Psychodrame dans la filière spatiale, qui n'a pas eu encore son plan de relance. La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESRI), en charge du spatial, Frédérique Vidal, et le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, s'opposent depuis quelques semaines sur le lancement d'un éventuel plan de relance dans le spatial, selon plusieurs sources industrielles concordantes. La filière spatiale a déjà raté une fenêtre de tir avec le plan de relance dans l'aéronautique annoncé en grande pompe il y a deux semaines. Un volet spatial était envisagé mais cela a fait un pschitt intersidéral... alors que le plan de relance dans le spatial était prêt, confirment plusieurs sources. "Ce plan de relance, c'est un bide", lâche-t-on même au sein du ministère des Armées.
Pourtant Frédérique Vidal ne demandait vraiment pas la lune à Bercy. Selon nos informations, les discussions portaient sur une enveloppe budgétaire de 300 millions d'euros supplémentaires au niveau national sur la période 2021-2022 pour un secteur considéré il y a peu de temps encore comme stratégique. Le projet n'est toutefois pas abandonné, les discussions se poursuivent. Elles devraient jouer les prolongations tout au long de l'été et atterrir probablement à l'automne, explique-t-on à La Tribune. Mais rien n'est encore acquis.
"Nous sommes conscients que le secteur spatial est actuellement confronté à de vraies difficultés. Il faut aider les industriels dans le cadre d'une stratégie de relance globale. On a travaillé au sein du Cospace (instance où se réunissent le MESRI, Bercy, le ministère des Armées, le CNES et les industriels, ndlr) sur de vrais projets porteurs d'avenir pour la filière", explique-t-on au MESRI.
Un peu plus de 200 millions en jeu
Aussi, la filière spatiale attend aujourd'hui encore désespérément sur le pas de tir. Si elle est beaucoup moins touchée par la crise du Covid-19 que l'aéronautique, certaines sociétés du secteur pourraient toutefois perdre "jusqu'à un quart de leur chiffre d'affaires", explique-t-on à La Tribune. Notamment celles qui exportent beaucoup : les bons clients de l'industrie spatiale tricolore, notamment au Proche et Moyen-Orient, reportent leurs commandes en raison de la baisse de leurs ressources pétrolières et gazières. Dans ce contexte, la filière spatiale attend donc beaucoup du rendez-vous prévu ce mardi entre Frédérique Vidal et Gérald Darmanin pour discuter du prochain budget de son ministère.
La ministre, qui se sent plus attendue sur les dossiers de l'enseignement supérieur (crise du Covid-19, rentrée 2020...) et de la recherche, devrait toutefois en profiter pour glisser une demande de rallonge budgétaire pour le spatial au ministre du Budget. Elle serait revue à la baisse par rapport aux prétentions initiales. Soit un peu plus de 200 millions d'euros supplémentaires sur deux ans (2021-2022) pour abonder notamment le programme budgétaire 193 (recherche spatiale). Or, jusqu'ici le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qui n'est pas convaincu par un plan de relance dans le secteur spatial, a bloqué le projet, selon plusieurs sources concordantes. Au-delà, il semblerait qu'entre les deux ministères, il y ait également un enjeu de gouvernance sur la filière, qui parasite leurs relations. Des tiraillements qui ont commencé avant la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui s'est tenue fin novembre 2019 à Séville.
Des projet de R&D visés
Pourtant ces crédits iraient aux PME du secteur mais pas exclusivement. Les équipementiers et les grands maîtres d'œuvre ne seraient pas oubliés. Avec cette rallonge budgétaire, on souhaite au MESRI essentiellement investir dans "des projets de R&D porteurs d'avenir" pour maintenir sur le long terme la compétitivité de l'industrie française. Des programmes comme le moteur Prometheus, du futur lanceur Themis (des briques technologiques), les nanosatellites et bien d'autres encore comme tout ce qui tourne autour de l'hydrogène bénéficieraient de cette rallonge budgétaire. La protection de la base industrielle et technologique de la filière menacée par d'éventuels prédateurs étrangers fait également partie des objectifs de ce plan de relance.
La filière a toutefois déjà bénéficié, à l'image de toutes les entreprises françaises, des mesures d'urgence comme les mesures de chômage partiel et des prêts garantis par l'État (PGE) pour éviter un effondrement du tissu économique. Le ministère des Armées, qui est un client important pour l'industrie spatiale, est éventuellement prêt à prendre le relais pour protéger des entreprises en grande difficulté. Le CNES a déjà quant à lui paré au plus urgent en anticipant des commandes et en payant de manière accélérée pour éviter les ruptures de trésorerie des entreprises dans le domaine spatial, voire des faillites.
Enfin, la filière peut compter sur une enveloppe financière de 14,4 milliards d'euros obtenue lors de la conférence ministérielle de l'ESA, qui s'est tenue fin novembre à Séville. Pour autant, il n'est pas sûr que tous les pays à l'image de l'Italie fortement ébranlée par la crise du Covid-19 (contribution de 2,3 milliards d'euros), puissent entièrement respecter leurs engagements financiers. Le conseil de l'ESA, qui se réunit ce mardi et mercredi, y verra plus clair à l'issue de cette réunion. C'est bien pour cela qu'au MESRI, "on pense qu'il faut encore aller au-delà" ...
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