Europe des paiements : l'urgence d'innover face aux big tech

A l'occasion du Forum Fintech, le gouverneur de la Banque de France et le secrétaire d'Etat au Numérique ont appelé à innover d'urgence dans le domaine des paiements, face à la montée en puissance des géants américains et asiatiques du numérique et à la dépendance de l'Europe vis-à-vis des mastodontes Visa et Mastercard. Pour eux, les fintech ont un rôle crucial à jouer dans cette course, dont dépend la souveraineté économique et démocratique des Européens.
Juliette Raynal
Pour François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, l'Europe doit absolument développer une stratégie intégrée des paiements.
Pour François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, l'Europe doit absolument développer une stratégie intégrée des paiements. (Crédits : Banque de France)

"L'Europe doit absolument développer une stratégie intégrée des paiements. Des progrès décisifs ont été réalisés récemment, mais nous devons à présent délivrer et il y a urgence", a prévenu François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, ce lundi 12 octobre, à l'occasion du Forum Fintech, organisé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, et l'Autorité des marchés financiers (AMF).

"Les innovations dans les paiements rebattent les cartes de l'utilisation de la monnaie de banque centrale et de la monnaie des banques commerciales", a-t-il expliqué.

Moins les espèces sont utilisées (avec la crise sanitaire, les Français ont privilégié massivement les paiements sans contact), moins la monnaie de banque centrale circule. Or, "le système européen des paiements est très dépendant des acteurs non européens", pointe-t-il. Conséquence de cette subordination : un très faible contrôle sur la gestion des données personnelles effectué par les mastodontes américains.

Risque pour la souveraineté démocratique

Cédric O, le secrétaire d'Etat au Numérique, invité au forum, a lui aussi tiré la sonnette d'alarme.

"L'émergence des big tech constitue un risque pour l'économie, pour les fintech et pour les banques françaises compte tenu des données personnelles accumulées par ces acteurs. Il y a un risque d'intermédiation absolument majeur", a-t-il estimé.

En toile de fond de ces avertissements, des enjeux de souveraineté.

"Il n'y a rien de plus souverain que la question de la monnaie. Il y a un risque de dépossession des Européens et des Français de leur souveraineté démocratique", estime Cédric O. Selon le secrétaire d'Etat, perdre la main sur la monnaie, "c'est le début de la fin de la souveraineté politique".

Consultation sur un euro numérique

La multiplication des incursions des géants américains et asiatiques du numérique dans les paiements, en particulier l'annonce du projet de monnaie numérique Libra, initié par Facebook, a poussé le Vieux Continent à réagir. Trois étapes ont récemment été franchies.

Lire aussi : Où en est Libra, le projet de cryptomonnaie de Facebook ?

Fin septembre, la Commission européenne a publié un corpus de textes visant à digitaliser le monde de la finance et à faire de l'Europe une place financière plus compétitive sur la scène internationale. Au sein de cet ensemble, plusieurs textes concernent les actifs numériques, dont la fameuse proposition législative baptisée Mica, qui vise à encadrer le marché des cryptoactifs. "C'est une bonne base pour concilier innovation et protection des consommateurs", a estimé François Villeroy de Galhau.

L'Europe accélère aussi sur la question de la monnaie digitale. La Banque centrale européenne (BCE) a lancé, ce lundi, une consultation publique et une série de tests sur un euro numérique. L'euro "digital", s'il voit le jour, serait une forme électronique de monnaie de banque centrale, existant parallèlement aux espèces. Les particuliers et les entreprises pourraient l'utiliser pour réaliser toutes sortes de paiements et stocker ces devises dans un porte monnaie électronique. La consultation, qui vise à recueillir les attentes du grand public en la matière, doit durer trois mois, les tests six mois. "L'Eurosystème [organe qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales des États membres de l'UE] décidera s'il lance un euro digital à la mi-2021", a précisé François Villeroy de Galhau. En parallèle, la Banque de France a engagé un programme de huit expérimentations autour d'une monnaie digitale de "gros", c'est-à-dire destiné aux institutions financières et non aux particuliers.

Nouvelle infrastructure des paiements

Troisième élément de la réponse européenne à ces défis : la nouvelle initiative européenne sur les infrastructures de paiements, baptisée European payments initiative (EPI), lancée début juillet par 16 grandes banques européennes. Ce vaste programme, dont le déploiement est prévu pour 2022, vise à créer un réseau de paiement concurrent à ceux des américains Visa et Mastercard. C'est un chantier technologique d'envergure et complexe qui devrait coûter plusieurs milliards d'euros.

"Nous devons absolument aller au-delà des solutions actuelles des paiements", a averti François Villeroy de Galhau. "Il n'y a aucune contradiction entre le développement d'une monnaie digitale de banque centrale (MDBC) et le projet EPI. Nous pourrons très probablement avoir besoin des deux", a-t-il assuré, invitant à des partenariats publics-privés.

Pour Cédric O, l'initiative EPI est également indispensable.

Mais, "compte tenu de l'agilité des acteurs américains et chinois, il faut que cette initiative soit menée comme un projet technologique pour que nous soyons capables d'être meilleurs que les autres", a-t-il affirmé.

Rôle indispensable des fintech

Dans cette course, les fintech, ces start-up du monde de la finance, ont toute leur place. "Les fintech ne sont plus un monde à part dans la sphère de la finance", estime le gouverneur de la Banque de France, pour qui, "les nouvelles technologies sont indispensables", notamment pour le métier de superviseur.

"Pourquoi nous accordons de l'importance aux fintech ? Parce que ce sont des acteurs essentiels en termes de créativité, de compréhension des nouveaux besoins et de valorisation du savoir-faire scientifique et technologique français", a-t-il affirmé.

La Banque de France, en tant que banque centrale et superviseur, se donne ainsi pour mission de réconcilier innovation et confiance. Dans cette optique, elle a nommé un correspondant start-up, ouvert un laboratoire d'innovation, mais aussi une implantation dans la cité-Etat de Singapour, très réputée pour son approche innovante. Le pôle Fintech innovation de l'ACPR reçoit et oriente, quant à lui, 100 à 150 porteurs de projet chaque année. Par ailleurs, le plan stratégique à horizon 2024 de la Banque de France devrait accorder une place prépondérante à l'innovation.

Juliette Raynal

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