Taxer, scinder, nationaliser : les banques dans le viseur de nombreux candidats

Seuls Fillon et Macron ne parlent pas des banques dans leur programme. La (vraie) séparation des activités de dépôts et de celles d’affaires se retrouve presque dans tous les autres. Jean-Luc Mélenchon a le plus détaillé ses mesures pour « mettre au pas la finance » et créer un pôle bancaire public en « socialisant » des banques généralistes.
Delphine Cuny
Les banques ? Emmanuel Macron, ex-banquier d'affaires chez Rothschild & Cie pendant quatre ans, faut-il le rappeler, est celui qui en parle le moins : dans le programme de son mouvement En Marche!, le mot banque n'apparaît qu'une fois. Marine Le Pen, elle, n'est pas très explicite : dans sa rubrique "soutenir les entreprises en privilégiant l'économie réelle", elle évoque le secteur de manière indirecte.

« Mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance » avait lancé le candidat Hollande en 2012 au Bourget. Le refrain, abandonné par son auteur après son accession au pouvoir, est en revanche largement repris par les candidats à sa succession. A l'exception notable de François Fillon et d'Emmanuel Macron, deux des quatre favoris, même s'ils se définissent tous comme « anti-système », chacun à sa manière.

Du côté du parti Les Républicains, François Fillon, a semblé vouloir affirmer une certaine indépendance vis-à-vis du secteur, soulignant qu'il n'avait « pas été banquier » en meeting à Nantes à la fin mars.

Proche de l'ex-assureur Henri de Castries (ex-Pdg d'Axa), pressenti pour Bercy, celui qui se revendique comme le candidat de "l'entreprise, moteur de la croissance et de l'emploi" n'a cependant pas de projet particulier concernant les banques dans son programme. Si ce n'est de fixer à la Banque publique d'investissement (BPI) « des objectifs de financement d'équipements agricoles et ruraux » et de « mettre en place avec les établissements bancaires et la BPI un plan de soutien à l'économie rurale. » Il entend aussi « renforcer les mécanismes d'orientation de l'épargne vers le financement des PME innovantes et des fonds de capital-risque » avec l'ambition de « faire de la France une nation de pointe en matière de financement de l'innovation.»

"Rien de mieux pour financer l'économie"

Emmanuel Macron, ex-banquier d'affaires chez Rothschild & Cie pendant quatre ans, faut-il le rappeler, est celui qui en parle le moins : dans le programme de son mouvement En Marche!, le mot banque n'apparaît qu'une fois, au sujet de la création d'une « banque de données numériques » ! On n'y trouve les mots finance et capital que dans une proposition plus générale sur le soutien à l'investissement privé abordant la fiscalité des revenus du capital (un prélèvement forfaitaire de l'ordre de 30% sur les plus-values et dividendes, comme la flat-tax de François Fillon).

Celui que plusieurs de ses rivaux taxent de « candidat des banques » s'était emporté contre cette "assignation" lors d'une conférence de presse :

« Moi, je ne suis pas né dans l'oligarchie financière ou la banque d'affaires. [...] Je suis né dans une ville de province française, dans une famille qui ne devait rien ni au monde médiatique, ni au monde politique, ni au monde financier. »

Et "en même temps", pour reprendre son tic de langage, l'ex-ministre de l'Economie a déclaré mardi dernier, lors d'un déplacement à Rungis :

« Je sais bien que cela fait plaisir à tout le monde de taper sur les banques, mais on n'a rien trouvé de mieux pour financer l'économie. »

Un mois plus tôt, devant la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), il avait critiqué les régulations financières mises en place après la crise de 2008, « pas adaptées à la France » selon lui, et qui auraient « désincité les banques et les assurances à financer l'économie. »

Loi de (vraie) séparation bancaire

C'est un tout autre diagnostic dressé par les autres candidats, qui se rejoignent quasiment tous sur un point : la nécessité d'une vraie loi de séparation des activités bancaires.

La loi Moscovici de juillet 2013 a été largement vidée de sa substance, sous la pression du lobby du secteur, comme s'en était affligée la députée PS Karine Berger, rapporteur du projet de loi. La députée des Hautes-Alpes a d'ailleurs raconté les appels reçus du secrétaire général adjoint de l'Elysée de l'époque, un certain Emmanuel Macron, au nom de la défense du modèle de "banque universelle" à la française.

