"Nous avons amélioré la robustesse du lanceur Vega" (Daniel Neuenschwander, ESA)

Dans une interview accordée à la Tribune, le directeur des lanceurs de l'Agence spatiale européenne (ESA) Daniel Neuenschwander estime que tout a fait pour le retour en vol de Vega, reporté ces dernières semaines à plusieurs reprises en raison d'une météo défavorable et est désormais prévu dans la nuit de samedi à dimanche. L'ESA et les équipes ont travaillé pour résoudre la défaillance thermo-structurale du dôme avant du moteur Zefiro 23. Notamment en renforçant sa protection thermique. Il confirme également qu'il travaille sur un nouveau planning du premier lancement d'Ariane 6.
Chaque accident est toujours un enchainement de plusieurs facteurs. (...) Nous avons effectivement travaillé sur l'ensemble de ce dôme et, évidemment, nous avons travaillé sur sa protection thermique (Daniel Neuenschwander, directeur des lanceurs de l'Agence spatiale européenne-ESA)
"Chaque accident est toujours un enchainement de plusieurs facteurs. (...) Nous avons effectivement travaillé sur l'ensemble de ce dôme et, évidemment, nous avons travaillé sur sa protection thermique" (Daniel Neuenschwander, directeur des lanceurs de l'Agence spatiale européenne-ESA) (Crédits : Agence spatiale européenne (ESA))

LA TRIBUNE : Quels sont les enjeux de ce retour en vol pour Vega et pour l'Agence spatiale européenne (ESA) ?
Daniel NEUENSCHWANDER :
L'enjeu est de taille pour l'ESA avec le retour en vol du lanceur Vega après l'échec de VV15 en juillet dernier. En tant qu'autorité de qualification du système de lancement Vega, l'ESA est le responsable de ce retour en vol. C'est le point le plus important. Ensuite, nous avons développé et validé un dispenseur modulaire (SSMS), qui permet de lancer des petits satellites ayant des tailles variables. Ce dispenseur peut être adapté à chaque mission mais l'interface avec les satellites est standardisée. Il permettra à Arianespace d'adresser de nouveaux marchés. Enfin, lors du vol VV16, Vega mettra en orbite quatre petits satellites de l'ESA sur les 53 qui seront lancés, j'espère, le plus vite possible : un pour l'observation de la Terre, un autre pour les télécoms et deux venant de la direction de Space Engineering & Technology.

Ce dispenseur pourra-t-il être adapté à Ariane 6 ?
C'est un dispenseur spécifique au lanceur Vega. Nous sommes également en train de développer un dispenseur en fibre de carbone pour Ariane 6, appelé MLS (Multi launch system, ndlr). L'objectif est de permettre à des petits satellites d'être lancés par Arianespace pour autant que la mission soit compatible avec le passager principal. Au lieu de prendre un taxi, ces petits satellites vont monter dans un bus avec d'autres passagers. Si le client est d'accord sur la destination du bus, il prend un ticket, qui lui coûtera moins cher qu'un taxi.

Après avoir identifié "la cause la plus probable" de l'échec du VV15, êtes-vous confiant dans le retour en vol de Vega ?
Dans le domaine spatial, et des lanceurs en particulier, il n'y a pas de garantie absolue. Comme nous l'avons indiqué dans les communiqués, nous avons bien précisé que la cause la plus probable avait été identifiée. Il y a eu des investigations. A la suite de ce travail, nous avons mis en place un large plan d'actions pour améliorer la robustesse de Vega dans son ensemble, mais qui évidemment a été focalisé sur le point considéré comme la cause plus probable, à savoir la défaillance thermo-structurale du dôme avant du moteur Zefiro 23. Il y a eu un travail énorme réalisé par toutes les équipes, qui ont travaillé main dans la main entre Avio, Arianespace, l'ESA et d'autres acteurs industriels. Je suis donc confiant dans le retour en vol de Vega.

Pourquoi avez-vous travaillé sur la robustesse de l'ensemble du lanceur Vega ?
Après la remise du rapport par la commission d'enquête, j'ai co-présidé le comité de pilotage et décidé d'une série de mesures et un plan d'action lié au retour en vol de Vega. Il y a toujours des points à améliorer ou à optimiser sur un lanceur, un objet incroyablement complexe. Ce que nous avons pensé pouvoir faire, nous l'avons fait. Nous avons déployé tous les moyens pour améliorer encore davantage Vega, qui malgré cet échec est un lanceur absolument performant et remarquable. Il a démontré sa capacité et a fait ses preuves mais nous avons dû faire face à un échec. C'est toujours difficile mais comme le disait souvent l'ancien directeur général Jean-Jacques Dordain, c'est dans l'échec qu'on apprend. Là aussi, nous avons appris de cet échec.

