Serge July prêt à quitter Libération

L'actionnaire Edouard de Rothschild a demandé le départ du PDG Serge July et du directeur général Louis Dreyfus. Le quotidien traverse une très grave crise financière.

Limitée jusqu'à hier au cercle interne, la crise au sommet que traverse Libération est maintenant sur le devant de la scène. Le principal actionnaire Edouard de Rothschild a demandé le départ du PDG Serge July et du directeur général Louis Dreyfus. Après un départ "forcé et contraint" annoncé ce matin par Serge July en comité de rédaction et rapporté par le SNJ présent à la réunion, c'est un départ possible qu'évoque officiellement le PDG du journal auprès de l'AFP: oui, le fondateur du quotidien de gauche quittera le journal, si son départ facilite le refinancement de Libération par son actionnaire.

Il faut dire que les négociations sur les indemnités de départ entre l'actionnaire et Serge July promettent d'être serrées, le PDG ayant créé le journal en 1973. De son côté, Serge July a indiqué qu'il ne réclamait que l'application de la convention collective des journalistes pour valider son départ, selon le rapport des participants de la conférence du matin.

Entré dans le capital de Libération à hauteur de 38,8% il y a un peu plus d'un an, Edouard de Rothschild subit les difficultés financières grandissantes du quotidien, que son premier investissement de 20 millions d'euros n'a pas remis à flot. La somme a été presque entièrement engloutie dans les pertes de 2005, qui ont atteint 14 millions d'euros, dont 5 millions d'euros dus à un plan social. Signe que la crise dépasse de loin les difficultés financières du quotidien, le guichet de départ, prévoyant la suppression de 52 postes, avait reçu au final 85 candidatures, et entraîné 56 départs. Pourtant, le PDG a récemment annoncé une nouvelle formule pour l'hiver 2006 et une augmentation du prix de vente du journal le week-end, de 80 centimes, pour passer à deux euros, afin de financer le nouveau supplément culturel, Ecrans.

Avec des ventes toujours en baisse, la situation n'aurait fait qu'empirer en début d'année. Selon notre confrère Les Echos, Edouard de Rothschild aurait appris que les pertes du journal en avril étaient trois fois supérieures à celles attendues, atteignant 950.000 euros sur le mois, et non 300.000. Au point qu'il serait aujourd'hui obligé de réinjecter entre 10 et 15 millions d'euros dans le quotidien.

L'arrivée d'Edouard de Rothschild, membre de la dynastie de la célèbre banque éponyme plus habitué à frayer avec les puissants qu'avec les révolutionnaires, a toujours été considérée comme un phénomène étrange. Si les motivations personnelles de l'ancien banquier n'ont jamais été vraiment comprises, celles du quotidien étaient beaucoup plus claires. Depuis deux ans, le journal qui, à l'instar de l'ensemble de la presse française, connaissait des difficultés, cherchait des fonds. C'est au moment où le candidat Vincent Bolloré, aussi peu connu que le célèbre banquier pour ses accointances gauchistes mais montrant de grandes ambitions dans les médias, s'est désisté qu'Edouard de Rothschild a conclu l'affaire.

S'il se concrétise, le départ de Serge July, 63 ans, tournera définitivement une page dans l'histoire du quotidien. En 1973, ce fils de polytechnicien engagé d'abord à l'Unef puis au sein de la Gauche prolétarienne au côté de Benny Levy, rejoint Libération, journal maoïste que Jean-Paul Sartre est en train de créer. Outre ses qualités journalistiques, ce sont surtout ses talents de gestionnaire qui le mèneront là où il est. L'âge d'or de Libération se confond avec les années 80 et l'époque mitterrandienne. Comme personne, "Libé" crée un nouveau style journalistique et parvient à flairer l'émergence de ce que l'on appelle aujourd'hui les bobos. Tout cela est mené d'une main de maître par July, baptisé "Citizen July" par les observateurs, qui saborde le journal en 1981 pour créer une nouvelle formule. Au fur et à mesure des années, July, qui s'occupe personnellement de la partie investisseurs du journal, acquiert un pouvoir quasi-absolu au sein de Libé. Il connaît cependant un revers de carrière important en 1994. Le lancement de Libé III, journal total à l'anglo-saxonne doté de 70 pages, est un échec commercial cuisant.

Depuis, les détracteurs de Serge July, brillant éditorialiste politique, n'ont eu de cesse de pointer ses erreurs et de critiquer certaines prises de positions, comme un virulent édito contre les nonistes du référendum du 29 mai. Le record de ventes au lendemain du 21 avril 2002 et l'aide personnelle qu'il a apporté dans la libération de Florence Aubenas, prisonnière en Irak, n'ont pas bouché le trou creusé entre la vieille et la jeune générations du journal. Les difficultés financières du quotidien et les quatre jours de grève de l'an passé pourraient avoir raison du vieux chef.

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