Armement : quel rôle pour la France en Inde (Rafale, Scorpène...)

A l’occasion de la mise en service opérationnel du Rafale dans l’armée de l’air indienne, la France a débarqué en force en Inde. La ministre des Armées Florence Parly s’est entretenue avec son homologue indien sur les évolutions de la coopération de défense franco-indienne et les enjeux de sécurité dans l’espace indopacifique, dans le contexte de la crise sanitaire.
L'Inde est le premier partenaire d'exportation d'armement de la France sur la période 2010-2019
L'Inde est le premier partenaire d'exportation d'armement de la France sur la période 2010-2019 (Crédits : REGIS DUVIGNAU)

La visite éclair en Inde de la ministre des Armées Florence Parly, qui a participé jeudi à la cérémonie de la mise en service opérationnel de cinq Rafale dans l'armée de l'air indienne sur la base aérienne d'Ambala (au nord de Delhi), a été un indéniable succès médiatique. Ce qui n'aurait intéressé que quelques spécialistes en France a été couvert par plusieurs dizaines de journalistes des grands médias indiens en continu, TV notamment. Un événement digne de l'arrivée d'une rock star...

Si le Rafale n'est pas étranger à cet incroyable succès médiatique, Florence Parly a capitalisé sur cet événement pour renouer, non pas les fils d'une relation jamais interrompue entre les deux pays, y compris par le Covid-19, mais une relation où les contacts personnels restent très importants pour mieux comprendre les messages d'un pays partenaire et également capter les indispensables signaux faibles d'une relation entre deux pays. car l'Inde est un pays stratégique pour la France, très présente dans la zone indopacifique. C'est pour cela que Florence Parly, qui est seulement la deuxième ministre après celui de l'Indonésie à effectuer une visite en Inde depuis le début de la crise du Covid, a tenu à y aller pour réitérer à Delhi des mesures de réassurance de la France sur la scène régionale.

Une relation bilatérale étroite

A l'issue de la cérémonie sur les Rafale - religieuse et démonstration aérienne - , qui avaient été convoyés au début de l'été vers l'Inde, la ministre a d'ailleurs eu un long entretien sur les questions géopolitiques, régionales (Chine) et sur des coopérations avec son homologue indien, le ministre de la Défense Shri Rajnath Singh. Une discussion qui a largement débordé sur le programme prévu. Elle a ensuite rencontré à Delhi le conseiller à la Sécurité nationale (National Security Advisor), Ajit Doval, l'un des hommes qui compte auprès du Premier ministre, Narendra Modi. Il est considéré comme étant la personne influente sur les questions stratégiques en Inde. C'est lui qui était chargé du Cachemire où ont été déployés en février 2019 des dizaines de milliers de soldats supplémentaires. C'est encore lui qui est à la manœuvre face à la Chine. L'homme idéal pour parler contrats d'armement et autonomie stratégique indienne.

A l'issue de ces rencontres, il en ressort que la relation entre les deux pays, qui est déjà "forte, demande à se développer dans de nombreux domaines", explique-t-on au sein au ministère des Armées. Comme d'habitude en Inde, les industriels intéressés devront toutefois s'armer d'une patience infinie pour signer ou pas un contrat. D'autant que la ministre a évoqué avec Shri Rajnath Singh de vieux projets indiens, qui n'ont toujours pas abouti. Clairement, la France doit faire du « neuf avec du vieux »...

Le Rafale, priorité de la France et de l'Inde ?

Accompagnée par les quatre principaux industriels du Rafale (Dassault Aviation, Thales, Safran et MBDA), la ministre a donc évoqué plusieurs dossiers au long cours en Inde avec ses interlocuteurs. Une nouvelle commande de Rafale a naturellement été évoquée. "La suite n'est pas écrite", explique-t-on au ministère des Armées. L'Inde rachètera-t-elle du Rafale ? Surtout quelle suite ? La France peut-elle espérer une nouvelle commande de gré à gré de 36 Rafale avec de nouveaux offsets importants (transferts de technologies ou investissements en Inde de la part des industriels concernés) ? Ou bien Dassault Aviation devra-t-il passer par un appel d'offres international avec tous les aléas que cela comporte ? A Delhi d'y répondre mais, pour l'heure, l'Inde n'a pas pris de décision pour une commande supplémentaire d'avions de combat, souligne-t-on à Paris. Dans ce cadre incertain, Dassault Aviation participe aux appels d'offres de l'Armée de l'Air indienne (110 avions) et de la Marine indienne (57 avions navalisés).

Pour autant, la France et le Rafale ont marqué des points. Le ministre de la Défense indien a été clair : "Les Rafale changent la donne pour la sécurité nationale indienne", a-t-il assuré dans son discours lors de la cérémonie. Ils sont "la preuve de l'engagement du gouvernement à protéger nos frontières et maintenir la paix dans la région". Point également positif pour la France et Dassault Aviation, le contrat signé entre la France et l'Inde en 2016 est actuellement exécuté de façon nominale à la grande satisfaction des Indiens. Le Covid-19 n'a pas retardé la livraison des cinq premiers Rafale. ce qui démontre la volonté de la France d'honorer au mieux ce contrat pour ce partenaire stratégique.

