Bornes de recharge : pourquoi un déploiement rapide reste un casse-tête

L'Europe a confirmé sa volonté de mettre en place une borne de recharge tous les 60 kilomètres afin de faciliter le déploiement de l'électrique. En France, la barre des 100.000 bornes est en passe d'être franchie cette année... deux ans après l'objectif initial. En cause notamment, les sociétés qui commercialisent ces bornes doivent faire face à différents défis. Décryptage.
(Crédits : Reuters)

Il faut « qu'il soit aussi simple et pratique de conduire et recharger une voiture de nouvelle génération qu'une voiture à essence », a déclaré l'eurodéputé socialiste Ismail Ertug, rapporteur du texte, fin mars. Mais où trouver autant de stations accessibles ? En accord avec la fin des ventes de voitures thermiques après 2035, la feuille de route annoncée par les Eurodéputés et Etats de l'Union pour le développement de l'électrique est claire : une borne de recharge rapide (400 kW) tous les 60 kilomètres pour les voitures, et une borne plus puissante (1.400 à 2.800 kW) tous les 120 kilomètres pour les camions ou les bus avant 2026.

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En France, à ce jour, 95.755 bornes sont ouvertes au public. La fameuse barre des 100.000 bornes prévues pour fin 2021 devrait donc être passée cette année... soit deux ans après la date annoncée. En 2022, le nombre de bornes électriques en France a pourtant augmenté de 52%. Mais le secteur fait encore face à de multiples enjeux.

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  • Le casse-tête du positionnement

Pour l'heure, l'annonce d'une borne tous les 60 kilomètres ne sera applicable qu'aux autoroutes. « Début 2021, moins de 30% des aires d'autoroutes étaient équipées, on était à 90% en 2022. Aujourd'hui, sur les 450 aires de services, nous pouvons dire que nous sommes à quasi 100% », s'est réjouit Claude Renard, coordinateur du déploiement des bornes au ministère transition écologique. Aucun plan n'a été clairement présenté pour l'ensemble du territoire par le gouvernement. « C'est aux autorités locales de définir combien de bornes sont nécessaires ».

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Aujourd'hui, trois types de bornes se distinguent avec des usages différents. Les bornes à recharge rapide ou « superchargeurs » promettent une recharge en 20 minutes pour passer de 20% à 80% de la batterie. Elles sont essentiellement positionnées sur les aires d'autoroutes et ont été massivement déployées par l'américain Tesla. L'Etat français a promis 100 millions d'euros pour accompagner leur déploiement. Sur l'autoroute, il faudra néanmoins éviter l'effet de « congestion » lors des départs en vacances notamment, l'un des principaux défis des entreprises de bornes de recharge.

« Le risque est de mettre à des endroits non stratégiques et de ne pas en avoir assez dans des lieux denses », a souligné Ion Leahu-Aluas, CEO de la startup Driveco, 2ème plus importante réseau de bornes de recharge ouvertes au public en France. L'entreprise travaille sur la mise en place de logiciels permettant de connecter les bornes de recharge au véhicule et avertissant l'utilisateur de l'affluence en temps voulu pour le réorienter vers une autre station en cas de surcharge, « quitte à faire un prix attractif ailleurs », envisage Ion Leahu-Aluas.

Mais le secteur où l'enjeu est le plus grand est celui de la recharge dite de « moyenne » durée. Ces bornes sont situées au niveau des lieux de travail ou dans certains espaces publics comme les supermarchés, les restaurants ou les centres commerciaux. Là, le travail des sociétés de bornes de recharge consiste à analyser les flux dans la journée afin de placer suffisamment de bornes pour ne pas pénaliser les usagers. « Il faut que l'offre précède la demande et qu'elle s'adapte au mode de vie », estime Romain Colas, vice-président de l'APVF (association petites villes de France).

