La rentabilité, un modèle de financement vertueux pour ces pépites bretonnes

DÉCRYPTAGE. La lecture fantasmée de la valorisation des entreprises, c’est fini ! Le monde des startups et des jeunes entreprises est de retour dans l’économie réelle, avec à la clé une crise des financements depuis la mi-2022. Sur le territoire rennais, où des pépites comme Alcyconie revendiquent un modèle différent, les startups restent modestes mais ne rognent ni leurs ambitions commerciales ni leur envie d’impact.
Développée sur fonds propres pendant quatre ans, la startup malouine Alcyconie revendique plus de 90 clients en France, en Europe et aux États-Unis et souhaite s'imposer comme le leader européen de la cyber-résilience.
Développée sur fonds propres pendant quatre ans, la startup malouine Alcyconie revendique plus de 90 clients en France, en Europe et aux États-Unis et souhaite s'imposer comme le leader européen de la cyber-résilience. (Crédits : DR)

Moins d'argent venu des banques et hausse des taux, moins de campagnes de financement participatif (crowdfunding) parce que les critères ont changé : pour les jeunes pousses de la tech, ce sont autant de guichets d'investissement en moins. Et plus de difficultés à réunir des fonds.

L'heure de l'argent facile et de l'économie de haut de bilan est révolue : les jeunes entreprises doivent davantage convaincre par leur croissance et des chiffres réels que sur un potentiel ou un concept. « Cela a du bon, cela oblige les startups à être plus responsables de leurs résultats » jugeait en janvier dernier Hugues Meili, président-directeur général de Niji, spécialiste des services numériques, lors d'une discussion du club ETI Bretagne sur la collaboration avec les startups. « On a laissé croire que l'innovation ne pouvait être qu'hors-sol. L'économie de bas de bilan s'avère plus saine » ajoute-t-il. Au-delà du développement technologique et de la preuve de concept, le passage compliqué à la rentabilité peut aussi inspirer des modèles alternatifs.

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Alcyconie: quatre ans de croissance organique

Au sein de la French Tech Rennes Saint-Malo, où une entreprise sur deux se sent fragile financièrement, Steeple (10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023), fait ainsi figure de cas atypique. Grâce à son outil de communication interne phygital par abonnement, la scale-up en hypercroissance se finance par les ventes et n'a levé aucun fonds depuis sa création en 2015 car rentable dès le premier jour. Un « gage de stabilité » selon son dirigeant Jean-Baptiste de Bel Air.

Experte de la fidélisation des salariés grâce au tableau d'affichage numérique, l'entreprise de 110 collaborateurs a conquis 1.500 clients dans la grande distribution, l'industrie, le BTP, la santé ou les transports, en France comme en Europe (Espagne, Italie, Allemagne). Lors de l'Imagine Summit en décembre à Rennes, Jean-Baptiste de Bel Air estimait que la French Tech avait « transformé une forme de levée de fonds non pas en moyens mais en fin. Aujourd'hui que le robinet se ferme un peu, elle doit prôner une autre voie. »

À Saint-Malo, Alcyconie, une pépite de la cyber-résilience et de la préparation à la gestion de crise cyber (Tech Enabled Services) a pour sa part bien anticipé l'évolution du marché. Financée sur fonds propres, cette PME de 22 personnes fondée en 2018 ne s'est lancée dans une levée de fonds qu'une fois rentable après une période de croissance organique de quatre ans. Elle vient tout juste de finaliser un financement global de 3,4 millions d'euros, suite à une levée de fonds de deux millions d'euros en mai dernier auprès de CyberK1, le véhicule d'investissement de la banque Klecha & Co, associée à une prise de participation minoritaire. Alcyconie a obtenu un financement non-dilutif de 1,4 millions d'euros auprès d'un pool bancaire composé de Bpifrance, de la Caisse d'Epargne Bretagne et de BNP Paribas.

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Opérateurs d'importance vitale et de service essentiel, peu d'ETI

« Malgré la facilité de lever des fonds, jusqu'à la fin de 2022, le modèle de financement d'Alcyconie a été marqué par la volonté de ne pas s'endetter et de ne pas perdre potentiellement son indépendance avec des partenaires financiers » explique sa fondatrice et présidente. Ex-dircom du groupe industriel Roullier (nutrition animale et végétale, engrais), Stéphanie Ledoux a démarré seule et attendu 18 mois d'avoir suffisamment de trésorerie pour effectuer son premier recrutement.

« Contrairement à des startups de la Deeptech, notre activité de conseil ne nécessitait pas de gros capitaux, ni d'embauches nombreuses. Je souhaitais confirmer le marché et le positionnement de l'entreprise afin d'aborder une levée de fonds dans un contexte de rentabilité » ajoute la cheffe d'entreprise au moment où Alcyconie revendique plus de 90 clients en France, en Europe et aux États-Unis et souhaite s'imposer comme l'un des leaders européens de la cyber-résilience.