L'idée initiale, défendue par de nombreux économistes, et inspirée par le fondateur du Crédit Lyonnais, Henri Germain, à la fin du XIXe siècle, était de scinder la banque de détail (collecte des dépôts et octroi des crédits), et les activités de marché, afin de protéger les épargnants et de prévenir une nouvelle crise. Les banques françaises défendent au contraire leur modèle "diversifié" et "équilibré" de banque universelle, qui permet par exemple d'encaisser l'environnement actuel de taux ultra-bas en compensant par les activités de banque de financement et d'investissement. Christian Noyer, le gouverneur honoraire de la Banque de France, fait valoir que « Lehman Brothers était une pure banque d'investissement, Northern Rock en Angleterre, une pure banque de détail. »

L'ex-frondeur et vainqueur de la primaire du Parti socialiste Benoît Hamon, soutenu par Karine Berger, a écrit très explicitement dans son programme:

« Je ferai voter une loi de séparation bancaire.

Je poursuivrai les efforts entrepris pour séparer effectivement les activités de dépôt et de spéculation des banques françaises. »

Jean-Luc Mélenchon propose également dans le volet « urgence sociale : partager la richesse » de son programme "L'avenir en commun", de « mettre au pas la finance » et notamment de « séparer les banques d'affaires et de détail ».

L'idée se retrouve aussi chez Nicolas Dupont-Aignan qui évoque dans son programme avec le projet d'un "Glass-Steagall Act à la française", du nom de la loi bancaire américaine de 1933, après le krach, qui a décrété l'incompatibilité les banques de dépôts et d'investissement (largement contournée depuis les années 1970 et abrogée sous Clinton).

« Les banques qui reçoivent les dépôts des particuliers et des entreprises ne devraient pas pouvoir jouer l'argent de leurs déposants sur les marchés financiers et risquer de le perdre. Les banques devront donc choisir entre activités commerciales (pour l'économie réelle) et activités de banque d'affaires (marchés financiers et banque d'investissement) » défend le candidat de Debout la France.

Même projet dans le programme de Jacques Cheminade qui a pour slogan « se libérer de l'occupation financière » et propose dans le cadre de ses 100 jours de « couper les banques en deux » et pas seulement les françaises : il ira plaider à l'ONU « un nouveau Glass-Steagall global et national. »

La séparation bancaire est aussi dans le programme de François Asselineau :

« Mise en place effective de la séparation des activités de banque de dépôt et de banque d'affaires pour prévenir les crises financières systémiques et éviter l'aléa moral de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes.

Cela aidera aussi à réorienter les banques vers leur cœur de métier, qui doit être le financement de l'économie réelle, en particulier les prêts aux PME et aux TPE ».

Le "candidat du Frexit" qui veut aussi "évincer les fonds d'investissement et les grands groupes de toutes les sociétés liées au service public" et "retirer aux banques Goldman Sachs et JP Morgan Chase leur accès au marché du gaz en France":

Idem chez Jean Lassalle, qui veut « nous libérer de l'oppression financière » et « remettre la finance au service de l'économie réelle », et propose dans son programme de « séparer les activités spéculatives d'une part, les banques de l'économie réelle d'autre part, en cloisonnant leurs financements pour protéger les fonds des particuliers et PME ».

Affaire Kerviel et taxe sur les "super-profits"

Le projet de Benoît Hamon contient deux autres mesures importantes concernant le secteur bancaire. Il souhaite aider l'essor de la finance inclusive, dans la veine de l'économie sociale et solidaire :

« Je favoriserai le développement des banques éthiques.

Nous organiserons la promotion de ce type d'établissements au moyen notamment d'une réglementation adaptée à ces établissements qui ne sont pas systémiques et qui ont une contribution sociale et/ou environnementale forte. Nous souhaitons promouvoir une finance plus inclusive et un système bancaire plus diversifié. »

Il a également repris l'idée d'Arnaud Montebourg d'une taxe spécifique au secteur, au motif que les banques réalisent de très gros bénéfices (23,5 milliards d'euros de résultats nets cumulés pour les six premiers groupes français en 2016):

« Je mettrai en place une contribution des banques assise sur leurs super-profits.

Je souhaite que les banques, que nous avons collectivement aidées à survivre à la crise, participent activement à la sortie de crise : elle s'acquitteront, à hauteur de 5 milliards d'euros, d'une contribution assise sur les super-profits qu'elles réalisent. Nous lutterons activement contre les risques systémiques. »

De son côté, Jean-Luc Mélenchon, dont le mouvement "La France Insoumise" a soutenu l'ex-trader Jérôme Kerviel dans son combat judiciaire contre la Société générale, a prévu dans son programme (page 49) :

« Engager les procédures de recouvrement des 2,2 milliards d'euros d'argent public accordés sans preuve à la Société Générale suite à l'affaire Kerviel, évaluer les actes comparables et poursuivre les coupables de ces abus. »

Nationaliser les banques...

