Santé : le défi de relocaliser en France la pharmacie de demain

Relocaliser 50 médicaments essentiels en France est important, mais loin du défi de redevenir un pays d'innovation pharma. Après avoir chuté de la première à la cinquième place, la France saura-t-elle se donner les moyens de revenir dans le palmarès européen de la production pharma et comment ?
(Crédits : Op2Lysis)

La volonté est là. Au moins dans les annonces. Mardi 13 juin, Emmanuel Macron s'est engagé à relocaliser la production de 50 médicaments essentiels, parfois indisponibles dans nos pharmacies. Une volonté déjà affichée pendant la crise Covid pour rendre à la France son autonomie sanitaire. Une liste de 25 molécules à relocaliser a déjà été fixée : antibiotiques, anticancéreux, médicaments utilisés en réanimation ou contre des affections chroniques.

Si l'annonce fait penser au Plan innovation santé 2030, elle relève plus du problème des pénuries que de celui de l'avenir de notre industrie pharmaceutique. Elle concerne avant tout des molécules chimiques qui ne suffiront pas à remettre la France dans le palmarès européen de la pharma. Car les traitements du futur, ceux qui soignent des maladies rares et incurables, sont aujourd'hui essentiellement issus des biotechnologies. Voilà pourquoi Emmanuel Macron s'est lancé le défi de produire « plus de vingt biomédicaments en France en 2030 » avec son Plan innovation santé. Mais alors que la plupart de nos usines produisent des molécules « ancienne génération », ce défi est-il réaliste ? Et comment faire ?

L'avenir du médicament

Depuis 20 ans, le pays de Pasteur a raté le virage des anticorps monoclonaux, ces éléments des biotechnologies dont il importe 97% de ses besoins. Or aujourd'hui, la moitié des essais cliniques de phase 3 sont des biothérapies. Les biotechnologies représentent le quart du marché mondial du médicament, avec 320 milliards d'euros attendus en 2025. Et dans cette course, la France n'est pas très bien placée. En décembre 2020, un bilan du Comité stratégique de la filière Santé estimait que sur les 167 biothérapies approuvées par l'Agence européenne du médicament, seulement huit étaient produites en France !

L'écosystème peine à s'améliorer

Il faut dire que la France n'est plus une destination pharma très prisée. Selon le syndicat des industriels du médicament (Leem), quatre principaux freins entravent le développement des laboratoires chez nous : une réglementation instable et peu prévisible, des délais d'accès au marché trop longs, une lourde fiscalité spécifique au secteur, et des prix de vente inférieurs à ceux de nos voisins.

En 2021, le gouvernement s'est mobilisé pour corriger le tir. Avec le Plan innovation santé 2030, il a multiplié les investissements afin de créer un terreau fertile pour fabriquer des médicaments : un milliard d'euros pour la recherche en santé, cinq bioclusters labellisés, quatorze pôles d'excellence hospitaliers (IHU). De plus, le Plan débloquera aussi 800 millions d'euros avec un appel à projet en cours dans les domaines des biothérapies et de la bioproduction.

Sur le gymkhana administratif, de premiers ajustements ont commencé.

« Certains délais administratifs se sont améliorés, reconnaît Philippe Lamoureux, directeur général du Leem. La réunion en un guichet unique de la Haute autorité de santé et de l'Agence nationale de sécurité du médicament a simplifié certaines procédures. Aujourd'hui, la négociation des prix des nouveaux traitements peut tenir compte des investissements réalisés en France pour le produire, ce qui est encourageant. Mais aucun texte ne précise comment sera financé ce bonus accordé. »

Selon le G5 Santé qui regroupe les huit principales entreprises françaises des produits de santé, les améliorations du Plan innovation santé concernent surtout pour l'instant la recherche et développement, et la production.

« En amont, la France est devenue plus attractive pour les entreprises pharmaceutiques, estime Didier Véron, Président du G5 Santé. Mais l'aval reste problématique, un biomédicament produit en France aura du mal à accéder au remboursement et arriver sur le marché. Entre 2017 et 2020, 40% des nouveaux traitements en cancérologie n'y sont toujours pas parvenus, alors même qu'ils sont dotés d'une autorisation de l'agence européenne du médicament. Et puis en France, il faut 17 mois de délai pour ouvrir une usine contre 6 en Allemagne.»

Pour Didier Véron, les solutions sont claires : il faut augmenter les moyens financiers alloués aux médicaments. »

Mais certains labos misent de nouveau sur la France

Malgré un paysage encore trop compliqué, le plan Innovation santé et Choose France commencent à mobiliser quelques labos. Déjà, GSK prévoit d'investir 400 millions d'euros entre 2023 et 2025 dans les essais cliniques et ses trois usines d'Évreux (Eure), de Mayenne et de Saint-Amand-les-Eaux (Nord). Le laboratoire allemand Merck a annoncé de son côté 175 millions d'euros sur ses sites de Molsheim (Haut-Rhin) et de Martillac (Gironde), avec la création de 500 emplois d'ici à 2024. Sanofi investit 490 millions d'euros dans une nouvelle unité de production de vaccins à Neuville sur Saône et le LFB 700 millions d'euros à Arras dans une nouvelle usine pour des médicaments dérivés du sang Novo Nordisk, Biogen et B. Braun ont aussi des projets français. Le grand défi du moment ? Convaincre Moderna d'implanter chez nous sa future usine destinée à produire des traitements ARN pour l'Europe.

Bon signal envoyé à l'international

« La stratégie Bio production du Plan Innovation santé arbitré en 2021 commence à démarrer en ce moment, souligne Franck Mouthon, président de France Biotech. La volonté de réindustrialiser la France par le biais de l'innovation envoie un bon signal à l'international. »

Déjà, nous avons de bonnes capacités de production dans certaines technologies qui n'ont pas été boudées par nos labos. « La France peut développer ses capacités de production sur la thérapie génique et la thérapie cellulaire avec une bonne expérience de production des lots cliniques en phase 3, précise Pascal le Guyader, directeur général adjoint du Leem. Mais nous devons passer à la vitesse supérieure pour manufacturer les lots commerciaux. »

Avec les cinq bioclusters - le cancer à Saclay, le cerveau à Paris, les maladies infectieuses émergentes à Lyon et Paris, l'immuno inflammation à Marseille et la génétique RN en Île-de-France -, l'écosystème français va devenir bien plus lisible. « Avec l'association France Biolead fondée par quinze acteurs de la bioproduction, l'Agence Santé, tous ces éléments dessinent un ensemble cohérent, estime Franck Mouthon. Entre le financement des innovations, les capacités d'investigation clinique et les sites industriels qui se structurent autour des bioclusters, nous pourrons améliorer notre attractivité. »

Selon le président de France Biotech, la moitié de la valeur des nouveaux traitements réside dans la capacité à les produire dans de bonnes conditions. Prendre en charge des innovations de rupture tout en ayant la capacité de les financer, en réduisant les délais et les coûts de développement : voilà le secret d'une réindustrialisation française pour la pharmacie de demain. Un défi pour le moins ambitieux.

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Commentaires 3
à écrit le 16/07/2023 à 5:54
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Avons-nous des Trouveurs?

à écrit le 14/07/2023 à 12:14
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Au train ou va la dégradation de la France, il faudra bientot produire ses médicaments entre copins. Apres tout produire une proteine ne coute pas plus cher que cultiver de la Marijuana dans un sous-sol.

à écrit le 14/07/2023 à 10:16
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C'est pas sexy pour l'économie de demain je préfère celle qui nous fait rêver sur nos océans, on peut laisser ça aux chinois franchement.

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