« Il faudra se résoudre à importer de l'hydrogène » de pays extra-européens (Jean-Pierre Clamadieu, Engie)

Alors que le gouvernement français imagine une économie locale de l’hydrogène décarboné, à travers le déploiement de « clusters » rapprochant consommation et production, le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, a critiqué samedi cette stratégie, lors des Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence. Interrogé par La Tribune sur le sujet, celui-ci a défendu l’approche allemande, très différente, qui consiste à s’appuyer majoritairement sur de l’hydrogène généré en-dehors de l’Europe, notamment dans les pays du Sud. Par ailleurs, le président d’Engie a, une nouvelle fois, regretté l'absence d'un cadre incitatif clair et puissant sur le Vieux continent, alors que l’Inflation Reduction Act américain frappe fort en la matière. Enfin, celui-ci s’est montré optimiste sur l’approvisionnement en gaz l’hiver prochain. Contrairement au PDG de TotalEnergies, qui a alerté ce matin sur de nombreuses incertitudes et un « risque majeur systémique ».
Marine Godelier
(Crédits : DR)

C'est un pied de nez au gouvernement français. Alors que l'Hexagone tend à favoriser l'idée d'une production locale d'hydrogène, ce vecteur considéré comme crucial pour la transition énergétique, le président d'Engie, Jean-Pierre Clamadieu, a critiqué samedi cette approche. Interrogé par La Tribune dans le cadre des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, celui-ci a défendu une autre stratégie, également prônée par l'Allemagne : celle d'importer des quatre coins du monde, et notamment des pays du Sud, la fameuse molécule bas carbone.

« On va vite tomber sur une limite de production d'énergie décarbonée en France, même avec le nucléaire. Je crois qu'il faudra se résoudre à importer de l'hydrogène de pays où l'on a accès à une énergie à de très bonnes conditions économiques », a-t-il fait valoir.

Jusqu'ici, l'exécutif français a pourtant plutôt mis en avant sa volonté de développer des « clusters » régionaux, rapprochant la production et la consommation d'hydrogène sur le même territoire. Autrement dit, de « mettre côte à côte des éoliennes, un électrolyseur, et une usine qui a besoin d'hydrogène », à schématisé Jean-Pierre Clamadieu. Une vision qui exclut, a priori, le besoin de bâtir d'immenses réseaux inter-régionaux de transport de cet hydrogène, afin de l'acheminer depuis des pays extra-européens et le faire transiter à l'intérieur de l'Europe. Seulement voilà : « dès qu'on veut passer à l'échelle, je suis convaincu qu'on a besoin d'un réseau », a opposé samedi le patron d'Engie.

De quoi rejoindre la philosophie de l'Allemagne, laquelle « imagine immédiatement un réseau, le stockage ou encore l'importation d'hydrogène », étant « très habitué à une industrie reposant sur l'usage de gaz », a-t-il poursuivi. « On a besoin de plus d'interconnexions électriques, pas d'interconnexions gazières », avait quant à lui souligné en septembre dernier Emmanuel Macron, avant de céder face à la pression de Madrid et de Berlin sur la construction d'un tuyau de transport d'hydrogène entre la péninsule ibérique et l'Allemagne.

Diplomatie de l'hydrogène

Ainsi, selon Jean-Pierre Clamadieu, cet hydrogène devra provenir de régions où il y a « beaucoup de soleil et beaucoup de vent », pas trop lointaines « si l'on veut pouvoir tirer des tuyaux », mais aussi plus éloignées si l'on considère que l'on importera l'hydrogène sous forme d'ammoniac. Et de citer le « Maghreb », les pays du « Golfe », le « Chili », ou encore l'« Australie ».

Une approche qui rejoint, là encore, celle déployée par Berlin. En effet, la coalition au pouvoir outre-Rhin tisse depuis plusieurs mois une véritable diplomatie de l'hydrogène, et a déjà injecté deux milliards d'euros de fonds publics pour nouer des partenariats avec le Maroc, la Namibie, la République démocratique du Congo ou encore l'Afrique du Sud. Le gouvernement ne s'en cache d'ailleurs pas : l'objectif de production domestique d'hydrogène « renouvelable » s'élève pour l'heure à 14 térawattheure (TWh) seulement... pour une consommation estimée autour de 100 TWh en 2030 !

Les lignes pourraient d'ailleurs également bouger en France. En effet, depuis plusieurs mois, le gouvernement tricolore s'interroge lui-même sur sa capacité à générer suffisamment d'hydrogène « vert » sur le territoire, malgré son important parc nucléaire et sa volonté de construire de nouveaux réacteurs. « Les regards se portent de plus en plus sur l'e-fuel issu de l'hydrogène pour décarboner l'aérien et le maritime, alors que les besoins promettent d'être colossaux », glissait-on il y a quelques semaines chez un grand énergéticien. De quoi faire monter une petite musique, entretenue par les gaziers, sur la nécessité d'externaliser une partie de cette production et de déployer un réseau massif de transport.