Marine Le Pen n'est pas très explicite dans son programme sur ses intentions. Dans sa rubrique "soutenir les entreprises en privilégiant l'économie réelle", elle évoque le secteur de manière indirecte (mesure 49):

« Libérer l'accès au crédit pour les petites et très petites entreprises grâce à des taux préférentiels sous la supervision de la Banque de France afin de remettre la finance au service de l'économie réelle », une expression chère à de nombreux candidats.

La candidate du Front National compte aussi de « diviser par deux le taux d'intérêt maximum (taux d'usure) pour les emprunts et les découverts bancaires (agios) pour les entreprises et les ménages ». Elle veut aussi « abroger la directive européenne sur l'Union bancaire et la disposition de la loi Sapin II qui prévoient la ponction ou le gel de l'épargne bancaire et des contrats d'assurance-vie en cas de menace de crise bancaire », une mesure limitée à six mois, pour éviter les effets d'un mouvement de panique des épargnants.

Plus généralement, Marine Le Pen, à laquelle toutes les banques françaises ont refusé de prêter de l'argent pour sa campagne, défend un « nouveau modèle patriote en faveur de l'emploi », veut « privilégier l'économie réelle face à la finance spéculative » et instaurer le « rétablissement d'une monnaie nationale », un programme qui aurait des conséquences catastrophiques pour le secteur bancaire. Si elle ne figure pas dans son projet, l'idée d'une nationalisation, qu'elle évoque depuis plusieurs années, n'est pas exclue mais désormais relativisée.

« S'il le faut, en cas de crise grave, l'État pourra devenir, même transitoirement, propriétaire d'un établissement bancaire », a-t-elle déclaré dans sa conférence du 2 mars.

Benoît Hamon a repris l'idée de nationalisation temporaire d'Arnaud Montebourg, mais pour des entreprises en difficultés, alors que l'ancien ministre du Redressement productif avait déclaré en janvier dernier que « la nationalisation d'une banque est un outil nécessaire. »

Nicolas Dupont-Aignan parle dans son programme d'un "nouveau mécanisme de sauvetage des banques à instaurer", pouvant passer par une nationalisation qui ne dit pas son nom :

« Les actionnaires des banques et ceux qui leur ont prêté des fonds seront systématiquement appelés à supporter les pertes des banques en faillite. Si l'intervention de l'État sauve une banque de la faillite, il en deviendra seul actionnaire et la revendra après l'avoir redressée, conservant la plus-value éventuelle. »

Le candidat de Debout la France veut aussi alourdir les sanctions contre les infractions financières, contre les banques et les banquiers délinquants, et « réduire les frais bancaires, notamment cachés », une enquête de l'Autorité de la concurrence devant déterminer s'il  existe une entente. Il entend aussi « développer un pôle public autour de la Banque Postale pour mieux financer entreprises et particuliers. »

Cette idée d'un pôle public est largement développée par Jean-Luc Mélenchon, le candidat qui a sans doute le plus creusé les sujets financiers dans son programme, qui leur consacre plusieurs pages : « contrôler les mouvements de capitaux, instaurer une taxe réelle sur les transactions financières, interdire les ventes de gré à gré et la titrisation, plafonner les effets de levier et les rendements actionnariaux exorbitants » entre autres, mais aussi pour « définanciariser l'économie réelle » une série de mesures telles que  mettre fin à la cotation continue des entreprises en Bourse ou limiter les LBO (rachat par endettement) aux seules procédures de reprise des entreprises par les salariés.

Dans l'objectif de « mobiliser l'argent pour financer les petites et moyennes entreprises et la création d'emploi », le candidat de la France Insoumise défend une série de mesures dont :

« Créer un pôle public bancaire notamment par la socialisation de banques généralistes, en vue de financer les entreprises et de mener une politique du crédit sur critères sociaux et écologiques »

Dans un livret thématique intitulé "pour un service public bancaire", rédigé par deux syndicalistes du secteur financier (Alain Babin, de la CGT du Crédit Agricole Anjou et Maine, et Anaïs Robin, cadre à la Banque Postale), la future loi bancaire est détaillée, mais pas le mode opératoire de la "socialisation" et de la création "progressive" de ce pôle financier public. Les organes centraux des banques mutualistes et coopératives (Crédit Agricole, Banque Populaire, Caisse d'Épargne, Crédit Mutuel) seraient nationalisés.

