C'est une course contre-la-montre qui semblait pourtant bien engagée : le week-end dernier, l'Allemagne atteignait deux semaines avant la date prévue son premier objectif de stockage souterrain de gaz, avec un remplissage de 75% des réserves nationales (contre 10 points de moins début juillet). Le but : y ponctionner le précieux combustible lors des périodes de froid, afin de se passer autant que possible du gaz russe cet hiver. Et pourtant, malgré ce premier succès, la cible finale, c'est-à-dire parvenir à un taux 95% d'ici au 1er novembre, paraît désormais hors de portée.
« Dans tous nos scénarios, nous ne parviendrons pas à [l']atteindre », a déclaré ce jeudi le chef du régulateur allemand de l'énergie, Klaus Müller. « Nous n'y parviendrons pas car certains sites de stockage sont partis d'un niveau de remplissage très bas », a-t-il ajouté. Quant à l'objectif intermédiaire de 85% d'ici à octobre, il n'est selon lui « pas impossible, mais très ambitieux ».
De fait, Berlin ne peut plus compter sur sa principale source d'approvisionnement : le mois dernier, la Russie a diminué unilatéralement les flux passant par le gazoduc Nord Stream 1 à 20% seulement de sa capacité. Or, plus Vladimir Poutine décide de couper les vannes, moins l'Allemagne peut accumuler avant l'hiver des réserves de gaz lui permettant de se passer dans quelques mois de son voisin russe. Un cercle vicieux qui renforce la perspective d'une pénurie Outre-Rhin, tandis qu'un remplissage à 95% de ses stocks lui permettrait de tenir environ deux mois et demi en cas de rupture totale des livraisons russes, selon le régulateur.
Réduction de 20% de la demande
Dans ces conditions, l'Allemagne tente de réduire de 15 à 20% au moins sa consommation, malgré des conséquences en cascade sur l'industrie. « Si nous n'atteignons pas [cet] objectif, il y a un risque sérieux que nous manquions de gaz », mettait en garde Klaus Müller dans le Financial Times dimanche dernier. Reste que jusqu'à présent, la demande du fameux combustible fossile n'a baissé que d'environ 5 à 8% par rapport à l'année dernière, alors même que la Russie a diminué de près de 80% des livraisons. Pour accélérer la cadence, le gouvernement allemand a annoncé fin juillet un plan de sécurité énergétique comprenant des mesures d'économie de gaz obligatoires pour les entreprises.
« Nous devons économiser beaucoup de gaz au moins une autre année. Pour le dire clairement: il y aura au moins deux hivers stressants », a ajouté Klaus Müller ce jeudi.
Par ailleurs, Berlin compte largement sur ses voisins pour éviter toute rupture d'approvisionnement : la semaine prochaine entrera en vigueur un texte adopté le 26 juillet par l'Union européenne, qui prévoit que chaque pays fasse « tout son possible » pour réduire, entre août 2022 et mars 2023, sa consommation de gaz d'au moins 15% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, afin d'envoyer son gaz vers les pays les plus en difficulté. Au nom de la solidarité européenne, le gouvernement français se prépare d'ailleurs à livrer une partie de ses stocks à l'Allemagne, une grande première.
Un rationnement inévitable ?
Ce n'est pas tout : en plus de la réactivation de ses centrales à charbon et de l'éventuel prolongement de ses derniers réacteurs nucléaires, Berlin a d'ores et déjà débuté dans l'urgence la construction de deux terminaux méthaniers flottants capables de regazéifier du gaz naturel liquéfié (GNL) acheminé par navires des quatre coins du monde, et plaide pour la création d'un gazoduc qui le relierait à l'Espagne en passant par la France, afin de permettre à la péninsule ibérique de l'approvisionner facilement.
Mais malgré tous ces efforts, la partie semble loin d'être gagnée. Selon le groupe de recherche et de conseil Wood Mackenzie, si la Russie venait à stopper totalement ses livraisons via le gazoduc Nord Stream 1, « l'Europe manquerait de gaz l'hiver prochain » , et un rationnement serait même « inévitable » peu importe ses initiatives en matière de diversification d'approvisionnement et de remplissage des stocks. En Allemagne, des pénuries sont ainsi à attendre dans certaines régions, malgré des impacts délétères sur l'économie, a quant à lui prévenu Klaus Müller.
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