
LA TRIBUNE - Peut-on se satisfaire de ce cap des 100.000 bornes atteint ?
Matthieu Dischamps - Cela reste un objectif très symbolique, nous y arrivons avec quelques mois de retard mais c'est déjà bien qu'on l'ait atteint. En revanche, cet objectif ne représente pas la réalité des besoins. Il a le mérite de mettre les acteurs en ordre de marche mais cette barre reste un but quantitatif qui ne prend pas en compte le qualitatif. Quand on regarde le réseau français, sur les 100.000 bornes, il y a seulement 10 points de charge rapide tous les 100 km, comparé à l'Allemagne qui en possède le double.
La plupart de ces bornes ont une puissance lente et sont installées dans les bureaux ou les copropriétés. Le vrai combat est d'avoir une puissance adaptée au temps de passage des usagers. Par exemple, il faut pouvoir se recharger en 30 minutes à 45 minutes dans les supermarchés. Il faut donc aller au-delà du chiffre des 100.000 et regarder la qualité, notamment la puissance. En France, nous avons deux phénomènes : il y a beaucoup de recharges lentes dans les zones urbaines et il y a des recharges ultra rapides sur les autoroutes. Il y a un vide entre les deux. Or, la transition vers la mobilité électrique étant l'affaire de tous, il faut éviter de tomber dans l'écueil de la fibre avec des territoires peu équipés. Il est donc nécessaire de mettre des bornes dans les supermarchés, les centres commerciaux.
Emmanuel Macron a annoncé un objectif de 400.000 bornes pour 2030. Celui-ci vous semble-t-il réaliste et suffisant ?
En termes de réalisme, il va falloir beaucoup de capitaux car les bornes sont des investissements très lourds. A titre d'exemple, il faut entre 200.000 euros et 500.000 euros juste pour un site avec des recharges rapides. Il va donc falloir des fonds privés, des fonds d'investissements, mais aussi que tous les acteurs de réseau suivent, notamment les acteurs de réseau de distribution comme Enedis qui a le monopole et qui couvre 95% du territoire.
Il va également falloir faire attention au goulot d'étranglement car il faut 8 mois à 9 mois pour déployer une station avec Enedis même s'il reste tout de même l'un des meilleurs réseaux de distribution en Europe. Mais c'est totalement possible, nous étions à 50.000 bornes en 2020, nous en sommes à 100.000 aujourd'hui !
Pour ce qui concerne l'objectif quantitatif, nous avons actuellement en France autour de 1,3 million de véhicules électriques. Cela représente 3% du parc automobile. En 2030, les chiffres prédisent autour de 13 millions de véhicules soit une multiplication par dix mais seulement une multiplication par quatre du nombre de bornes. Il y a un léger déséquilibre, il vaudrait mieux envisager 1 million de bornes publiques d'ici 2030.
Au-delà du nombre, beaucoup d'utilisateurs se plaignent du fonctionnement ainsi que du manque de praticité des bornes actuelles. Que répondez-vous à cela ?
C'est sûr qu'il y a un enjeu d'expérience utilisateur très fort. Les Français ont été habitués à l'expérience de la voiture thermique où on ne se pose pas de questions avec la pompe à essence. Il faut que les utilisateurs puissent retrouver, avec les bornes, une expérience utilisateur la plus simple et la plus fluide possible. Cela passe par une compatibilité des points de charge avec tous les modèles de voitures et tous les modes de paiement. Moi-même, j'ai parfois du mal à comprendre de tels écarts de prix entre les bornes.
Aujourd'hui, il y a une jungle de badges et d'applications sur smartphone pour les bornes ainsi qu'une grande disparité entre acteurs pour un service équivalent. Tout ceci perd les utilisateurs. Cette situation devrait se tasser avec le temps car certains acteurs risquent de disparaître ou d'être rachetés. Il faut aussi comprendre que l'électricité ne va pas coûter 50 centimes du kilowattheure dans les bornes de recharge rapides car il y a un investissement important à amortir lors des installations de bornes.
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