L'internet spatial est en ébullition. Ce mardi, Eutelsat a annoncé avoir signé « un protocole d'accord » pour se marier avec le britannique OneWeb et sa constellation. Lundi, les deux groupes avaient déjà indiqué être entrés en discussions pour fusionner. Le deal apparaît pour le moins complexe, mais pourrait former un mastodonte dans l'Internet spatial, aujourd'hui en plein essor.
Ce mariage prendra la forme d'une opération d'échange d'actions. Les actionnaires d'Eutelsat et de OneWeb détiendront chacun 50% des actions du groupe combiné. « A la réalisation de la transaction, Eutelsat détiendra 100% de OneWeb et les actionnaires de OneWeb recevront 230 millions d'actions Eutelsat nouvellement émises (représentant 50% du capital aujourd'hui) », indiquent les deux groupes ce mardi. La transaction valorise OneWeb « à 3,4 milliards de dollars impliquant une valeur de 12 euros par action Eutelsat (incluant le dividende, avant synergies) », précisent les deux opérateurs. Selon eux, le potentiel de création de valeur supplémentaire est évalué « à 1,5 milliards d'euros après impôts en synergies de chiffre d'affaires, dépenses d'investissement et coûts ».
Surtout, le Royaume-Uni pourrait préserver ses « droits spéciaux », comme le soulignait lundi le Financial Times. « Ces droits comprennent un droit de veto sur certains clients jugés indésirables pour des raisons de sécurité nationale, ainsi qu'un droit de regard sur la chaîne d'approvisionnement et les décisions de lancement », précisait le quotidien.
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D'après Eutelsat, ce mariage permettra d'accoucher du « premier opérateur de satellites multi-orbites, offrant des solutions GEO/LEO (géostationnaire et orbite basse, NDLR) ». De fait, Eutelsat dispose d'une flotte de 35 satellites géostationnaires. Ceux-ci sont positionnés à 36.000 kilomètres de la Terre, et offrent une connectivité Internet à haut et à très haut débit.
De son côté, OneWeb joue sur un autre tableau. Son projet est de bâtir une constellation de satellites beaucoup plus petits, et situés en orbite basse, à quelques centaines de kilomètres d'altitude. Quelques 428 d'entre eux sont déjà opérationnels, sur les 628 qu'elle compte pour l'heure déployer. Son service, lui, est attendu d'ici à la fin de l'année. L'avantage de ces satellites, c'est qu'ils disposent d'une latence - la réponse du réseau lorsqu'on le sollicite - beaucoup plus faible que leurs homologues en orbite géostationnaire. Ce qui en fait une solution de choix pour certains usages critiques, comme la voiture connectée.
Starlink a un coup d'avance
Les constellations de satellites font l'objet d'intenses développements à travers le monde. Avec OneWeb, Eutelsat estime qu'il sera bien positionné pour adresser ce marché de la connectivité, qu'il estime « à 16 milliards de dollars à l'horizon 2030 ». Mais l'enjeu est surtout de ne pas se faire damer le pion par des projets concurrents. Et en premier lieu ceux venus des Etats-Unis.
Au pays de l'Oncle Sam, la constellation Starlink d'Elon Musk est particulièrement avancée. Elle dispose déjà de plus de 4.400 satellites. Son service, bien que très coûteux, fonctionne dans plusieurs pays, dont la France. Il s'est notamment illustré en Ukraine, où il a permis d'apporter Internet lorsque les infrastructures télécoms traditionnelles ne fonctionnaient plus correctement.
Toujours aux Etats-Unis, Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, compte déployer 3.200 satellites pour sa constellation Kuiper. La Chine développe aussi la sienne. Appelée Guowang, elle doit, à terme, compter quelques 13.000 satellites. L'Union européenne compte également disposer de sa constellation, notamment pour ne pas dépendre de technologies étrangères. Elle souhaite lancer quelques 250 satellites, mais seulement à partir de 2024.
Les satellites de OneWeb jugés dépassés
Ce mariage avec Eutelsat permettra à OneWeb de disposer de davantage de moyens pour investir et perfectionner son projet de constellation. Aujourd'hui ses satellites sont jugés dépassés, notamment par ceux d'Elon Musk. A l'été 2020, le général Michel Friedling, à la tête du Commandement de l'espace, a sévèrement critiqué OneWeb lors d'une audition à l'Assemblée nationale. Le militaire a estimé qu'en comparaison aux autres projets, « OneWeb proposait une génération ancienne et une architecture non exempte de défauts ».
Le groupe britannique est d'ailleurs passé tout près du crash. OneWeb s'est mis en faillite il y a deux ans, en pleine pandémie, alors que le japonais Softbank, qui était son principal bailleur de fonds, a refusé de sortir le chéquier lors d'un nouveau tour de table. La constellation a été sauvée in extremis par le gouvernement britannique et le conglomérat indien Bharti. Aujourd'hui, Bharti détient 30% de son capital. Londres et Softbank en détiennent chacun 17,6%. Le conglomérat coréen Hanwa en possède 8,8%. Quant à Eutelsat, qui est entré au capital de OneWeb l'an dernier, il dispose de près de 23% du capital.
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De son côté, Eutelsat est contrôlé à hauteur de 20% par l'Etat français, via Bpifrance, la banque publique d'investissement de l'Etat français. Le Fonds stratégique de participations (FSP), détenu par sept assureurs français, en possède 7,6%.
Les constellations de satellites suscitent un intérêt croissant. Certes, leurs services télécoms restent moins puissants que la fibre, la 4G ou la 5G. Il n'empêche que leur capacité à apporter de la connectivité en tout point du globe pourrait s'avérer très efficace pour couvrir les campagnes et territoires dépourvues d'infrastructures télécoms terrestres. En outre, l'utilisation de Starlink en Ukraine a démontré que l'Internet satellitaire constituait une alternative de choix lorsque les réseaux classiques ne fonctionnent plus correctement. Or aujourd'hui, aucun pays ne peut se permettre d'être coupé d'Internet, devenu essentiel pour toutes les entreprises et les services publics.
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