Piratage de Microsoft par des hackers chinois : que s’est-il passé ?

La faille sécuritaire qui a touché les plus hauts sommets de l’État américain est, pour l’heure, attribuée à un groupe de hackers chinois. Ces derniers ont exploité une faille de sécurité touchant les clefs de chiffrement privées utilisées sur le cloud Azure. Si l’implication du gouvernement chinois n’est pas prouvée, l’affaire prouve que les clients des fournisseurs cloud ne peuvent pas entièrement se reposer sur ces derniers et doivent aussi mettre en œuvre leurs propres mesures en matière de cybersécurité.
Satya Nadella, dirigeant de Microsoft.

Longtemps relativement épargné par les autorités américaines par comparaison avec d'autres géants technologiques américains comme Facebook, Apple et Twitter, Microsoft est actuellement sous le feu des critiques de certains élus américains. Ils lui reprochent des négligences ayant conduit à un piratage lourd de conséquences.

Ronald Wyden, le sénateur démocrate de l'Oregon, a notamment demandé au Département de la Justice d'ouvrir une enquête pour éclaircir les circonstances de l'attaque.

Une attaque qui touche aux plus hauts niveaux de l'État américain

Durant le mois de juillet, Microsoft et l'Agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA) ont fait état d'une cyberattaque réussie ayant touché plusieurs clients des services de messagerie de Microsoft Exchange Online et Outlook.

L'affaire est d'autant plus sérieuse que le piratage ne touche pas seulement des internautes lambda, mais également des membres hauts placés du gouvernement. Parmi les individus concernés, figurent notamment l'ambassadeur américain en Chine, Nicholas Burns, ainsi que Gina Raimondo, la secrétaire du commerce, et un membre du département d'État dont le nom n'a pas été révélé. L'attaque est pour l'heure attribuée à un groupe chinois non identifié, baptisé Storm-0558. Un officiel chinois a nié toute responsabilité de son pays dans l'attaque.

« L'affaire est toujours en cours d'investigation, mais étant donné que la faille semble avoir pénétré au cœur des systèmes d'information d'Azure, la situation est très inquiétante et l'on n'en a sans doute pas encore mesuré toutes les conséquences », affirme Eric Le Quellenec, avocat chez Simmons & Simmons, spécialisé dans la cybersécurité et la confidentialité des données.

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Une faille dans l'usage des clefs de chiffrement chez Microsoft

Les pirates sont parvenus à mettre la main sur une clef de chiffrement privée Microsoft Azure. Elle leur a ensuite permis de générer des jetons d'authentification. Ces derniers fonctionnent comme des laissez-passer numériques. En effet, ils certifient à un serveur qu'un utilisateur est en droit d'y accéder. En possession de ces jetons, les cybercriminels ont ainsi pu s'infiltrer dans les serveurs de messagerie, comme s'ils étaient des utilisateurs légitimes.

Il semble que les cybercriminels aient réussi à mettre la main sur la clef privée d'un ancien employé, qui aurait dû être désactivée, mais ne l'a pas été. « Il s'agirait d'une clef de chiffrement expirée qu'ils ont réussi à prolonger, usurpant ainsi l'identité des anciens titulaires légitimes de celle-ci. Normalement, la désactivation aurait dû être immuable, c'est un manquement qui interroge de la part de Microsoft », analyse Eric Le Quellenec.

On ignore pour l'heure comment ils ont réussi à entrer en possession de cette clef de chiffrement, que l'utilisateur est normalement le seul à détenir.

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Microsoft a-t-il minimisé l'affaire ?

Outre le fait que les sommets de l'État américain soient affectés, ce piratage fait également parler de lui car Microsoft est accusé d'avoir voulu minimiser son ampleur. C'est du moins ce qu'affirme une enquête de Wiz, une jeune pousse basée à New York et spécialisée dans la sécurité du cloud. Dans un rapport sur l'accident, la startup affirme notamment que, contrairement à ce qu'affirme Microsoft, la clef dérobée par les pirates ouvre l'accès à pratiquement toutes les applications hébergées sur Azure, dont, entre autres, SharePoint, Teams ou encore OneDrive, et pas seulement à Outlook.

Si, en l'occurrence, c'est Microsoft qui a été la cible de ce piratage, Wiz ajoute toutefois que cette défaillance sécuritaire concerne tous les acteurs du cloud.

« Notre industrie, et en particulier les fournisseurs cloud, doit adopter un plus haut niveau de sécurité et de transparence quant à la façon dont elle protège les clefs privées comme celle-ci, afin d'éviter de futurs incidents et de limiter leur impact potentiel », écrit ainsi Shir Tamari, à la tête de la recherche chez Wiz, dans un article de blog résumant les conclusions de l'enquête menée par la jeune pousse.