  • Atteindre la rentabilité financière

Dans cette course au déploiement des bornes, des startups françaises veulent tirer leur épingle du jeu. Au côté des géants Tesla, Ionity ou Total Energies, l'entreprise Driveco a par exemple annoncé, ce jeudi, le déploiement de 600 stations et 3.000 points de charge dans les Carrefour Market de France d'ici fin 2024. Un projet de 200 millions d'euros en comptant l'investissement et l'entretien des bornes. Dreamenergy, de son côté, annonce ouvrir des stations de recharge tous les quinze jours. Une multiplication des acteurs qui a permis l'augmentation rapide du nombre de bornes ces dernières années mais dont le succès reste fébrile.

« Nous sommes à l'équilibre. Aujourd'hui, Tesla est le seul réseau entièrement rentable », affirme Dreamenergy. Une tension que confirme d'autres concurrents. Car il faut être rentable, mais surtout pouvoir investir. Pour être s'assurer financièrement, ces startups bénéficient généralement de l'entrée au capital d'entreprises. Par exemple, Driveco a ainsi vu la société Mirova entrer dans son capital avec un fond d'actifs à hauteur de 27 milliards d'euros.

De son côté, la société Station-e, autre startup de la borne électrique, bénéficie de l'aide de la banque de France. La société a également choisit un autre modèle afin d'être rentable : elle propose des services en plus de la recharge. La Poste, Amazon, Orange, ou encore Free financent ainsi l'installation de bornes pour mettre à profit leurs services.

  • Garantir la stabilité des prix

L'enjeu le plus fort demeure la garantie de l'approvisionnement en énergie dans les stations, mais également le prix de l'énergie. Pour l'heure, il n'y a pas de règle, mais l'Europe a annoncé une volonté d'« un coût raisonnable, aisément et clairement comparable, transparent ».

Le chargement à domicile reste le plus rentable, avec une moyenne de 3 euros les 100 kilomètres soit plus de 50% de moins que le diesel ou l'essence. En revanche, le prix est souvent identique voire même plus élevé lorsque l'on recharge avec les superchargeurs, lié notamment à l'investissement massif que représentent ces technologies. Concernant les bornes publiques de moyenne recharge, le coût est d'environ 5 euros.

Les sociétés commercialisant les bornes sont également des fournisseurs d'énergie et ont pu bénéficier du bouclier tarifaire cet hiver. Mais de nombreux Français s'inquiètent de la volatilité des prix, pourtant le premier argument en faveur de l'électrique. « Il faut que le prix du Kilowatt/heure en électrique soit moitié moins cher que l'essence au moins », insiste Alain Rolland, fondateur de Station-e. Un prix fixe qui doit également s'accompagner d'une facilité de paiement selon l'Europe avec tous types d'appareils (carte bleue, téléphone...).

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  • Assurer l'approvisionnement en énergie

Afin d'assurer un prix fixe, les entreprises misent sur plusieurs stratégies. Certaines préfèrent exploiter les barrages hydrauliques, mettre en place des panneaux solaires au niveau des bornes ou réfléchissent à des partenariats avec des agriculteurs pour exploiter l'énergie de la biomasse. D'autres préfèrent les contrats longs avec les fournisseurs pour garantir des prix au plus bas avec de l'énergie principalement issue du nucléaire.

Quelque soit la stratégie employée, les entreprises se raccordent au réseau général, avec une prise en charge de l'Etat à hauteur de 75%. L'ADEME, dans un plan de soutien au déploiement des bornes, augmente également son taux d'aide de 20% lorsque les bornes sont associées à des batteries stationnaires. Ces batteries, très coûteuses, seront pourtant nécessaires pour gérer les flux d'énergie dans les prochaines années.

Aujourd'hui, la France compte plus d'un million de voitures électriques en circulation. Un chiffre qui devrait rapidement augmenter. En mars 2023, les ventes de véhicules électriques ont bondi de 54%.

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Commentaire 1
à écrit le 07/04/2023 à 11:20
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On a déjà une borne comme ministre, et elle a bien du mal à exercer sa charge. Pas étonnant qu'un déploiement national soit problématique... ;)

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