Bruxelles étiquette le nucléaire et le gaz de « durable » pour accélérer la décarbonation de l'UE

A l’issue de négociations acharnées en coulisses, la Commission européenne a finalement décidé ce mercredi d'octroyer un label de finance « durable » au nucléaire et au gaz, sous certaines conditions. Une manière de reconnaître que ces deux activités seront bel et bien « utiles à la transition », à l’heure où les seules énergies renouvelables intermittentes risquent de ne pas suffire pour décarboner la production d’énergie sur le continent. Mais la position est loin de faire l’unanimité parmi les Etats membres... Décryptage.
Marine Godelier
Même si elle émet très peu de gaz à effet de serre, la production d'électricité d'origine nucléaire pose la question de la gestion des déchets radioactifs, soulève les opposants à son intégration dans la classification bruxelloise.
Même si elle émet très peu de gaz à effet de serre, la production d'électricité d'origine nucléaire pose la question de la gestion des déchets radioactifs, soulève les opposants à son intégration dans la classification bruxelloise. (Crédits : DR)

C'est désormais officiel : après des mois de tractations intenses et plusieurs glissements du calendrier, les commissaires européens ont fini par approuver ce mercredi, via un acte délégué, l'inclusion de l'atome civil et du gaz dans les investissements « verts » de l'Union européenne. Un graal pour les deux filières en question et pour les pays qui les défendent, ceux-ci ayant fait pression pendant de longs mois afin que ces activités intègrent la précieuse liste, aux côtés des énergies renouvelables.

Et pour cause, cette classification ne sera pas que symbolique : concrètement, elle servira à flécher les financements privés vers les activités reconnues « durables », mais aussi, in fine, les futures subventions publiques. Et ce, par la mise en place une grille d'analyse harmonisée à destination des investisseurs européens, de manière à clarifier l'impact des fonds qu'ils placent auprès des entreprises, de plus en plus pris en compte par les agences de notation financière. D'ici à la prochaine décennie, ce sont donc des centaines de milliards d'euros à lever sur les marchés qui sont en jeu.

« Aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape importante dans la transition [vers l'objectif de neutralité carbone du continent en 2050, ndlr]. Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de 30 ans pour y parvenir », a ainsi déclaré la commissaire européenne aux Services financiers, Mairead McGuinness, lors d'une conférence de presse ce mercredi.

A l'origine, la partie était pourtant loin d'être gagnée pour les pays qui soutenaient l'initiative. En premier lieu la France, qui entend relancer son industrie nucléaire génératrice d'électricité décarbonée, mais aussi des pays d'Europe centrale, comme la Pologne ou la République tchèque, amenées à remplacer leurs centrales à charbon très polluantes pour honorer leurs objectifs climatiques. Car leur position est loin de faire l'unanimité : un petit groupe d'Etats membres menés par l'Allemagne, dont l'Autriche et le Luxembourg, a notamment bataillé pour exclure l'atome. Quant au gaz, l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont vivement contesté, dans une lettre commune, son intégration dans la liste. Berlin a lui gardé une position ambiguë sur ce sujet, puisque le pays mise entre autres sur de nouvelles centrales au gaz pour sortir de sa dépendance au charbon.

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Un label plus transitoire que durable

Malgré des dissensions, c'est donc le pragmatisme qui l'a l'emporté. Car à l'heure où l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne repose essentiellement sur les énergies fossiles, source de plus de 70% de la consommation du continent, le gaz (d'origine fossile mais moins polluant que le charbon) et le nucléaire semblent finalement nécessaires à la transition vers la neutralité carbone. En témoigne la position désormais affichée par Bruxelles, la Commission ayant fait valoir ce mercredi que les énergies renouvelables, déjà labellisées « vertes » et qui restent « une priorité de la politique européenne », ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante d'électricité. Et ce, en raison notamment de leur production intermittente et imprévisible (à l'exception de l'hydraulique). D'où le besoin, « à titre transitoire », de favoriser aussi l'investissement dans des moyens stables et pilotables.

Un principe de nécessité qui se ressent dans le texte, fruit de lourds compromis : si le gaz et l'atome intègrent le label, ils ne seront en fait pas non plus labellisés « durables », au même titre que les énergies renouvelables. Mais accèderont à un rang intermédiaire, moins vertueux : celui d' « activité de transition » dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et cette reconnaissance est assortie de conditions strictes, notamment une limitation dans le temps et l'obligation de recours aux meilleures technologies disponibles.

