Nucléaire : pourquoi les baisses ponctuelles de production d’EDF allègent la facture des Français (CRE)

Une récente étude de l'association de consommateurs CLCV s'interroge sur l'impact de la modulation des réacteurs nucléaires tricolores sur la facture des ménages. Elle soupçonne EDF de profiter de sa situation de monopole au détriment des intérêts des consommateurs. Face à ces interrogations, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est catégorique : grâce à la modulation, les consommateurs payent au global moins cher leur électricité. Le régulateur, qui s'exprime pour la première fois publiquement sur ce sujet, écarte tout abus de position dominante d'EDF. Explications.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

La réduction volontaire de la puissance d'un ou de plusieurs réacteurs nucléaires peut-elle conduire à augmenter les prix de l'électricité et léser ainsi le consommateur, comme le suggère une nouvelle étude de l'association de consommateurs CLCV ? « La réponse globale c'est non. Au contraire, la modulation nucléaire contribue à diminuer les coûts » affirme, à La Tribune, Dominique Jamme, le directeur général de la Commission de régulation de l'énergie (Cre).

Contacté par la rédaction, EDF dément également cette hypothèse :

« La modulation du nucléaire est réalisée en périodes de prix bas où le prix du marché de l'électricité ne dépend pas du prix du gaz. Elle ne contribue donc pas à tirer les prix de gros vers le haut », explique l'électricien.

Dans son étude publiée le 20 avril dernier et intitulée « La modulation du parc nucléaire est-elle à l'avantage des consommateurs ? », l'association CLCV s'est penchée sur les variations de la production nucléaire sur une période de dix ans (2012-2022) à partir des données publiées par le gestionnaire de réseau RTE. Elle constate « une certaine propension à ne pas être forcément au maximum de la production nucléaire » et estime que « cela a pu avoir un impact à la hausse sur le prix de gros » et, par ricochet, sur les factures d'électricité des particuliers.

Pas d'abus de position dominante d'EDF, selon la CRE

« Est-ce qu'EDF abuse de sa position dominante, » s'interroge François Carlier, délégué général de CLCV, contacté par La Tribune. « S'il était établi qu'EDF module sa production nucléaire pour faire monter les prix, ce serait sanctionnable », pointe le défenseur des consommateurs, qui appelle justement dans l'étude à ce que la « modulation soit contrôlée de manière plus minutieuse afin de prévenir de tout risque de modification de l'offre électrique à des fins hasardeuses ».

« En l'état actuel, nous ne pouvons dire en aucune façon que la modulation de la production du parc nucléaire menée par EDF est une situation d'abus de position dominante pour manipuler les prix au détriment du consommateur », garantit Dominique Jamme.

« Si des opérations de modulation n'étaient pas réalisées [notamment l'été, ndlr], l'électricité ne serait pas disponible lorsqu'on en a le plus besoin [l'hiver, ndlr]. Cela fragiliserait alors le système électrique et contraindrait la France à importer plus d'électricité depuis les pays voisins, lors de période de pointe, ce qui coûte plus cher », ajoute-t-il.

La production nucléaire volontairement bridée

Pour comprendre ce raisonnement, il faut d'abord comprendre le principe de la modulation de la production nucléaire. « La modulation consiste à baisser ou à arrêter volontairement la production d'un réacteur nucléaire sur une certaine période, allant de plusieurs heures à plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Les réacteurs peuvent également s'arrêter en cas de panne, pour rechargement ou maintenance, mais ce n'est pas ce dont nous parlons ici », expose Emeric de Vigan, vice-président de l'activité électricité pour le cabinet de conseil Kepler.

La modulation nucléaire est une exception française. Dans les autres pays nucléarisés, le régime de production des réacteurs reste constant, en dehors, bien sûr, des arrêts pour maintenance et rechargement de combustible.

Deux raisons poussent EDF à moduler la puissance de ses réacteurs. D'abord pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, les champs éoliens et solaires n'ayant pas la capacité de s'ajuster à la consommation électrique étant donné leur caractère non pilotable. Ces modulations peuvent aussi s'effectuer pour économiser du combustible nucléaire, dans la même logique que celle des centrales hydrauliques, qui tendent à réserver leurs stocks d'eau pour l'hiver.

« Le producteur d'électricité nucléaire, lorsqu'il a une contrainte sur la date du prochain rechargement de combustible, lui aussi, va essayer de gérer son stock de combustibles afin de produire au moment où l'électricité a plus de valeur pour le système électrique » explique Dominique Jamme.

Produire moins pour économiser du combustible

En général, les arrêts des réacteurs nucléaires français pour rechargement de combustibles sont programmés le plus possible en dehors de l'hiver, période pendant laquelle les besoins en électricité augmentent fortement en raison du fort taux d'équipement en chauffage électrique. Résultat, « les centrales nucléaires ne peuvent pas fonctionner en permanence à pleine puissance entre deux chargements car elles doivent économiser du combustible. Objectif : ne pas avoir à s'arrêter avant l'arrêt programmé », explique Emeric de Vigan. Les centrales vont donc moduler à la baisse leur production électrique.

Pour étayer ses propos, l'expert s'appuie sur l'image d'une voiture et de son carburant. « Pour parcourir une longue distance, une voiture peut rouler à une allure raisonnable et elle n'aura pas à refaire le plein avant d'arriver à destination. Elle peut aussi choisir de rouler bien plus vite, mais il faudra qu'elle fasse une pause pour faire le plein car elle aura consommé tout son carburant », déroule Emeric de Vigan. Cet arrêt inopiné, c'est justement ce qu'on souhaite éviter pour les réacteurs.

