Environnement : nouvelles propositions fiscales pour doper la consommation des produits les plus vertueux

Après Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans leur fameux rapport sur « les incidences économiques de l'action pour le climat » publié fin mai, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’interroge à son tour sur la structure de la fiscalité en France, à l'aune de la nécessaire transition écologique. Dans un nouvel avis voté hier, il appelle les pouvoirs publics à se saisir d’outils tarifaires pour inciter les consommateurs à s’orienter vers les produits les plus vertueux, aujourd'hui plus chers. Sans écarter la nécessité, en parallèle, de taxer les biens et services très polluants, afin de les en détourner.
Marine Godelier
Dans son avis, le CESE rappelle que plusieurs rapports récents s’accordent sur la nécessité d’évaluer la justification des modulations de TVA existantes, et notamment des exonérations et allègements actuellement en vigueur pour des produits dont l’impact carbone est pourtant élevé, en particulier le kérosène alimentant les avions.
Dans son avis, le CESE rappelle que plusieurs rapports récents s’accordent sur la nécessité d’évaluer la justification des modulations de TVA existantes, et notamment des exonérations et allègements actuellement en vigueur pour des produits dont l’impact carbone est pourtant élevé, en particulier le kérosène alimentant les avions. (Crédits : Kacper Pempel)

Faut-il mettre en place une « taxe carbone » sur les produits les plus polluants, dont les recettes permettraient de rendre plus abordables les biens et services moins émetteurs de gaz à effet de serre ? Si l'expression reste socialement minée depuis la crise des Gilets jaunes, elle se taille à nouveau, progressivement, une place dans le débat public, à l'aune de l'urgence écologique. Et cette fois, c'est le Conseil économique, social et environnemental (CESE), cette assemblée composée de 175 représentants de la société civile dont la mission est d'éclairer les pouvoirs publics, qui se risque à l'aborder : dans un avis voté hier avec 94 voix pour, 14 contre et 14 abstentions, il appelle à se pencher sérieusement sur la question d'une fiscalité environnementale ambitieuse.

L'idée : soit « renchérir les produits les plus néfastes », soit rendre, au contraire, « plus accessibles » les « plus vertueux » d'entre eux, via des tarifications incitatives, résume dans une vidéo de présentation Alain Bazot, président de l'UFC-Que Choisir et membre du Groupe des non-inscrits au CESE. Dans le but, in fine, de favoriser une consommation plus durable, alors que nos modes de vie « ne sont pas soutenables au regard des limites planétaires ». En effet, selon les données du ministère de la Transition écologique, chaque Français émet en moyenne 9 tonnes de CO2 par an, alors qu'il faudrait tomber à 2 tonnes afin de respecter les termes de l'Accord de Paris de 2015, qui vise à limiter les températures globales à +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle.

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Aujourd'hui, « acheter plus durable coûte plus cher »

Le CESE répond ainsi à une saisine de la Première ministre, Elisabeth Borne, qui lui demandait un éclairage sur l'évolution des consommations, afin qu'elles deviennent « plus sobres, plus circulaires, plus respectueuses de l'environnement ». Pendant plusieurs semaines, l'assemblée représentative a ainsi mobilisé une formation de travail dédiée regroupant deux commissions : Environnement et Économie et finances.

Or, selon le président de la deuxième, Jacques Creyssel, le « problème » pour « nos concitoyens » est « moins de vouloir que de pouvoir », a-t-il affirmé hier lors des discussions en plénière précédant le vote.

« Acheter plus durable coûte plus cher. Le sujet premier, c'est la capacité d'achat à un moment où nombre de concitoyens sont dans le rouge avant la fin de chaque mois », a-t-il souligné.

Pour permettre à chaque consommateur d'avoir accès aux options les plus écologiques, le CESE propose ainsi de mettre en place des « dispositifs de fiscalité progressive et de tarification incitative » en faveur des « biens et services les plus vertueux pour l'environnement », en se basant sur les scores d'affichage environnemental et d'indice de durabilité qu'il propose d'ailleurs renforcer. Mais aussi, pour le financer et inciter les consommateurs à se détourner des usages les moins vertueux, de questionner certaines exonérations et allègements dont bénéficient certains produits très polluants, comme le kérosène alimentant les avions.

