Le constat est alarmant. Quatre ans après l'accord de Paris sur le climat et alors que s'ouvre lundi 2 décembre la COP 25 à Madrid, la planète n'a toujours pas pris la mesure des enjeux. Et le temps presse, préviennent les experts de l'Unep, le programme des Nations unies pour l'environnement. Sans mesures radicales et immédiates, l'objectif de limiter la hausse des températures à 1,5°C d'ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustriels ne pourra pas être atteint. Au rythme actuel, le réchauffement pourrait se chiffrer entre 3,4 à 3,9°C d'ici la fin du siècle.
Dans un rapport publié le 26 novembre, l'Unep souligne que les émissions de CO2 doivent baisser de 7,6% par an au cours de la prochaine décennie pour suivre la trajectoire de 1,5°C. Et de 2,7% pour limiter le gain à 2°C. Des chiffres "choquants", selon Inger Andersen, présidente de l'organisation, et qui "peuvent paraître impossible à atteindre". Mais qui sont le résultat de "dix ans de procrastination climatique". "Les émissions de CO2 sont identiques aux projections faites il y a dix ans", déplore l'économiste danoise.
En dix ans, pourtant, beaucoup de choses ont changé. Feux géants en Californie, canicule record en Europe, inondations à répétition à Venise... Les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles. Elles ont marqué l'opinion publique, suscité une prise de conscience et alimenté des manifestations pour le climat d'une ampleur encore jamais vue, symbolisées par la jeune militante suédoise Greta Thunberg et par les mouvements de désobéissance civile Youth for Climate ou Extinction Rebellion. "C'est la première fois que l'humanité se considère comme une espèce en danger", résume l'essayiste américain Jeremy Rifkin.
Responsabilité des gouvernements
A défaut de déboucher sur des objectifs contraignants, la conférence de Paris sur les changements climatiques, la COP 21, avait laissé entrevoir un élan sans précédent dans la lutte contre le réchauffement climatique, célébré par les responsables politiques. Mais celui-ci s'est depuis fortement essoufflé. Début novembre, les Etats-Unis ont officiellement engagé leur retrait de l'accord de Paris, un accord "horrible, coûteux, unilatéral", selon Donald Trump. Au Brésil, Jair Bolsonaro, élu au poste de président fin 2018, partage la même vision que le locataire de la Maison blanche. Et en Chine, le rythme d'ouverture de centrales à charbon reste élevé.
Dans un autre rapport publié fin novembre, l'Unep souligne d'ailleurs que la production de charbon reste beaucoup trop élevée pour atteindre l'objectif d'une augmentation maximale de 2°C de la température d'ici à 2100. Pire encore, elle devrait encore légèrement augmenter au cours des prochaines années, alors même qu'une forte baisse serait nécessaire. Le constat est similaire pour le pétrole et le gaz. En 2030, la planète produira ainsi 53% trop d'énergies fossiles par rapport à la trajectoire des 2°C. Et cet "écart de production" ne devrait aller qu'en s'accroissant.
Pour le programme des Nations Unies, les gouvernements ne peuvent pas s'exonérer de leur propre responsabilité. Car ils financent des projets d'infrastructures, accordent des subventions publiques ou des crédits d'impôts, encouragent l'exploration des sous-sols... Quand ils ne sont pas actionnaires des principaux producteurs de pétrole, de gaz ou de charbon. Ils s'y retrouvent en termes de sécurité énergétique, de recettes fiscales, de balance commerciale ou d'emplois. "Même les pays réputés leaders en matière de lutte contre le réchauffement climatique, comme le Canada et la Norvège, affirment vouloir maximiser leurs exportations de combustibles fossiles", note Michael Lazarus, du Stockholm Environment Institute.
"Excepté en Europe, peu de décisions sont prises au sujet des trajectoires de réduction des émissions", regrette Bertrand Camus, le directeur général de Suez (lire son entretien page 6 et 7). Celui-ci reste cependant optimiste, constatant "un élan qui n'existait pas auparavant parmi les acteurs industriels, auprès des citoyens, auprès de la jeunesse". Sous la pression des consommateurs ou de leurs salariés, de nombreuses grandes entreprises insistent désormais sur la réduction de leurs émissions de CO2. Et elles s'engagent pour certaines à atteindre la neutralité carbone.
Enjeu électoral fort
"La transition écologique a longtemps été un argument de RSE (responsabilité sociale des entreprises, ndlr) pour les entreprises, reconnaît Isabelle Kocher, la directrice générale d'Engie. Mais elle est aujourd'hui au coeur de leur révolution". Si les engagements se multiplient, c'est aussi parce que "le développement durable peut-être un vecteur d'activité: c'est élément forte de différenciation", ajoute Sophie Cambon, directrice RSE et développement durable de la SNCF.
Les efforts des sociétés ne sont pas seulement un moyen de satisfaire ou d'élargir leur clientèle. Ils sont également de plus en plus importants pour attirer de jeunes diplômés. Plus de 30.000 étudiants de plus grandes écoles françaises ont en effet signé un "manifeste pour le réveil écologique", dans lequel ils s'engagent à choisir leur futur employeur en fonction de ses actions en matière de développement durable. Leurs représentants ont été reçus par des dirigeants de grands groupes.
Le secteur financier, aussi, se convertit. De nombreux fonds de pension et fonds souverains, ainsi que les branches financières de grandes universités américaines, ne souhaitent plus investir dans les énergies fossiles. En particulier dans le charbon. "Il y a une prise de conscience que certains de ces actifs ne vaudront bientôt plus grand chose", commente un directeur financier. En France, BNP Paribas a annoncé fin novembre un arrêt progressif de ses financements au secteur du charbon. "L'effondrement de la civilisation fossile va être précipité par le marché", veut ainsi croire Jeremy Rifkin.
Autre signe positif: les collectivités locales multiplient les initiatives. Un enjeu électoral fort. Selon un sondage Elabe pour La Tribune, 85 % des Français souhaitent en effet que les questions environnementales occupent une " place importante" dans les propositions des candidats aux prochaines élections municipales. Aux Etats-Unis, malgré la décision de Donald Trump, de nombreuses villes et Etats se sont engagés à respecter l'Accord de Paris.
Suffisant pour éviter le pire ? Le défi climatique requiert "une transformation massive de nos sociétés et de nos économies", souligne Inger Andersen. Et jusqu'à 3.800 milliards de dollars d'investissements d'ici à 2050.
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