stratégie, Jean-Baptiste Djebbari se veut donc conquérant, parlant d'une « grande ambition » avec la volonté de doubler la part du ferroviaire dans le volume de fret d'ici 2030, la faisant ainsi passer de 9% à 18%. Un objectif inscrit dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique (loi « climat-résilience ») promulguée fin août. S'il était atteint, le secteur retrouverait ainsi des volumes de l'ordre de 65 milliards de tonnes au kilomètre selon les prévisions de croissance actuelles.
Attendue de longue date - elle était prévue dans la loi d'orientation des mobilités (loi « LOM »), promulguée fin 2019 - cette stratégie se traduit par 72 mesures « pour répondre aux principales difficultés du secteur », selon le ministre des Transports. Elles se déclinent selon quatre axes : assurer la viabilité des services et la pérennité du modèle économique des opérateurs de fret ferroviaire, améliorer la qualité de service fournie par SNCF Réseau, renforcer la performance des infrastructures permettant le développement du fret ferroviaire, et développer la coordination avec le portuaire et le fluvial.
Une stratégie qui semble avoir recueillie l'adhésion des professionnels du secteur, qui se sont engagés à travers un pacte à la mettre en oeuvre. Denis Choumert, président de l'AUTF (qui représente les chargeurs), s'est montré enthousiaste : « pour la première fois depuis longtemps que les acteurs privés et publics ont travaillé ensemble ». Raphaël Doutrebente, président d'Europorte (filiale de fret ferroviaire du groupe Getlink) et représentant de l'Alliance 4F (opérateurs de fret), a lui salué « un texte inédit » et « un engagement pour l'ensemble de la filière ».
Il faut dire que cette stratégie gouvernementale reprend à son compte l'objectif de 18 % fixé par l'Alliance 4F dans un rapport publié en juin 2020, comprenant 30 propositions « pour doubler la part de marché du fret ferroviaire en 2030 ». Cela n'a pas empêché Raphaël Doutrebente de prévenir qu'il fallait désormais « passer du pacte aux actes ».
170 millions d'euros par an pour les opérateurs
Pour porter cette stratégie, Jean-Baptiste Djebbari mise sur le déblocage de moyens financiers « conséquents » à destination du secteur, après plusieurs décennies marquées par un sous-investissement massif et une priorité donnée au transport de passagers. Il a annoncé la pérennisation jusqu'en 2024 de l'aide annuelle de 170 millions d'euros accordée cet été pour la prise en charge exceptionnelle des coûts de péage. Elle devrait permettre de couvrir 70 % de ces coûts en 2021, puis environ 50 % les années suivantes. Ce qui doit doper la compétitivité du secteur.
Selon le ministre, ces investissements doivent aussi permettre de soutenir des secteurs stratégiques. Il cite ainsi le secteur des wagons isolés, avec une aide à hauteur de 70 millions d'euros en 2021, et les services de transport combinés, ainsi que le redémarrage de trois autoroutes ferroviaires, à savoir Calais-Sète, Cherbourg-Bayonne et Perpignan-Rungis (qui pourrait être étendue jusqu'à Barcelone en Espagne, puis vers Anvers en Belgique et Calais).
Priorité à la modernisation des infrastructures
Reste à savoir quel sera l'impact de ces investissements sur l'activité. Selon un rapport de 2020 de l'autorité de régulation des transports (ART), la différence avec un pays comme l'Allemagne ne s'explique ni par le poids des péages dans les revenus ni par le montant des tarifs pratiqués par les opérateurs de fret sur le marché français. Elle voit davantage la difficulté d'accès aux infrastructures ferroviaires et aux installations de services comme l'une des causes du décrochage français.
S'il a salué l'attribution des 170 millions d'euros annuels « après plusieurs mois d'attente », Raphaël Doutrebente estime également qu'investir sur les infrastructures est désormais la priorité : « Maintenant, il faut absolument que SNCF Réseau puisse moderniser le réseau. Il y a beaucoup d'endroit où l'on ne peut plus circuler ». Le représentant de l'Alliance 4F explique également que si 80 % du réseau français est électrifié, les voies secondaires ne sont pas alimentées, obligeant ainsi à un changement de locomotive pour les derniers kilomètres.
Il a a priori été entendu par Jean-Baptiste Djebbari qui a promis un milliard d'euros supplémentaire pour la modernisation des infrastructures de réseaux. Le détail de cet investissement doit être finalisé dans les prochaines semaines. Il combinera des financements issus des collectivités locales, de l'Etat, de l'Union européenne, ainsi que du plan de relance.
Raphaël Doutrebente, qui voit dans cette modernisation la condition sine qua non pour permettre aux opérateurs de remonter en puissance, demande donc que ce milliard d'euros soit sécurisé au plus vite : « II faut que Bercy nous permette d'acter un véritable investissement d'avenir. SNCF Réseau doit pouvoir se projeter au niveau des travaux jusqu'en 2030 et au-delà. Et 2030, c'est demain ». Avant de conclure : « En France, l'investissement par habitant dans le ferroviaire est de 40 euros. En Allemagne, c'est 77 euros, au Royaume-Uni, c'est 116 euros, et en Suisse, c'est 360 euros. Nous avons encore des progrès à faire, mais si on double, ce sera déjà bien. »
Un écart impossible à combler ?
Même s'ils se concrétisent intégralement, les investissements prévus dans la stratégie gouvernementale pourraient donc ne servir qu'à limiter l'écart avec les autres pays européens qui vont également continuer à développer leur fret ferroviaire. Alors que la France vise 18 % de part modale pour le fret ferroviaire en 2030, d'autres se projettent bien au-delà. C'est le cas de la coalition d'opérateurs européens de fret ferroviaire Rail Freight Forward, qui soutient un objectif de 30 % en 2030.
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