Eutelsat/OneWeb : les trois questions cruciales que pose ce rapprochement équivoque

La France pourrait perdre un atout précieux dans son leadership spatial européen dans le cadre du rapprochement entre Eutelsat et OneWeb. Les deux participations étatiques (Bpifrance et le fonds stratégique de participations) vont être diluées dans le capital d'Eutelsat, qui fait travailler la filière spatiale française (Airbus, Thales et Arianespace).
Michel Cabirol
Avec cette opération, la France lâche en partie un pan de sa souveraineté spatiale.
Avec cette opération, la France lâche en partie un pan de sa souveraineté spatiale. (Crédits : Airbus)

L'habillage ou le « wording » concocté par Eutelsat semble imparable : une avancée décisive pour la connectivité par satellite. C'est parfaitement à la mode et personne ne peut vraiment s'y opposer. Au-delà de la belle histoire racontée, il y a une part sombre dans cette opération de rapprochement entre l'opérateur de satellites européen, qui cherche à tout prix à réinventer son modèle économique en perte de vitesse, et l'opérateur de la constellation éponyme OneWeb. Elle pose de sérieuses questions. La France lâche en partie un pan de sa souveraineté spatiale au profit d'un rapprochement, qui va la diluer et la marginaliser au sein d'Eutelsat. Un rapprochement qui, en outre, fait entrer Londres dans le capital de l'opérateur. Les Britanniques n'auront pas forcément les mêmes intérêts stratégiques que leurs partenaires mais rivaux français. La France a-t-elle vendu une partie de son âme après la claque d'Aukus ?

Car les Britanniques, qui s'étaient lancés à corps perdu dans OneWeb sous l'impulsion de l'ex-Premier ministre Boris Johnson, vont non seulement partager le fardeau de l'investissement colossal d'une nouvelle génération de satellites pour renouveler une constellation dépassée technologiquement. Mais ils vont, en plus, avoir un droit de regard sur Eutelsat. Résultat, la Grande-Bretagne gagne sur tous les tableaux. Mais pourquoi donc, au moment où la souveraineté spatiale est aujourd'hui cruciale et chère à Emmanuel Macron, la France se désengage-t-elle partiellement d'Eutelsat et partage-t-elle un de ses atouts avec des « alliés », qui ne sont pas forcément que des « amis » ? Difficile à comprendre au moment où le concept de résilience résonne très fort après le Covid-19 et depuis le début de la guerre en Ukraine.

  • 1/ La France, grande perdante de l'opération ?

Il suffit de reprendre certaines déclarations pour comprendre l'importance d'Eutelsat dans l'écosystème de la filière spatiale française. « Nous achetons 93% de nos satellites à l'industrie française, à Airbus ou à Thales Alenia Space, avait expliqué en septembre 2021 à l'Assemblée nationale l'ancien directeur général d'Eutelsat, Rodolphe Belmer. En revanche, nous n'achetons que 55% de nos lancements à Ariane, dans la mesure où nous raisonnons avec une considération d'accès à l'espace ». Les futurs actionnaires d'Eutelsat seront-ils toujours d'accord avec cette stratégie, qui ne s'est jamais jusqu'ici démentie ? L'avenir le dira. Mais elle semble d'ores et déjà fragilisée par le co-contrôle d'Eutelsat qui sera exercé par les actionnaires de OneWeb.

Le ministre de l'Économie est parfaitement conscient de la place d'Eutelsat dans la filière spatiale tricolore. Et il avait jusqu'ici les moyens de poursuivre cette ambition : l'État français est le premier actionnaire d'Eutelsat, avec un peu moins de 20 % des parts détenues par Bpifrance et 7,6% du capital appartenant au fonds stratégique de participations (FSP), tous les deux représentés au conseil d'administration. Interrogé en octobre 2021 par la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann au moment de l'offre publique d'achat hostile d'Altice sur Eutelsat, Bruno Le Maire lui avait répondu à l'époque que « le gouvernement entend rester vigilant quant à la gouvernance et au contrôle des décisions stratégiques de l'entreprise, ainsi qu'à la préservation des intérêts de la filière spatiale française et européenne ».

Il avait rajouté qu'« Eutelsat est un acteur important et stratégique de la filière satellitaire française car il l'a longtemps soutenue en achetant la quasi-totalité de ses satellites auprès des équipementiers européens ayant une forte base industrielle en France (Thales Alenia Space ou Airbus Defense and Space) et la moitié de ses lancements sur Arianespace ». Une époque désormais révolue ?

  • 2/ La constellation Breton est-elle en danger ?

Depuis longtemps, Eutelsat a joué sur les deux tableaux : OneWeb et la constellation quantique de la Commission lancée par Thierry Breton. Mais avec une préférence pour OneWeb dont l'opérateur est actuellement actionnaire (22,9%). Logique. En avril 2021, Rodolphe Belmer avait lancé à l'Assemblée nationale une pique vers Thierry Breton : « l'espace des constellations en orbite basse étant limité, ou "fini", il en résulte que les positions à y prendre deviennent rares, donc onéreuses. Les acteurs nord-américains, dont SpaceX d'Elon Musk, Amazon de Jeff Bezos avec Project Kuiper et la société canadienne Telesat, les Anglais avec OneWeb, ainsi que les Chinois, se préparent à occuper des positions dans l'orbite basse. La place des Européens se réduit, voire est menacée. Nous ne pouvons en effet exclure que l'ensemble de l'espace de l'orbite basse fasse l'objet d'une captation par des puissances non européennes ».

