"Il n'existe pas d'information objective pour chiffrer la R&D des médicaments"

Lors d'un débat organisé par le Cese entre le Leem, lobby pharmaceutique, et plusieurs associations, Olivier Maguet, un cadre de Médecins du Monde, a contesté la véracité des chiffres du coût de la recherche et du développement des médicaments, régulièrement mis en avant par l'industrie pharmaceutique.
Jean-Yves Paillé
Le coût total "réel" du développement des molécules Havoni et Sovaldi de Gilead, (capables de guérir la majorité des patients atteints d'hépatite C) est le symbole d'une déconnexion avec le prix fixé sur le marché, selon Olivier Maguet,cadre de Médecins du Monde.

Cinq mois après la publication de ses pistes pour maintenir la viabilité du système de santé face à l'arrivée de nouveaux médicaments onéreux, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a organisé un débat sur le sujet, vendredi 19 mai. Avec la participation de représentants d'organisations en conflit sur le sujet, dont Philippe Lamoureux, Directeur général du Leem, principal syndicat professionnel de l'industrie pharmaceutique, et Olivier Maguet, membre de Médecins du Monde. Cette association a notamment lancé en juin 2016 une campagne offensive contre le prix élevé des nouveaux traitements.

Rapidement, le débat a tourné autour du coût de l'innovation, un argument exposé par les fabriquant de médicaments pour justifier les prix élevés de certaines molécules, des anticancéreux notamment. Le Leem évoque régulièrement un milliard d'euros de dépenses par molécule en moyenne pesant sur les laboratoires.

"Les coûts de développement augmentent, en raison du développement des phases IV (étude d'observation des effets d'un traitement dans la vraie vie, en dehors des essais cliniques, NDLR) et des exigences des autorités de santé évoluent. En outre, il faut une dizaine d'années pour lancer un médicament sur le marché, s'il fait partie des 7% parvenant à franchir la barrière des essais cliniques", fait valoir Philippe Lamoureux.

Pas "d'information objective"

L'argument des coûts colossaux de la R&D ne passe pas auprès d'Olivier Maguet. "Il n'existe aucune information objective pour chiffre le coût de la recherche et du développement d'un médicament", rétorque-t-il. Il en profite pour critiquer vivement une source phare sur laquelle l'industrie pharmaceutique s'appuie pour évaluer les coût de la R&D : les travaux de l'université Tufts de Boston. Outre le fameux milliard de dépense moyenne par molécule, cette dernière évoque jusqu'à 2,8 milliards de dollars de dépenses pour les labos pharmaceutiques entre la découverte et la mise sur le marché de certaines nouvelles molécules. Pour le cadre de Médecins du Monde, cela ne repose sur "aucune méthodologie".

Le coût total "réel" du développement des molécules Havoni et Sovaldi de Gilead, (capables de guérir la majorité des patients atteints d'hépatite C) est le symbole d'une déconnexion avec le prix fixé sur le marché, ajoute-t-il. Il cite les dépenses propres en R&D de Gilead de l'ordre 880 millions de dollars, révélées dans un rapport du Sénat américain qui se base sur des documents internes du laboratoire. A noter que Gilead a dû mettre sur la table 11 milliards de dollars en 2011 pour acquérir le laboratoire qui concevait le traitement. Mais le laboratoire américain a généré plus de 30 milliards de dollars entre janvier 2014 et décembre 2015, un chiffre d'affaires réalisé grâce à son activité hépatite C.

Pour Philippe Lamoureux, l'exemple de ces molécules ne tient pas. Le cas "des traitements contre l'hépatite C est très particulier", argue-t-il. Il reconnaît toutefois qu'il faut prendre avec des pincettes les évaluations des coûts de R&D. "Ils sont très variables d'une classe thérapeutique à une autre. Ces chiffres sont des ordres de grandeur". Mais, une chose est sûre pour le Directeur général du Leem: "Ce sont des coûts très importants, et le taux de mortalité des entreprises pharmaceutiques est supérieur à celui des autres industries."

Le coût du développement, un faux problème ?

Un autre nvité du débat, l'économiste Pierre-Yves Geoffard, a voulu dépasser le sujet sur le coût de l'innovation. "On ne connaît pas le coût de production, mais faut-il vraiment le connaître ? Ce qui compte, c'est que le prix corresponde au résultat. La concurrence est le meilleur moyen pour le faire baisser."

Dans le cas des traitements curatifs de l'hépatite C, l'arrivée de produits concurrents a en effet poussé les prix à la baisse dans l'Hexagone. Le prix du Sovaldi de Gilead, a été fixé à 41.000 euros, puis à 46.000 euros en association avec le Harvoni (il s'agit du prix facial, qui ne prend pas en compte les remises concédées par le laboratoire). Son prix est ensuite descendu à 30.667 euros, lorsque Gilead a obtenu le feu vert pour raccourcir la durée des traitements (de 12 à 8 semaines). Il faut dire qu'Abbvie avait lancé entre-temps le Viekirax-Exviera à 42.000 euros. Et désormais, à 8 semaines de traitement, le prix de ce produit thérapeutique est inférieur à celui de Gilead, à 28.000 euros. Fin 2016, un nouveau concurrent a fait son apparition : MSD a lancé le Zépatier à 28.732 euros pour 12 semaines de traitement.

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 20/05/2017 à 18:11
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Merci infiniment pour cet article. "Les dessous de l’industrie pharmaceutique" https://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/RAVELLI/51928 (article gratuit)

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