Concrètement, pour la construction de nouvelles installations nucléaires, les projets devront avoir obtenu un permis de construire avant 2045, et les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront avoir été autorisés avant 2040, entre autres. Des dates limites qui soulèvent de nombreuses questions, puisque les centrales nucléaires ont vocation à être exploitées pendant plusieurs décennies.

Concernant le gaz, la Commission impose un plafond d'émissions de CO2 : moins de 100 g par kWh, un seuil inatteignable avec les technologies actuelles selon des experts. Mais, une période de transition est prévue, et les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31 décembre 2030 verront ce seuil relevé à 270 g, à condition qu'elles remplacent des infrastructures beaucoup plus polluantes.

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Vote du Parlement européen

A partir de mercredi et durant une période de quatre mois, qui pourra être prolongée de deux mois, le Parlement européen aura la possibilité de rejeter ce texte par un vote à la majorité simple. Quant au Conseil européen, qui représente les pays membres, il pourrait aussi théoriquement s'y opposer.

Mais une telle issue semble peu probable, puisqu'il lui faudrait pour ce faire réunir pas moins de 20 Etats, une coalition qui ne semble pas pour l'heure se dégager malgré la vive opposition de l'Autriche et du Luxembourg.

Marine Godelier

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Commentaires 12
à écrit le 03/02/2022 à 4:39
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Quelle comedie cette union europeenne, la palme revient a Bruxelles et a ses fonctionnaires non elus, le must.

le 03/02/2022 à 12:20
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Vous avez parfaitement raison le label vert est en vérité plutôt noir . L'hénergie est tellement cher que la plus part des consommateurs se tournent vers le bois et le pétrole avec l'assentiment des pouvoirspublics. Je ne vois pas encore une fois ce...

à écrit le 02/02/2022 à 20:41
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tiens, on dirait qu'ils sentent l'odeur tolerante des petits moustachus, qui proposeront autre chose aux electeurs que d'acheter une voiture a 100.000 euros ( ce qu'ils ne pourrront pas, ou s brosser les dents a la terre glaise, avec des wc au fond d...

à écrit le 02/02/2022 à 20:09
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Plus besoin de savoir faire des additions: les émissions de CO2 (russes) seront pires qu'avant!.. Pour le nucléaire décarbonné attendre maintenant 2035..(Merci Les Ecolos! Merci Jadot!)

le 03/02/2022 à 13:59
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le nucleaire , meme pour une centrale fonctionnant normal, provoque des mutations chez les insectes. Pas besoin d aller a Fukushima ou Tchernobyl. Pour voir les belles photos, la photographe L’artiste Cornelia Hesse-Honegger 77 ans y a conscre sa vie...

à écrit le 02/02/2022 à 18:28
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Albert, comme pendant la dernière guerre 39/45, avec des gazogènes sur le toit des voiture:ça vous rappellera votre jeunesse ;-) Vous êtes décidément un homme de progrès.

à écrit le 02/02/2022 à 18:28
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Albert, comme pendant la dernière guerre 39/45, avec des gazogènes sur le toit des voiture:ça vous rappellera votre jeunesse ;-) Vous êtes décidément un homme de progrès.

à écrit le 02/02/2022 à 17:33
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Durable, oui, comme les déchets et les conséquences des accidents nucléaires. Depuis le temps que les éléments de communications alimentés par les lobbies et allant toujours dans le ses du nucléaire nous martèlent que cette énergie est propre car déc...

le 02/02/2022 à 22:53
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Bravo, vous venez de découvrir un principe fondamental de notre société industrielle : il n'existe pas d'énergie "propre" (mis à part l'énergie musculaire et les énergies mécaniques obtenues via des moulins à vent ou des moulins à eau). Je suis d'acc...

le 03/02/2022 à 14:38
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Vous lisez un article stipulant que le gaz et le nucléaire sont des énergies durables, et ce qui vous fait tiquer, c'est la présence du mot nucléaire. Pour ma part, mon problème est la présence du gaz. Le gaz n'a rien de durable, et n'est là que pour...

à écrit le 02/02/2022 à 17:22
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Le nucléaire peut être le gaz plus étonnant mais ce que l'Allemagne veut... Désormais rien ne s'oppose pour construire des bagnoles à gaz.

le 03/02/2022 à 4:49
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Vous parlez du GPL quoi.

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