Sous-marins Scorpène, missiles... en discussions

Florence Parly a également évoqué avec son homologue indien la suite du contrat des sous-marins Scorpène. D'autant que le plan de charge du chantier naval de Bombay Mazagon Dock Limited tire à sa fin. Des discussions qui durent déjà depuis plusieurs années... La ministre a à nouveau poussé le Caracal (H225) d'Airbus Helicopters pour les gardes-côtes indiens, un appel d'offres qui s'étire en longueur sur plusieurs années. Les indiens ont lancé en 2019 un nouvel appel d'offres sur lequel Airbus Helicopters propose le Caracal. En partenariat avec Mahindra, le constructeur a répondu à un appel d'offres dans le cadre du programme NUH destiné à la marine en poussant à la fois le Dauphin et le H145. Les discussions entre les deux ministres ont également porté sur de possibles ventes de munitions (bombes AASM) et de missiles MBDA (air et naval) pour les forces armées indiennes.

Enfin, la France et l'Inde se reparlent après un long sommeil d'un programme en coopération pour développer un moteur d'avions de combat réalisés en partie par l'industrie indienne dans le cadre du programme AMCA (Advanced Medium Combat Aircraft (AMCA). A l'image de ce qui avait été proposé par la France sur l'avion de combat léger Tejas, Safran transférerait à l'Inde (agence DRDO, HAL...) des briques du moteur M88. Un vieux projet qui n'a également jamais pour le moment abouti.

Du « Make in India » pour tous les industriels ?

En Inde, les industriels français de l'armement ont pour principaux concurrents les Russes, les Américains et les israéliens. Pour autant, la France a jusqu'ici parfaitement réussi à tirer son épingle du jeu dans ce pays qu'elle considère comme stratégique. Toutefois, jusqu'où peut-elle le soutenir dans le cadre du partenariat stratégique notamment face à la Chine et au Pakistan ? En tout cas, sur 10 ans, elle a réalisé pour 13,38 milliards d'euros de prises de commandes (notamment Rafale et Scorpène...). "C'est notre premier partenaire d'exportation d'armement sur la période 2010-2019", observe le ministère des Armées. La France entend poursuivre sur cette trajectoire.

D'autant que la France et ses industriels de l'armement collent parfaitement à la stratégie de Narendra Modi, qui a fait depuis son arrivée au pouvoir du « Make in India » un de ses axes de politique économique très fort. D'ailleurs Delhi a décidé de renforcer en mai dernier cette politique qui vise à réduire les dépendances militaires de l'Inde à l'égard d'autres pays. Le ministère de la Défense introduira un embargo sur les importations de 101 articles militaires. Ainsi, Naval Group a déjà construit avec Mazagon Dock les Scorpène dans le cadre d'un partenariat étroit et d'un transfert de technologies. Safran et son partenaire étatique indien Hindustan Aeronautics Limited (HAL), détenu à 90% par l'État indien, motorisent une très grande partie des hélicoptères indiens. Les moteurs Shakti, des Ardiden 1H1 fabriqués sous licence par HAL en Inde,  motorisent les bimoteurs Druhv et LCH (Light Combat Helicopter) de l'hélicoptériste indien. Dassault Aviation et ses partenaires avaient longuement discuté avec l'Inde, dans le cadre de l'appel d'offres sur le 126 avions de combat qu'il a fini par gagner, d'un transfert de technologies du Rafale.

La France sait faire du « Make in India ». Elle l'a démontrée à maintes reprises. Ce qui sera un atout mais peut-être pas suffisant même si. Car les Etats-Unis se sont très peu pliés jusqu'ici à cette politique et privilégie des ventes sans transfert de technologies à l'image de la vente des 11 C-17 (Boeing) ou encore 24 hélicoptères multi-missions MH-60R (Sikorsky). L'Inde peut-elle refuser ? Pour l'heure, elle ne l'a pas fait. Quant aux Israéliens, ils ont des armes très efficaces, qui ne plus utilisées depuis quelques années par les industriels français, qui se conforment strictement aux règles OCDE et de « compliance » maison souvent zélées (trop ?). Enfin, la Russie, qui a transféré beaucoup de technologies issues du Sukhoï, est le premier partenaire stratégique de l'Inde. Résultat, la France doit tracer son chemin dans un pays complexe où les règles ne sont pas toujours les mêmes pour tous. Elle y est parvenue jusqu'ici mais elle doit sans cesse se renouveler...

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Commentaires 3
à écrit le 13/09/2020 à 12:42
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Armement : quel rôle pour la France en Inde (Rafale, Scorpène...) Et en Grèce??????

à écrit le 12/09/2020 à 7:27
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J'espère qu'on est capable de vendre autre chose que du matériel de guerre. Par ailleurs, envoyer le ministre "de la guerre" n'est pas très discret .... à moins qu'il s'agisse de la guerre des prix des masques.

à écrit le 11/09/2020 à 16:59
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Si ces 5 Rafale satisfont l'Inde, il y aura peut-être une commande supplémentaire à étaler dans le temps (il faut trouver le budget) puisque d'après ce que j'ai compris l'appel d'offres international initial était pour l'achat de 126 avions et on a v...

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