Consommation durable : le grand retour du vrac

Le nombre de consommateurs adeptes de l'achat au poids augmente. Les magasins 100% vrac fleurissent et la grande distribution suit le mouvement.
Giulietta Gamberini
Sensibles aux problèmes de l'environnement, les moins de 35 ans achètent davantage en vrac que la moyenne des Français.
Sensibles aux problèmes de l'environnement, les moins de 35 ans achètent davantage en vrac que la moyenne des Français. (Crédits : DR)

En ville, on note de plus en plus de ces « ovnis ». Des consommateurs à l'apparence lambda, mais qui, lorsqu'ils sont servis, refusent plastique et papier, et sortent de leur sac pots et autres Tupperware. Ils sont les nouveaux adeptes du vrac, de plus en plus nombreux selon les statistiques. Cette pratique, qui constituait la règle du commerce avant l'invention de l'emballage, et qui consiste à acheter des produits non conditionnés au poids, fait son grand retour depuis quelques années.

Selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), en 2018, presque un Français sur deux affirme avoir acheté au moins une fois des produits alimentaires en vrac, contre un sur trois en 1998.

Une autre étude réalisée en 2019 par la société de mesure et d'analyse Nielsen, selon laquelle 37% des consommateurs affirment acheter des produits en vrac hors fruits et légumes frais, précise que tous les profils sociodémographiques sont représentés, même si « les moins de 35 ans se montrent encore plus adeptes du vrac que la moyenne des Français ».

La sensibilité particulière aux problèmes environnementaux de cette clientèle - qui, selon Nielsen, achète aussi « du bio et des produits équitables et locaux en plus grande quantité que la moyenne », et qui fait « une lecture attentive des emballages » - résonne avec les avantages mis en avant par les partisans de ce mode de consommation : non seulement une meilleure maîtrise des quantités, et donc du budget, ainsi qu'un meilleur rapport qualité-prix grâce à l'économie d'emballages, mais surtout une réduction du gaspillage alimentaire ainsi que des déchets et un retour au commerce de proximité.

« La tendance de l'achat en vrac s'inscrit dans un mouvement de fond de consommation plus responsable », confirme d'ailleurs Catherine Urvoy, experte consommateurs chez Nielsen.

200 magasins spécialisés en France

Face à ce mouvement lent mais visiblement durable, les pouvoirs publics s'adaptent. Dès 2016, en réactualisant l'une de ses notes relatives à l'hygiène des denrées dans les activités de commerce en détail, notamment via de nouvelles recommandations sur le doggy bag et le service à emporter, le ministère de l'Agriculture avait explicité son soutien à ces pratiques. La même année, la ville de Paris avait voté dans le cadre de son budget participatif un projet "Alimentation : du gaspillage au partage", incluant une subvention de 340.000 euros pour promouvoir le développement de commerces évitant la production de déchets, parmi lesquels des magasins 100% vrac.

En 2018, dans un guide consacré à comment "Manger mieux, gaspiller moins", l'Agence nationale de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a explicitement encouragé le vrac. Et le développement progressif d'une tarification « incitative » du service d'enlèvement des ordures ménagères, calculée en fonction des déchets produits, pousse aussi indirectement au refus des emballages. L'offre finit donc elle aussi par s'étendre au-delà des quelques rayons de certains supermarchés où l'on peut depuis longtemps acheter au poids des oléagineux et des fruits secs (qui sans surprise arrivent en tête des produits achetés en vrac), ainsi que des magasins Biocoop où, depuis plusieurs années, sont proposés sans emballages céréales et pâtes, légumineuses et farines, sucres et biscuits.

Dans les Biocoop eux-mêmes, après une expérimentation menée à Paris en 2015 à l'occasion de la COP 21, la démarche s'étend désormais aux produits d'entretien, au café à moudre, ainsi qu'à certains produits liquides comme le vin ou le miel. Les épiceries 100% vrac prolifèrent aussi dans toute la France. Selon Célia Rennesson, directrice générale de Réseau Vrac (organisation qui fédère 600 acteurs de la filière), citée par l'AFP, la France en compte désormais 200.

« En 2013, il n'y en avait qu'une, notre première à Meudon, et il en existait à peine une vingtaine il y a deux ans et demi », note David Sutrat, vice-président de Day by day, premier réseau du secteur qui aujourd'hui compte 47 points de vente en franchise.

L'entreprise, qui a misé sur une centrale d'achats et une plateforme logistique afin d'atteindre un millier de références produits, d'améliorer la traçabilité et l'empreinte carbone ainsi que de simplifier l'organisation de ses franchisés, a ainsi presque multiplié par quatre, entre 2016 et 2017, son chiffre d'affaires consolidé, qui est passé de 4 à 15 millions d'euros.

Même carrefour s'y met

Les magasins indépendants prolifèrent également, à Paris comme en province. Certains, tel Mme Bocal & Mr Vrac à Cholet, intègrent aussi des rayons frais (fruits et légumes, boulangerie, crémerie), et privilégient des produits locaux, voire bio. À Toulouse, le Drive tout nu permet même de faire ses courses en vrac sur Internet, puis de les récupérer au lieu convenu ou d'être livré : la démarche « zéro déchet » est garantie en encourageant, via un système de bonus, les clients à rapporter les emballages réutilisables, nettoyés et remis dans le circuit par l'entreprise. Et même des enseignes étrangères du vrac se lancent en France : c'est le cas de la franchise italienne Negozio Leggero, dont 15 épiceries existent en Italie et en Suisse et qui a ouvert en 2018 un magasin à Paris.