Lire aussiL'UE compte subventionner la production d'hydrogène... à l'étranger

Concurrence américaine

Par ailleurs, Jean-Pierre Clamadieu à répété samedi son souhait de voir arriver en Europe un cadre incitatif aussi puissant que celui déployé par les États-Unis à travers son désormais célèbre plan d'investissement Inflation Reduction Act (IRA). « En Europe, on est encore en train de discuter de la définition de l'hydrogène vert, alors qu'aux États-Unis, des incitations simples sont en train de rendre économiquement viables tout un tas de projets, notamment au Texas ! », a-t-il asséné.

Ce qui risque de faire prendre « du retard » au Vieux Continent, freiné par des « réglementations extrêmement sophistiquées qui ralentissent [les] projets », a poursuivi le président d'Engie.

Lors d'un entretien exclusif avec La Tribune, le 25 avril, celui-ci avait déjà exprimé ses craintes en la matière.

« Sur l'hydrogène, je pense que certains projets risquent de migrer outre-Atlantique [...] La mise en place d'un crédit d'impôt de 3 dollars par kilo d'hydrogène vert produit, crée les conditions qui font qu'un projet devient immédiatement rentable. En Europe, le système de subventions, qui repose sur les fameux Projets importants d'intérêt européen commun (Pieec), est beaucoup plus complexe et incertain », avait-il fait valoir.

Lire aussiGaz : « Nous passerons l'hiver prochain sans difficulté majeure » (Jean-Pierre Clamadieu, président d'Engie)


Pas de pénurie de gaz l'an prochain, rassure Engie


Enfin, Jean-Pierre Clamadieu s'est exprimé sur l'hiver à venir, alors que l'Europe semble peu à peu sortir la tête du guidon, après plus d'un an de crise de l'énergie. « Une pénurie physique [de gaz, ndlr] l'an prochain, je n'y crois pas », a-t-il affirmé.

Samedi matin, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, s'était quant à lui montré plus inquiet, à l'occasion d'une table-ronde organisée face à Luc Rémont (EDF) et Catherine MacGregor (Engie). En effet, celui-ci avait pointé du doigt des incertitudes concernant l'approvisionnement pour l'hiver prochain. Voire même le risque d'un « superchoc »  pour l'Europe si les Républicains accédaient au pouvoir aux États-Unis, et décidaient de réduire leurs exportations d'hydrocarbures, devenues cruciales pour le Vieux Continent.

Le président d'Engie s'est donc montré moins pessimiste. Il n'empêche : celui-ci a appelé à rester « prudent ». « Un point essentiel, c'est d'être capable de continuer dans la dynamique d'économies d'énergie. C'est-à-dire -10% de consommation de gaz, hors effet climat » a-t-il souligné. Et pour cause, si Jean-Pierre Clamadieu ne redoute pas de rupture brutale de l'approvisionnement dans l'année à venir, il reste « deux ou trois hiver à passer avant que de nouvelles capacités de production de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis et au Qatar soient complètement disponible, et contractées au bénéfice de l'Europe », a-t-il rappelé.

En attendant cette échéance clé, le risque est d'« entrer à nouveau « dans une phase de compétition [pour accéder à ces volumes, ndlr] assez tendue entre l'Europe et l'Asie », notamment en cas de reprise économique en Chine, avait déjà prévenu mardi Laurent Nery, directeur des analyses de marché chez Engie Gems. Ce qui entraînerait forcément un risque accru de volatilité pour l'Europe, et par là même un nouvel hiver incertain.

Lire aussiÉnergie : les prix ne baisseront pas significativement avant 2027, prévient Engie

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Marine Godelier

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Commentaires 20
à écrit le 10/07/2023 à 12:54
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L'énergie nucléaire tout comme l'hydrogène doivent être produits localement en France. C'est tout l'intérêt de ces technologies : rendre indépendant énergétiquement un pays comme la France. L'analyse présentée ici est fausse car c'est l'objectif poli...

à écrit le 10/07/2023 à 3:55
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Garder à l'esprit que les pays où l'énergie est abondante hors UE ne produiront d'hydrogène que s'ils peuvent l'exporter. Dans le cas contraire, ils continueront à brûler du pétrole, faute d'investissement approprié. Il faut electrolyser transporter,...

à écrit le 09/07/2023 à 22:40
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Ben voyons Mr Engie on va recréé une dépendance envers des pays anti démocratique dont on a vu les conséquences : chantage, hausse brutale du prix , cartels en tout genre laguiole et entente entre entreprise contre l intérêt du consommateur … le cons...