Les auteurs citent d'ailleurs le rapport de France Stratégie publié fin mai, dirigé par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, qui donne un coup de pied dans la fourmilière sur cette question encore largement taboue :

« En dépit du coup d'arrêt donné à la hausse de la taxe carbone, l'utilisation de la fiscalité à des fins incitatives reste à bien des égards préférable aux instruments réglementaires ou aux subventions », et « la transition climatique imposera de toute façon une réflexion sur ses implications pour la structure de la fiscalité », écrivent-ils.

Et pour cause, selon le CESE, une « répartition juste » implique des « efforts » de la part des ménages les plus polluants, qui sont aussi souvent les plus aisés, avec l'adoption parallèle de « mesures de redistribution » aux foyers plus « défavorisés ». Notamment, affirme-t-il, via « des recettes tirées de la taxe carbone », alors que l' « efficacité du signal-prix sur le comportement de consommation est largement démontrée ».

Réguler la publicité

Sans pour autant le préconiser, le CESE s'interroge d'ailleurs également sur un autre levier plus radical : l'instauration de « quotas » ou de « compteurs individuels d'empreinte carbone ». Un sujet qui a fait couler de l'encre ces dernières semaines, avec la proposition choc de Jean-Marc Jancovici d'instaurer un « budget » de 4 vols en avion par vie.

Cette voie, « de plus en plus soutenue par des économistes, intellectuels et députés », ne fait cependant « pas l'unanimité car jugée potentiellement attentatoire aux libertés », note le CESE. Il n'empêche, « les effets sur l'offre et les systèmes de production pourraient être puissants », souligne-t-il, en incitant notamment les industriels à « diminuer au maximum l'empreinte de leurs productions ». « A court terme », ses membres préfèrent néanmoins la fixation de quotas limitant les volumes de produits importés.

Enfin, l'instance s'attaque à un autre secteur : la publicité, qu'elle appelle à « réguler » de manière renforcée et plus indépendante. Cette idée faisait d'ailleurs partie des recommandations de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), une expérience démocratique inédite en France ayant abouti, en 2020, à 150 propositions pour rendre les consommations plus sobres, en grande partie non reprises par le gouvernement.

Or, « selon 9 Français sur 10, on vit dans une société qui nous pousse à toujours consommer plus », a souligné hier l'une des trois rapporteurs de l'avis, Julie Marsaud. Il faut dire qu'il s'agit là d'un sujet éminemment culturel, presque philosophique, indissociable des valeurs véhiculées par les citoyens et les entreprises. Car l'idée serait de parvenir à « remplir par autre chose le vide existentiel aujourd'hui rempli par la consommation » a affirmé hier l'économiste spécialiste du commerce Philippe Moati, invité à la plénière du CESE. Tout un programme.

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Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 15/07/2023 à 21:41
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Encore des "dépenses fiscales". Allo! La Cour des Comptes?

à écrit le 14/07/2023 à 12:45
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"chaque Français émet en moyenne 9 tonnes de CO2 par an, alors qu'il faudrait tomber à 2 tonnes...". Si l'on se réfère à différents modèles de bilans carbone individuels (simulateurs), il apparaît que ces 9 tonnes se partagent entre ce qui résulte de...

à écrit le 14/07/2023 à 10:12
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LOL ! Tant que l'obscurantisme agro-industriel les manipulera comme les marionnettes qu'ils sont ça ne sert à rien de croire ces larbins.

à écrit le 14/07/2023 à 9:13
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"via « des recettes tirées de la taxe carbone »" la TICGN, taxe carbone du gaz (une ligne en bas de la facture gaz)(figée à 50€ suite aux GJ, devait monter par paliers à 150€/tonne en France) elle sert à quoi ? A aider les ménages pauvres à acheter d...

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