Thierry Breton ne s'était pas laissé démonter. En octobre 2021, le commissaire européen lui répondait au Sénat que la Commission voulait avoir « la possibilité d'offrir une redondance, y compris spatiale, par rapport à nos réseaux terrestres, dont nous avons perçu la vulnérabilité durant la crise de la Covid. J'œuvre donc en faveur d'une constellation satellitaire, qui aura aussi une dimension de cryptologie quantique et post-quantique, pour assurer des communications intergouvernementales cryptées. Cette constellation doit être souveraine ». Et de rappeler que « les Anglais ne font aujourd'hui plus partie de l'Union européenne ; nous en avons tiré des conclusions sur Galileo, programme auquel ils ne participent plus, car le positionnement stratégique par satellite est une question trop sensible ». Et de sous-entendre la même chose pour la connectivité des communications militaires et gouvernementales. Aujourd'hui encore, ce cap est maintenu. A ce stade, cela ne change rien, explique-t-on à la Commission européenne. « Il y a zéro problème avec les fréquences », assure-t-on.

En attendant, le projet en PPP (Partenariats public-privé) de la constellation de la Commission, qui a déjà fléché 2,4 milliards d'euros sur les 6 milliards du programme, avance. Elle souhaite lancer des appels d'offres aux futurs concessionnaires en 2023. Eutelsat a-t-il toujours sa place dans ce projet ? Pas sûr. Les critères d'éligibilité du projet seront à cet égard très intéressants à analyser. Vont-ils exclure Eutelsat ? La tentation est forte d'autant plus que l'opérateur européen a définitivement choisi son camp.

  • 3/ OneWeb, une constellation à la technologie dépassée ?

L'ancien patron du commandement de l'espace le général Michel Friedling et la commission européenne sont formels : la technologie OneWeb est dépassée. « Si l'on compare à d'autres projets, OneWeb proposait une génération ancienne et une architecture non exempte de défauts, assurait en juillet 2020 à l'Assemblée nationale le général Friedling. La France a envisagé la reprise de OneWeb, sachant que Airbus et Arianespace sont impliqués dans ce projet de constellation. Mais, d'un point de vue militaire, même si ses constellations d'orbite basse peuvent fournir des services à la défense et aux armées, OneWeb n'était pas la meilleure option ». Rédhibitoire. D'autant que les satellites OneWeb sont fabriqués sur le sol américain, en Floride, dans une entreprise détenue à 50-50 entre OneWeb et Airbus.

« Les services fournis par des opérateurs de confiance prendront vraisemblablement une part croissante, conformément d'ailleurs à ce qui est demandé par la stratégie spatiale de défense, qui préconise un équilibre différent entre les capacités patrimoniales et les services offerts par ces opérateurs - ce qui exige parallèlement un certain nombre de garanties en termes de disponibilité de service et de robustesse », avait-il également expliqué en septembre 2021.

Pour autant, Eutelsat dans sa quête de réinventer son modèle économique (en gros, faire payer les États et les militaires des services à la place des chaines de TV en préservant les marges), a progressivement investi « dans le projet anglo-indien OneWeb financé par l'État britannique et par le géant indien des télécommunications Bharti », avait reconnu Rodolphe Belmer à l'Assemblée nationale. Et finalement, Eutelsat a poursuivi cet investissement comme l'avait prédit l'ex-patron de l'opérateur : « Nous continuerons donc à investir pour disposer d'une constellation en orbite basse permettant de servir de relais de croissance économique à notre activité ». Et l'investissement s'annonce colossal pour renouveler la constellation OneWeb et développer un service GEO/LEO entièrement intégré comprenant une plateforme commune alors que la direction technique d'Eutelsat, très reconnue dans la filière spatiale, est affaiblie par de nombreux départs...

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 27/07/2022 à 10:50
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Pour mémoire lorsque nous avons donné la société Technip Energies aux americains avec tous ses brevets ( idem Alcatel,alstom,ect..) Mme Marie-Noëlle Lienemann avait posé la question au senat sur l'interaction au conseil d'administration de BPI ,c...

à écrit le 27/07/2022 à 9:25
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Si quelqu'un peut exposer les sources de revenus de OneWeb? Pas le business plan, la réalité actuelle....

à écrit le 26/07/2022 à 23:40
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Les épargnants français s'ils veulent être protèges par Bercy ils n'ont que mettre leur argent sur le livret A. La bourse c'est pour les 'grands '. Sérieusement ici on parle d'enjeux stratégiques et la vraie question est "a-t-on vraiment le choix" ca...

à écrit le 26/07/2022 à 16:53
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En tous cas , une fois de plus les actionnaires français se font plumer ( -17 % aujourd'hui) , comme pour ATOS. Si Bercy veille à quelque chose , ce n'est surement pas aux intérêts des épargnants français , un bon gibier régulièrement plumé.

le 26/07/2022 à 23:44
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Édit : Eutelsat

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