Sans compter le commerce traditionnel lequel, attiré par un marché qui, selon David Sutrat, est passé de 500 à 850 millions d'euros entre 2017 et 2018, tente de suivre le mouvement. Selon l'association Zero Waste, les commerçants de proximité acceptant de servir les clients dans leurs emballages de proximité - voire d'apposer des autocollants sur leur vitrine pour le signaler - sont plusieurs centaines, et leur nombre progresse. Même la grande distribution s'y met. Franprix a récemment équipé au moins 150 de ses magasins de rayons vrac, parfois en proposant même du vin.

Après avoir mené un test en 2018, Carrefour a autorisé cette année ses clients à demander d'être servis dans leurs propres contenants dans les rayons à vente assistée (fromagerie, charcuterie, etc.) de tous ses magasins : une décision qui devrait être suivie par toutes les autres enseignes, plaide Zero Waste France dans une lettre ouverte. Et des multinationales telles que Procter & Gamble, Nestlé, PepsiCo, Unilever, Coca-Cola European Partners, Mondelez International, Danone, BIC et Carrefour lanceront en mai la première plateforme d'e-commerce de produits de grande consommation conditionnés dans des emballages consignés.

Le défi de l'approvisionnement

Malgré cet engouement, les acteurs du secteur n'en sont pas dupes pour autant : le marché du vrac reste, comparé par exemple aux 150 milliards de celui de l'épicerie dans son ensemble, plus que de niche. Moins de 1% des Français pratiquent le vrac de manière régulière. Et divers obstacles s'opposent à son essor.

Au-delà de la mise en place de la logistique, le principal est la difficulté à trouver des fournisseurs capables de livrer les produits dans des emballages primaires adaptés aux exigences de la vente en vrac, compris entre 500 grammes pour les épices (pour des raisons de conservation) et 25 kilos pour certains riz, explique le président de Day by day Didier Onraita. La plupart du temps, les produits sont en effet conditionnés à la source dans des emballages secondaires ou, à l'opposé, livrés par tonnes à des plateformes de conditionnement, précise-t-il, déplorant une « logistique structurée sur le cahier des charges de la grande distribution ».

Dans les supermarchés, s'ajoute la nécessité de mobiliser davantage de personnel pour accompagner la démarche. Afin de convaincre le public, il est en effet essentiel de réduire les contraintes, souligne Didier Onraita : ce qui explique non seulement le souci partagé par l'ensemble des magasins en vrac de pratiquer des prix identiques, voire inférieurs, à ceux des produits emballés, mais aussi de mettre en vente des emballages réutilisables, d'établir une relation de proximité avec la clientèle, voire de proposer des services supplémentaires. Day by day permet par exemple à ses clients d'utiliser gratuitement des pots apportés par d'autres consommateurs, lavés et désinfectés par le magasin : un service difficilement imaginable dans la grande distribution.

L'emballage, le vrai concurrent

Alors, comment changer d'échelle ? Déjà, « en élevant les standards en matière d'offre, d'hygiène et de traçabilité, nous avons recréé une dynamique de marché », se réjouit Didier Onraita. Mais aujourd'hui, « il faut augmenter le nombre de produits vendus en vrac et proposer une offre à moins de dix minutes de chez soi », estime Célia Rennesson.

« Pour un effet d'entraînement comparable à celui constaté pour le bio, il faudrait atteindre une part de marché de 10% en une demi-génération », convient David Sutrat.

Or, les magasins spécialisés ne pourront pas faire cela tout seuls, estimet-il, appelant à une « compétition coopérative » et soulignant que le seul vrai concurrent du vrac est l'emballage. Tout ce qui, comme Loop ou la grande distribution, peut contribuer à « développer le geste, transformer les habitudes de consommation » est ainsi le bienvenu, ajoute le vice-président de Day by day, qui au Luxembourg travaille déjà au développement d'une « solution clé en main » pour l'enseigne de supermarché Match. En attendant, l'optimisme est néanmoins de mise dans le secteur.

Day by day - dont la société mère My Retail Box a réalisé en 2019 une levée de fonds de 7 millions d'euros compte plus de 100 demandes de franchise par mois, et prévoit d'ouvrir une douzaine de nouveaux magasins en France cette année, puis encore une vingtaine à l'étranger (Belgique, Pays-Bas, Allemagne). En 2022, elle espère atteindre un chiffre d'affaires sous enseigne de 100 millions d'euros, contre un peu plus d'une trentaine prévus en 2019. Selon Didier Onraita, le marché des épiceries 100% vrac pourrait alors dépasser les trois milliards d'euros.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 12/08/2020 à 19:36
Signaler
Il est intolérable que nous produisions autant d'emballages plastiques, qui ne sont pas recyclables. On pourrait utiliser des emballages en papier et des sacs en tissu.

à écrit le 12/08/2020 à 19:27
Signaler
Il est intolérable que nous produisons autant d'emballage plastiques, qui ne sont pas reciclables. On pourrait utiliser des emballages en papier et des sacs en tissu au lieu d'emballages plastiques.

à écrit le 30/04/2019 à 0:20
Signaler
Ben on s'attendrait à une économie en gros de 30%,ben c'est pas le cas, parfois c'est même deux fois plus cher. Le vendeur surfant sur cette mode idiote, on ne reviendra pas en arrière, car c'est emballé ou c'est produit à 1€ de l'heure.

à écrit le 29/04/2019 à 9:17
Signaler
Merci beaucoup, pour ma part je le vois peu mais bon j'habite aussi à la campagne dans laquelle la sensibilité écologique, paradoxalement, est moindre et du coup je n'arrête pas de déplorer cette absence de service. Il faut décliner le sans embal...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.