
C'est désormais officiel : après des mois de tractations intenses et plusieurs glissements du calendrier, les commissaires européens ont fini par approuver ce mercredi, via un acte délégué, l'inclusion de l'atome civil et du gaz dans les investissements « verts » de l'Union européenne. Un graal pour les deux filières en question et pour les pays qui les défendent, ceux-ci ayant fait pression pendant de longs mois afin que ces activités intègrent la précieuse liste, aux côtés des énergies renouvelables.
Et pour cause, cette classification ne sera pas que symbolique : concrètement, elle servira à flécher les financements privés vers les activités reconnues « durables », mais aussi, in fine, les futures subventions publiques. Et ce, par la mise en place une grille d'analyse harmonisée à destination des investisseurs européens, de manière à clarifier l'impact des fonds qu'ils placent auprès des entreprises, de plus en plus pris en compte par les agences de notation financière. D'ici à la prochaine décennie, ce sont donc des centaines de milliards d'euros à lever sur les marchés qui sont en jeu.
« Aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape importante dans la transition [vers l'objectif de neutralité carbone du continent en 2050, ndlr]. Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de 30 ans pour y parvenir », a ainsi déclaré la commissaire européenne aux Services financiers, Mairead McGuinness, lors d'une conférence de presse ce mercredi.
A l'origine, la partie était pourtant loin d'être gagnée pour les pays qui soutenaient l'initiative. En premier lieu la France, qui entend relancer son industrie nucléaire génératrice d'électricité décarbonée, mais aussi des pays d'Europe centrale, comme la Pologne ou la République tchèque, amenées à remplacer leurs centrales à charbon très polluantes pour honorer leurs objectifs climatiques. Car leur position est loin de faire l'unanimité : un petit groupe d'Etats membres menés par l'Allemagne, dont l'Autriche et le Luxembourg, a notamment bataillé pour exclure l'atome. Quant au gaz, l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont vivement contesté, dans une lettre commune, son intégration dans la liste. Berlin a lui gardé une position ambiguë sur ce sujet, puisque le pays mise entre autres sur de nouvelles centrales au gaz pour sortir de sa dépendance au charbon.
Un label plus transitoire que durable
Malgré des dissensions, c'est donc le pragmatisme qui l'a l'emporté. Car à l'heure où l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne repose essentiellement sur les énergies fossiles, source de plus de 70% de la consommation du continent, le gaz (d'origine fossile mais moins polluant que le charbon) et le nucléaire semblent finalement nécessaires à la transition vers la neutralité carbone. En témoigne la position désormais affichée par Bruxelles, la Commission ayant fait valoir ce mercredi que les énergies renouvelables, déjà labellisées « vertes » et qui restent « une priorité de la politique européenne », ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante d'électricité. Et ce, en raison notamment de leur production intermittente et imprévisible (à l'exception de l'hydraulique). D'où le besoin, « à titre transitoire », de favoriser aussi l'investissement dans des moyens stables et pilotables.
Un principe de nécessité qui se ressent dans le texte, fruit de lourds compromis : si le gaz et l'atome intègrent le label, ils ne seront en fait pas non plus labellisés « durables », au même titre que les énergies renouvelables. Mais accèderont à un rang intermédiaire, moins vertueux : celui d' « activité de transition » dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et cette reconnaissance est assortie de conditions strictes, notamment une limitation dans le temps et l'obligation de recours aux meilleures technologies disponibles.
Concrètement, pour la construction de nouvelles installations nucléaires, les projets devront avoir obtenu un permis de construire avant 2045, et les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront avoir été autorisés avant 2040, entre autres. Des dates limites qui soulèvent de nombreuses questions, puisque les centrales nucléaires ont vocation à être exploitées pendant plusieurs décennies.
Concernant le gaz, la Commission impose un plafond d'émissions de CO2 : moins de 100 g par kWh, un seuil inatteignable avec les technologies actuelles selon des experts. Mais, une période de transition est prévue, et les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31 décembre 2030 verront ce seuil relevé à 270 g, à condition qu'elles remplacent des infrastructures beaucoup plus polluantes.
Vote du Parlement européen
A partir de mercredi et durant une période de quatre mois, qui pourra être prolongée de deux mois, le Parlement européen aura la possibilité de rejeter ce texte par un vote à la majorité simple. Quant au Conseil européen, qui représente les pays membres, il pourrait aussi théoriquement s'y opposer.
Mais une telle issue semble peu probable, puisqu'il lui faudrait pour ce faire réunir pas moins de 20 Etats, une coalition qui ne semble pas pour l'heure se dégager malgré la vive opposition de l'Autriche et du Luxembourg.
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