La défaillance thermo-structurale du dôme avant du moteur est-elle due à une combinaison de facteurs qui prend son origine dans le design de cette pièce, puis de sa production et, enfin, de contrôle ?
C'est extrêmement complexe. Chaque accident est toujours un enchainement de plusieurs facteurs. Vous mettez le point sur ce qui été mis en avant. Mais je serai prudent sur des conclusions unilatérales et un peu hâtives. Nous avons effectivement travaillé sur l'ensemble de ce dôme et, évidemment, nous avons travaillé sur sa protection thermique. Nous l'avons renforcé, nous avons augmenté les marges - c'est un fait. Aujourd'hui je suis confiant parce que j'estime que nous avons fait le meilleur que nous pouvions faire. Maintenant, je ne vous cache pas que je dormirai nettement mieux quand le lancement aura été un succès. Pour deux raisons. Un retour en vol est presque comme un vol de qualification. Ce qui met une pression énorme à l'ensemble des équipes. Ensuite, nous devons valider un nouveau service de Vega avec le SSMS, et, plus tard, avec Vega C et Ariane 6. Nous allons augmenter la compétitivité des lanceurs européens.

La situation commerciale d'Arianespace vous inquiète-t-elle, notamment le manifeste de 2022 ?
Le manifeste 2022 sera marqué par la fin de l'exploitation Ariane 5 et Vega tandis que pour Vega C et surtout Ariane 6, ce sera une année complexe. D'ici là, il faut d'abord réussir le vol de qualification d'Ariane 6, ensuite réussir la montée en puissance du lanceur - le ramp-up. Cette phase de transition couvre 14 lancements, qui seront essentiellement des missions institutionnelles mais pas exclusivement. Car Arianespace devra aller chercher certaines charges utiles sur le marché commercial lors de cette montée en puissance. Mais très clairement, ce scénario donne la part belle à des missions institutionnelles avec des missions de pays européens, de l'ESA et de l'Union européenne. En revanche, une fois que l'exploitation d'Ariane 6 sera stabilisée, Arianespace devra s'appuyer sur les deux volets, institutionnel et commercial. Actuellement, le marché commercial est extrêmement tendu autant du côté de la demande que de l'offre. S'agissant de la demande, il y a une très nette évolution des acteurs ayant besoin des services de lancement dans la catégorie de performances d'Ariane 6. Du côté de l'offre, des systèmes de lancement vont faire leur rentrée sur le marché accessible. C'est très tendu, c'est un challenge. Il faut travailler pour réduire les coûts et continuer sans relâche sur cette voie.

Le premier tir d'Ariane 6 va être reporté. Quand allez-vous l'annoncer officiellement ?
Je dois rendre des comptes aux États participants qui financent le programme. Je l'ai fait au conseil de l'ESA en début de semaine. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons des enjeux majeurs autant du côté du lanceur que du côté des infrastructures au sol. En plus, nous avons un défi comme tout le monde d'ailleurs dans la vie actuellement avec le Covid-19. Il faudra également mesurer son impact sur la productivité - je ne parle pas des arrêts des industriels qui sont heureusement derrière nous. Je vous donne un exemple : fin mai, le CNES a envoyé un charter avec 170 personnes qui sont en train de travailler sur les installations au sol mais en Guyane, la situation sanitaire est extrêmement tendue avec le Covid-19. Il faudra donc mesurer la productivité que nous pourrons vraiment atteindre ces prochains mois. Ensuite, il faudra consolider le planning qu'il faudra à tout prix tenir. C'est un travail de fonds en cours et c'est pour cela que je ne peux pas m'avancer encore sur une date de lancement d'Ariane 6. Le programme a encore des jalons techniques fondamentaux à passer comme par exemple l'essai à feu du P120 prévu fin juillet qui sera un facteur déterminant. Nous avons également des essais prévus de l'étage supérieur au P5.2 du centre de Lampoldshausen où nous travaillons sur un nouveau banc et sur un nouvel étage. D'ici à l'automne, nous aurons une idée plus précise concernant une date de lancement.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 28/06/2020 à 14:29
Signaler
L'ESA fait de l'industriel et de l'engineering, c'est nouveau ça...MdR

à écrit le 27/06/2020 à 17:04
Signaler
"L'ESA et les équipes", c'est nouveau, l'ESA a un rôle industriel, ils font même du design....MdR.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.