à écrit le 09/07/2023 à 22:40
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Ben voyons Mr Engie on va recréé une dépendance envers des pays anti démocratique dont on a vu les conséquences : chantage, hausse brutale du prix , cartels en tout genre laguiole et entente entre entreprise contre l intérêt du consommateur … le cons...

à écrit le 09/07/2023 à 13:39
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Bonjour, avant toute chose, le passage a de l'hydrogène comme combustible est un souhaitent a cours terme , car cela est moins poluante pour l'atmosphère et surtout cela réduira notre dépendance économique et stratégique au petrole ... Parcompte, ...

à écrit le 09/07/2023 à 11:52
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Oui, bah le monsieur défend son business. Mais ça ne lui donne pas forcément raison. Remplacer la dépendance aux importations de gaz par des importations d'hydrogène fournies par ces grandes démocraties productrices de gaz, une riche idée ? Mais pour...

à écrit le 09/07/2023 à 11:27
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Que fait - on de l'hydrogène naturel ou blanc trouvé en énorme quantité en Lorraine, capable de fournir la moitié des besoins dans le monde ? De sa présence en grande quantité dans le Doubs et dans les Pyrénées qui n'est pas négligeable ? A la lum...

le 10/07/2023 à 13:57
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Il y a un monde du fantasme à la réalité. Je rappelle que de l'hydrogène et autres gaz on les brûle en torchère pour ne pas avoir à les gérer. Votre hydrogène blanc il va encore falloir pouvoir l'exploiter... et ce n'est pas gagné vu les énormes ...

le 11/07/2023 à 5:20
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A ma connaissance, on ignore encore les volumes extractibles de l'hydrogène blanc de Lorraine ou des Pyrénées. Votre assertion est donc fondée sur une information inexacte. J'ai entendu l'hypothèse inverse, selon laquelle les volumes disponibles sera...

à écrit le 09/07/2023 à 10:53
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Cet emballement pour l'hydrogène est totalement débile, l'H2 est simplement un mode de stockage de l'électricité produite de manière intermitte, vouloir le transporter et l'utiliser à l'instar du gaz naturel est un fantasme. Je rappelle que le domai...

le 10/07/2023 à 21:31
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L'hydrogène est précurseur de carburants synthétiques notamment méthane mais aussi SP98, kérosène, ammoniac pour produire les engrais. Il sert massivement en métallurgie, pétrochimie (paradoxe) , agroalimentaire, ...etc... Son usage comme vecteur éne...

le 10/07/2023 à 21:33
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L'hydrogène est précurseur de carburants synthétiques notamment méthane mais aussi SP98, kérosène, ammoniac pour produire les engrais. Il sert massivement en métallurgie, pétrochimie (paradoxe) , agroalimentaire, ...etc... Son usage comme vecteur éne...

à écrit le 09/07/2023 à 10:32
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Voilà ce qui arrive quand des gens incompétent suivent les "bons" conseils prodigués par leurs hôtes lobbystes sur un coin de table au restaurant. Nous devons produire des voitures électriques de type "zoé" autour de 10 000 euros sans subventions. S...

à écrit le 09/07/2023 à 10:07
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L ´avis - lobby d une boîte dont le fond de commerce est l import .. aucune crédibilité… on va pomper les ressources d eau d autre pays .. qui en retour nous enverrons leurs masses migratoires non contrôlées … on connaît leur musique : les coûts lo...

à écrit le 09/07/2023 à 9:19
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Vas y mec importe ton H. Va prendre des cours de physique.... Et fait un stage chez air liquide.... L hydrogène c'est l'enfer...

à écrit le 09/07/2023 à 8:56
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Déjà, petit calcul : pour produire 2 g de dihydrogène H2, il faut 18 g d'eau. Donc ,en admettant qu'il nous faille un strict minimum de 100 millions de tonnes d'H2 par an, il nous faudra 900 millions de tonnes d'eau. On va les trouver où ? La seule...

le 10/07/2023 à 10:03
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Le problème ce n'est pas le volume d'eau. 1km3 d'eau c'est 1 milliards de tonnes.Et on se rapproche progressivement des 80% de rendement pour l'électrolyse. Le problème est de se focaliser sur un vecteur d'énergie difficile à maîtriser : l'hydrogène ...

à écrit le 08/07/2023 à 21:37
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L"Allemagne songe sans doute à importer l'hydrogène de Russie? Hydrogène produit avec du gaz et du pétrole Russe...totalement decarbone.

à écrit le 08/07/2023 à 20:09
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Il y a beaucoup trop d'amateur de sciences fictions dans le monde économique, la peur d'un retour en arrière sans doute ! ;-)

à écrit le 08/07/2023 à 18:57
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"« mettre côte à côte des éoliennes, un électrolyseur, et une usine qui a besoin d'hydrogène »" s'il y a 100 000 usines qui ont besoin d'H2 pour ne plus consommer de gaz de ville, il faudra dupliquer le système autant de fois ? Une ligne Haute Tensio...

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