Ses nouveaux moyens financiers devraient lui permettre d'accélérer son activité de conseil et de lancer, au deuxième semestre de cette année, une plateforme de gestion de crise cyber adaptée aux situations dégradées. Alcyconie entraîne l'ensemble des organisations (opérateurs d'importance vitale, opérateurs de service essentiel tels que les collectivités, les organismes de santé, les industriels), à faire face aux attaques cyber (fuites de données, ransomware, crise de réputation, conformité cyber...).

« En 2023, 135 exercices de simulation de crise en France et à l'international ont été réalisés sur notre plateforme d'entraînement PIA. Un cinquième de nos clients évoluent dans le monde de la santé Il y a aussi des banques, des assureurs, des groupes industriels, des éditeurs de logiciels. 15 % de notre activité se fait à l'international » précise Stéphanie Ledoux, qui cible aujourd'hui les ETI et prévoit plusieurs recrutements, du juriste en droit numérique, à l'analyste géopolitique, en passant par le développeur et l'ingénieur en cyberdéfense.

 « Le ventre mou des innovations de l'usage » va disparaître

Dès lors que la valorisation n'apparaît plus comme une fin en soi, la priorité pour les startups revient à créer des emplois et des usages.

« Aujourd'hui, le créateur d'entreprise est attendu sur tous les sujets. Il doit délivrer un service, le vendre et passer moins de temps sur sa notoriété. Sauf à entrer dans un système de labels et de concours, la chasse aux subventions sur une projection hypothétique est devenue une mauvaise approche » analyse Lucile Bunouf, cofondatrice du groupe de conseil en financement Asteryos.

Sa plateforme de financement MYoptions, qui accompagne actuellement la campagne de financement participatif du projet breton Alix by Beo Healthcare (Artificial Living Intelligence Xperience), un coach-kiné virtuel personnel, a fait évoluer son approche.

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« On s'appuie sur la compréhension des piliers de l'entreprise pour évaluer ses enjeux technologiques et financiers. Sur du financement participatif il faut a minima in bilan de douze mois. En tant que plateforme, notre enjeu est double : faire aboutir le projet et respecter les parts des investisseurs, du petit porteur aux entreprises morales » ajoute la dirigeante. Celle-ci reconnaît recevoir cinq à dix demandes de financement par semaine, et des dossiers de sociétés « plus structurées que par le passé ».

« L'envie d'investir dans des projets demeure mais l'on observe une appétence sur des métiers plus classiques et de services immédiats. Au-delà des initiatives de très grosse rupture, tout le ventre mou des innovations de l'usage, le uber de ceci, le boncoin de cela, va disparaître » anticipe Lucile Bunouf.

À Rennes, 43 % de startups à impact

En se régulant, le marché tend donc à limiter le nombre de création d'entreprise et les demandes d'accompagnement. Il n'entame cependant pas la confiance des porteurs de projets. Ce que confirme une récente enquête sur la santé des startups menée par le Poool à Rennes, pilote de la French Tech Rennes Saint-Malo.

Ce sondage auprès de 400 structures, startups et scale-up d'Ille-et-Vilaine, dont deux tiers ont été créées il y a moins de trois ans, dévoile que six entreprises sur dix déclarent être en croissance et que 86% ont confiance en l'avenir et en leurs ambitions (commercial, finances, recrutement). Une sur deux fait pourtant état d'une santé financière fragile et cette proportion monte à 59% pour les startups créées après 2020.

Majoritairement issues du secteur du numérique et de la Deepteh, ces jeunes structures affichent une taille relativement modeste (18 salariés en moyenne) et un chiffre d'affaires inférieur à 500.000 euros pour 63% d'entre elles (22% à un million d'euros). En termes d'activités, le Poool constate la forte expansion des entreprises à impact, en lien avec les transitions sociales, sociétales ou environnementales. Après les secteurs liés à l'environnement et à l'énergie (Apee Solutions pour la réduction des factures), à la santé et aux soins à la personne (Sonaide pour les situations de vie inhabituelle, Kerwell pour une meilleure consommation des fruits), la troisième activité la plus représentée sur le bassin rennais est celui de la cybersécurité.

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Commentaire 1
à écrit le 08/03/2024 à 14:30
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Les investisseurs ont pris conscience ces derniers mois que ls dirigeants de start up étaient très gourmands en capitaux mais ne se souciaient guère des débouchés et encore moins de partir à la recherche de clients potentiels c'est à dire chercher, p...

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