Autre problème, selon Wiz : il pourrait être très difficile pour les clients de Microsoft touchés par le piratage de détecter les jetons d'authentification qui ont été créés frauduleusement, et donc de déterminer s'ils ont été victimes d'une intrusion.

« Malheureusement, il y a un manque de pratiques standardisées lorsqu'il s'agit de se connecter à des applications spécifiques, poursuit Shir Tamari. Ainsi, dans la plupart des cas, les propriétaires d'applications n'ont pas les détails de connexion contenant le jeton d'accès ou la clef de chiffrement. Par conséquent, identifier et enquêter sur de tels événements peut s'avérer extrêmement difficile pour les propriétaires d'applications. »

Dans un communiqué, Microsoft a réagi à l'enquête de Wiz. Le géant américain affirme que celle-ci se basait sur de simples suppositions. « Cet article de blog met en lumière des scenarii d'attaque hypothétiques, mais nous ne les avons pas observés dans la réalité », affirme l'entreprise.

Comment les entreprises peuvent et doivent réagir

Pour Eric Le Quellenec, l'affaire doit surtout servir de mise en garde pour toutes les sociétés clientes des hyperscalers.

« On lit beaucoup dans la presse que Microsoft doit faire ceci ou bien cela, mais c'est aussi et surtout aux sociétés clientes de prendre leurs dispositions en matière de sécurité : on voit que même une société aussi puissante et technologiquement avancée que Microsoft ne peut pas garantir le risque zéro.

Cela implique de mettre en place systématiquement l'authentification multifacteur, mais aussi de se doter de son propre SOC avec une cellule de veille et un dispositif d'alerte en cas d'intrusion et d'événement anormal, en plus de celui apporté par le ou les fournisseurs cloud. Enfin, les dispositifs du type "bring your own key", où le client apporte sa propre clef privée,, plutôt que de s'appuyer sur la technologie de son fournisseur cloud pour la générer, sont amenés à se généraliser. Cela évite d'avoir un système ou la clef et le verrou sont entre les mains du fournisseur cloud. »

Microsoft a déjà effectué un geste commercial en faisant de l'authentification double facteur, un paramètre par défaut pour la plupart de ses utilisateurs, alors qu'il revenait auparavant à l'administrateur du système d'information de l'activer ou non. Les clients d'Azure pourront en outre consulter gratuitement les journaux de sécurité d'importance critique, qui permettent de savoir qui se connecte au système et à partir d'où, pour lesquels il fallait jusqu'à présent payer.

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Les élus américains demandent des comptes à Microsoft

Il en faudra toutefois sans doute davantage pour convaincre les élus américains, qui ont bien l'intention de pousser plus avant l'investigation. Le sénateur Ronald Wyden n'y va pas de main morte. Il a réclamé l'ouverture de plusieurs enquêtes par le Département de la Justice, pointant directement la responsabilité de la firme de Redmond.

« Même avec la quantité de détails limitée qui a été rendue publique jusqu'à présent, Microsoft porte une responsabilité significative dans ce nouvel incident », écrit-il dans une lettre publique.

Il demande au Département de la Justice de déterminer si Microsoft a bien respecté les standards de cybersécurité applicables aux entreprises privées qui travaillent avec le gouvernement américain. Il demande également à la Federal Trade Commission (FTC), le gendarme américain de la concurrence, d'enquêter sur les pratiques de Microsoft en matière de protection de la vie privée et de sécurité des données. Enfin, le sénateur demande au Cyber Safety Review Board, une agence du département de la Sécurité intérieure, de déterminer pourquoi les manquements de Microsoft en matière de cybersécurité n'ont pas été mis en lumière par les précédents audits gouvernementaux.

Un séisme géopolitique ?

À l'heure où les tensions entre les États-Unis et la Chine atteignent un niveau historique, le piratage de comptes de membres hauts placés du gouvernement par des hackers chinois constitue aussi, et surtout, un risque géopolitique, et ce, d'autant plus s'il s'avère après enquête que le gouvernement chinois est, de près ou de loin, mêlé à l'opération. « On pourra alors dire que la cyberguerre a vraiment démarré », selon Eric Le Quellenec, qui souligne l'existence d'outils susceptibles d'éviter que la situation ne dégénère.