Toute activité dans les paradis fiscaux sera interdite aux banques françaises (une récente étude de l'ONG Oxfam a montré que les principales banques françaises avaient généré 25 milliards d'euros de bénéfices dans des pays à la fiscalité faible, voire nulle). La BPI se verra aussi attribuer une nouvelle mission de service public ainsi qu'une licence bancaire globale.

JL Mélenchon banques

... voire les réquisitionner et exproprier

Le candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) Philippe Poutou,  propose d'aller plus loin dans son programme et de "socialiser les banques" lui aussi, mais de façon plus radicale :

« Nous voulons réquisitionner , les mettre sous contrôle pour empêcher les capitalistes de spéculer, de faire du fric sur notre dos, et pour investir là où nous le voulons » explique-t-il dans son tract de campagne.

Concrètement, le NPA veut « exproprier les intérêts privés et socialiser l'intégralité des banques (y compris la banque centrale), compagnies d'assurances, sociétés de crédit, etc. », le tout « sans indemnité (en tenant compte de la situation des petits actionnaires et des régimes de retraite) car il y a mieux à faire que d'utiliser des ressources importantes à indemniser de riches actionnaires qui ont déjà largement profité des aides de l'État.»

Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière (LO), est sur la même ligne et le même registre lexical, « contre le gangstérisme de la finance », elle réclame « l'expropriation des banques privées dont les spéculations conduisent périodiquement l'économie au bord du gouffre. »

Delphine Cuny

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Commentaires 11
à écrit le 22/04/2017 à 20:37
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La liste des boucs émissaires s'étoffe de jour en jour...pitoyable !

à écrit le 22/04/2017 à 18:28
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Sur les banques qui financent ces deux compagnons (la baudruche et le voleur) on peut les mettre dans le meme sac. Désolant, le cynisme si je suis élu je rends l'argent.....

à écrit le 22/04/2017 à 11:04
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JE L AI DEJA DIT la monnaie nos ancien l on inventez pour aide les echanges commerciaux et inviduel ?, aujourdhui c est devenue un objet de speculation UNE SORTE DE MONOPOLIE GEANT QUI RUINE LES PAYS LES PLUS FAIBLES ET AGRAVES LE CHOMAGE MONDIAL? i...

à écrit le 22/04/2017 à 10:54
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Les citoyens devraient avoir le choix en matière de banque. Entre des banques privées et au moins une banque publique de détail, la seule qui bénéficierait de la garantie de l'Etat. La garantie de l'Etat, ce sont nos impôts et il n'y a pas de raison...

à écrit le 22/04/2017 à 9:54
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Pour intéresser ses concitoyens à ce que l'on dit, il faut se choisir un bouc émissaire. Cela évite de dire que l'on est pour quelque chose dans ce qui arrive. C'est un principe vieux comme le monde et très largement utilisé par les démagogues de tou...

à écrit le 21/04/2017 à 19:09
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Là où Marine Le Pen a raison, c'est quand elle conteste le refus des banques françaises de lui prêter de l'argent pour sa campagne alors qu'elle a réuni les 500 parrainages. C'est anormal s'agissant d'entités où l'Etat intervient.

le 22/04/2017 à 20:40
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Vous avez sorti votre chéquier ? Je suppose que non, les banques non plus.

à écrit le 21/04/2017 à 17:24
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Merci pour cet article. "Seuls Fillon et Macron ne parlent pas des banques dans leur programme. " Ben tiens... "Je n'ai pas été banquier donc je n'ai pas d'idée sur les banques" Voilà en gros ce que nous dis fillon qui ne fait que con...

le 22/04/2017 à 9:58
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Raisonnement spécieux et bourré de vieux clichés. L'auteur ne s'est pas rendu compte que le monde avait changé. Oui c'est vrai, ça va très vite.....

à écrit le 21/04/2017 à 17:06
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Super article de fond, dommage qu'il n'ait été publié qu'aujourd'hui

le 22/04/2017 à 12:00
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C'était à prévoir hélas après tout ce bourrage de crâne en faveur de Macron. Comment peut-on soutenir massivement quelqu'un qui par sa loi anti salariat va rendre les salariés disponibles à tout va, privatiser la sécu et casser la retraite par répart...

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