Des centrales « qui étaient en modulation durant tout l'été, ont pu produire de
l'électricité l'hiver dernier car elles avaient économisé suffisamment de combustible, et ont ainsi contribué énormément au passage de la pointe », rappelle Dominique Jamme.

« La modulation est donc un système efficace, à la fois pour la sécurité d'approvisionnement et sur le plan économique. Au global, un consommateur va payer moins cher grâce à la modulation du parc nucléaire », insiste le directeur général de la CRE.

« Au global, un consommateur va payer moins cher »

Une explication « trop générale », qui ne satisfait pas l'association de consommateurs. « La CRE ne démontre rien en réalité. Il faudrait une démonstration chiffrée », maintient François Carlier, qui s'apprête à envoyer un courrier à la ministre de Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.

Dans son étude, CLCV ne donne, elle aussi, aucune estimation chiffrée de l'impact que cette modulation aurait pu avoir sur la facture des consommateurs. « Nous nous y sommes refusés. C'est trop compliqué et risqué. Nous voulions rester nuancés », explique François Carlier, qui ne manque pas toutefois d'évoquer une autre étude sur le même sujet, réalisée cette fois-ci par l'association UFC Que Choisir en avril 2018. Laquelle mentionne un surcoût, lié à la modulation nucléaire, de 2,4 milliards d'euros pour les factures des ménages. « A l'époque, il n'y avait eu aucune réaction d'EDF si ce n'est une attaque en justice pour diffamation », rumine François Carlier, qui plaide pour que cette problématique fasse l'objet d'un débat public.

« Ces deux études sont de très mauvaise qualité », alerte toutefois un expert du secteur ayant requis l'anonymat. Selon lui, l'impact négatif de la modulation nucléaire sur la facture des consommateurs « relève du fantasme ».

Du côté du régulateur, on reconnaît que, dans un seul cas de figure, très particulier et a priori relativement rare, un consommateur pourrait être lésé par ces opérations de modulation. Ce scénario serait celui d'un particulier ayant souscrit à une offre dynamique (où les variations des prix sur le marché de gros se reflètent davantage sur la facture) qui consommerait uniquement de l'électricité sur une période pendant laquelle il y aurait beaucoup de modulation, en juillet et août par exemple, et non tout au long de l'année.

La non rétention de capacité : grand principe du marché de l'électricité

« Les producteurs ont pour obligation de mettre leur capacité de production d'électricité à la disposition du marché. C'est un principe général. En tant que producteur, on ne ne peut pas, volontairement, s'abstenir de mettre sa capacité de production à disposition pour faire monter les prix. Ce serait de la rétention et c'est illégal » expose Dominique Jamme, directeur général de la CRE.

Une centrale produisant de l'électricité est donc tenue de produire dès lors que le prix sur le marché de gros est supérieur à son coût marginal, déterminé par le prix de son combustible (uranium, gaz, charbon etc.). Dans cette optique, le régulateur a pour mission de vérifier, en permanence, qu'il n'y ait pas de cas de rétention. Pour une centrale qui n'est pas déclarée en panne, un tel scénario, consisterait, par exemple, à ne pas produire d'électricité lorsque le prix sur le marché de gros est de 100 euros et que son coût marginal est de 50 euros.

 « EDF place sur le marché toute la production dont elle dispose. La Commission de régulation de l'énergie est en charge de la surveillance des marchés. Elle n'a jamais constaté de manquement à cet égard », fait valoir l'électricien.

« Les choses sont plus complexes lorsqu'il s'agit de la gestion des stocks, pointe le directeur général de la Cre. Dans ce cadre, les producteurs intègrent le coût d'opportunité. Celui-ci se comprend très bien pour les barrages hydrauliques, dont le coût marginal est très bas puisqu'il suffit d'écouler l'eau des barrages. Une centrale hydraulique décidera ainsi de produire, ou non, selon le prix de l'électricité du jour sur le marché de gros, mais aussi selon la valeur que pourrait avoir son stock d'eau dans le futur, le mois ou la saison prochaine, par exemple. Cette valeur est donnée par le prix sur le marché à terme », détaille-t-il.

En général, une centrale hydraulique va donc garder le maximum de ses stocks pour l'hiver, car à cette période les prix d'électricité sont plus importants en raison des besoins importants pour assurer la pointe de consommation. Une partie des centrales nucléaires françaises fonctionnent justement aussi sur ce principe de stock.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 28/04/2023 à 12:48
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Sauf erreur, la modulation use plus vite la mécanique pour la production. Aux USA, les réacteurs sont au point nominal en permanence et leurs électrons sont prioritaires, donc pourquoi et quel impact sur les coûts (différés) de maintenance?

à écrit le 28/04/2023 à 10:20
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C'est une mascarade... C'est la modulation de fait qui est en cause... celle du à leurs choix contestables et contestés de l'arret pour soit disant cause majeure alors qu'il s'agit de circuits auxiliaires ne s'étant jamais activés... ils jouent sur ...

à écrit le 27/04/2023 à 23:32
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Pour le consommateur la seule certitude c est d été autonome - si le peux- des énergies : photovoltaïque Éolien , bois ,exposition et isolation.. mais l équation n est pas La même pour tous …perso je ne paye plus edf ou autre depuis 3 ans .. et mon...

le 29/04/2023 à 8:48
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Si tout le monde fait comme vous,...le système s'effondre.

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