« Malgré tout ce que l'on peut reprocher à Donald Trump, il était parvenu en 2017 à signer une collaboration renforcée sur la cybercriminalité avec Xi Jinping, il faudrait que toutes les mesures soient prises au niveau intergouvernemental pour partir de cette base et établir un dialogue avec la Chine, ce que Joe Biden n'a pour l'heure visiblement pas fait. »

Le silence émanant des instances européennes et françaises étant selon lui non moins sidérant que celui de Washington. « Nous sommes tout aussi exposés que les États-Unis, il est inquiétant que l'Anssi n'ait par exemple pas encore commenté l'affaire et donné des recommandations aux entreprises françaises », s'étonne l'avocat.

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Commentaires 18
à écrit le 03/10/2023 à 18:50
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Microsoft à l habitude de ça , il passe ça vie à patché , Quand CVE lui rappel qu il c est fais troué

à écrit le 04/08/2023 à 6:35
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Je cite : "Il semble que les cybercriminels aient réussi à mettre la main sur la clef privée d'un ancien employé, qui aurait dû être désactivée, mais ne l'a pas été.". L'article parle avant tout de technologie et de réponse technologique alors que no...

le 04/08/2023 à 8:38
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Bonjour PhE51, comme le présent article (qui suit manifestement la saga des failles de sécurité de Microsoft) nous enjoint à regarder au-delà d'une seule ligne d'horizon, pourriez-vous nous éclairer un peu plus - cette fois - sur les failles de sécur...

à écrit le 03/08/2023 à 9:55
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S'il y a bien une chose qui me laisse de marbre ce sont les déboires de l'internet en général. J'utilise au minimum du nécessaire, et d'un obligatoire imposé (qui me fait bien ch..r!). Internet est à la dérive, ne sera jamais sécurisé en plus d'être ...

le 03/08/2023 à 14:20
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La lecture sur internet de La Tribune fait-elle partie du "minimum du nécessaire" ?

le 04/08/2023 à 13:58
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Bon sang que tu as raison ! Je me dit exactement la même chose depuis quelques années, j'ai fermé un petit nombre de comptes inutiles depuis et n'utilise aucun service brumeux. Le stricte minimum et depuis je «respire» bien mieux. Nos conditions de ...

à écrit le 03/08/2023 à 9:55
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Qu'est-ce que je me tue à dire depuis des années... internet ne sera jamais sûr car système fait pour fonctionner dans toutes les conditions en "peer to peer", la CIA il y a quelques années a même réussi à pomper le dark net tandis que celui-ci n'a p...

le 03/08/2023 à 15:15
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Imaginez alors le phénomène au sein d'un pays développé qui y rajoute la passoire de la "protection des données".

le 04/08/2023 à 8:34
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En néolibéralisme c'est facile à comprendre "protection des données" = "On va palper le fric à votre place."

le 04/08/2023 à 17:07
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@Dossier 51. Très bonne traduction👍

le 06/08/2023 à 14:15
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Que vient faire l'extrême droite là-dedans ? En lisant ici les commentaires je me doute bien que c'est d'abord un cercle de grabataire qui n'ont jamais rien fait pour cette société, qu'ils vomissent aujourd'hui, à part se goinfrer d'elle à outrance...

à écrit le 03/08/2023 à 9:39
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Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile les desseins secrets de la Chine avec l'installation de la 5G en France. Vous découvrirez un très "croust...

le 03/08/2023 à 15:57
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Aldous Huxley (1894-1963) écrit “Le meilleur des mondes” en 1931. En 1958, Huxley est revenu sur son roman dystopique en publiant “Retour au meilleur des mondes” où il constate que ce qui était une pure imagination de sa part s’est en partie réalisé....

à écrit le 03/08/2023 à 9:24
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Cela fait plus de vingt que l'on sait que Exchange et Outlook sont pratiquement les meilleurs moulins a virus de l'informatique, et ils sont toujours à la manoeuvre pour gérer les services de messagerie sur les comptes des clients. Ce n'est pas 'ép...

le 03/08/2023 à 14:43
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👏👏👍CQFD

à écrit le 03/08/2023 à 8:50
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Ça fait bien longtemps que je suis sur un système d'exploitation Linux😉

à écrit le 03/08/2023 à 8:43
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Facile, à la fois, de se déresponsabiliser de ses propres erreurs, de mettre de l'huile sur le feu et de jouer la victimisation ! ;-)

à écrit le 03/08/2023 à 8:16
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Comment expliquer qu'une vieille clé d'authentification d'un user lambda permette de s'introduire sur plusieurs comptes ? Je crois que ça mérite quelques éclaircissements dans la presse spécialisée. L'explication donnée dans l'article est insuffisant...

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