La date du 12 avril marquera-t-elle le dénouement d'une saga judiciaire, boursière et médiatique, longue de presque huit mois, entre les deux fleurons français de l'eau et des déchets ? C'est en tout cas ce qu'a affirmé le patron de Veolia, Antoine Frérot, qui s'est réjoui lundi dans un communiqué que « le temps de l'affrontement » laisse enfin place « au temps du rapprochement ». Veolia et Suez ont en effet indiqué être tombés d'accord pour que le premier absorbe en partie son rival, avec un prix d'achat de 20,5 euros par action. Un compromis qui permettra de donner naissance à un « champion mondial de la transition écologique », cheval de bataille mis en avant par Veolia depuis le premier jour.
A la Bourse de Paris, la signature de cet armistice a été saluée : l'action Veolia a bondi de de plus de 9% et celui de Suez de près 8%.
La partie n'était pourtant pas gagnée, tant Suez aura dégainé jusqu'au bout ses pions pour s'opposer au projet de fusion de son assaillant - non sans retour de bâton. Multiplication des recours en justice, invectives via la presse ou coups de pression par communiqués interposés : les deux géants se sont affrontés sans relâche depuis août dernier, face à un Etat impuissant - et un public parfois perplexe. Notamment depuis octobre, lorsque Veolia avait acquis 29,9% de Suez auprès d'Engie, avant de lancer une OPA hostile sur le reste, à 18 euros par action - un montant jugé insuffisant par la cible, qui criait au « démantèlement ».
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Tous les leviers mobilisés
Pour se faire entendre, Suez avait su se montrer inventif, en multipliant les embûches sur le chemin de son rival. Notamment par la création, en septembre dernier, d'une fondation de droit néerlandais qui ne pouvait être désactivée que par le Conseil d'administration de l'entreprise. En chapeautant ses actifs Eau France pendant quatre ans, elle lui permettait d'en empêcher la cession. A de multiples reprises, Veolia avait exigé la dissolution de cette pièce maîtresse de son adversaire, sans succès.
Autre carte surprise jouée par l'entreprise cible : son annonce coup de poker, en date du 21 mars, de proposition d'une offre de rachat « ferme et engageante » de la part de deux fonds, Ardian et Global Infrastructure Partners (GIP). Dessinant un scénario selon lequel Veolia acquerrait la totalité de Suez pour 20 euros par action - 2 euros de plus que son offre initiale, puis rétrocéderait au consortium GIP-Ardian un ensemble d'actifs ayant une « cohérence industrielle ». Un « chantage » avec un « pistolet sur la tempe », avait alors dénoncé le patron de Veolia, qui, s'il n'acceptait pas le deal, devait relever son prix à 22,5 € par action - condition posée pour que Suez désactive sa fondation.
Autant de recours auxquels le président de Suez, Philippe Varin, rend aujourd'hui « hommage », même s'ils n'ont pas abouti : « Cela nous a beaucoup aidé pour montrer que, sans contre-offre en tant que telle, il pouvait y avoir une autre option », a-t-il fait valoir ce lundi lors d'une conférence de presse. « Finalement, nous avons utilisé tous les leviers pour défendre l'intérêt social de la société de la manière la plus robuste face à une situation très hostile. Cela a contribué à mettre la pression pour que le prix passe à 20,5 euros », a-t-il ajouté.
Coup d'accélérateur
Et pourtant, début avril, la situation semblait inextricable. Le 1er, la tension était montée d'un cran, lorsque Suez avait activé une énième manœuvre, et annoncé être parvenu un accord préliminaire avec l'Australien Cleanaway pour lui céder des actifs dans son activité déchets, jugés stratégique par Veolia dans son projet d'OPA. Valorisés 1,6 milliard d'euros, ils représentaient « bien plus que ce que le multiple reflétait dans l'offre actuelle de Veolia à 18 € » affirmait alors l'entreprise cible.
Le lendemain, la pression montait encore, avec l'entrée en jeu de l'Autorité des marchés financiers, jusqu'ici éloignée de la partie. Dans un communiqué exceptionnel, le régulateur avait estimé que la stratégie de Suez pour contrer l'OPA de son concurrent « port[ait] atteinte » à plusieurs « principes directeurs » de bon fonctionnement des marchés, parmi lesquels l'obligation de transparence et de loyauté dans les transactions.
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En l'absence d'avancée probante dans les discussions, une réunion s'était tenue jeudi dernier à Bercy, en présence notamment du ministre de l'Economie et d'Éric Lombard, le patron de la Caisse des Dépôts. A son issue, il avait été décidé que si les deux groupes n'arrivaient pas à une solution négociée, la CDC ne resterait pas actionnaire de Veolia dont elle détenait 6,5% fin 2020, avait alors indiqué une source à l'AFP. Signant manifestement l'arrivée dans la dernière ligne droite : trois jours plus tard, Veolia et Suez tombaient d'accord, à court de cartes à jouer.
Un champion de la transition
Mais au-delà des batailles politico-médiatiques, quel avenir de la gestion de l'eau et des déchets cet accord de principe dessine-t-il pour les usagers ? Concrètement, Veolia acquerra une large partie des opérations de Suez à l'international pour peser, au total, 37 milliards d'euros de chiffre d'affaires. « Un certain nombre d'actifs de très grande qualité seront acquis par Veolia, ce qui n'est pas une surprise au vu du contexte », a ainsi signalé Philippe Varin.
De quoi lui permettre de constituer un « champion mondial de la transition écologique », comme le promet le groupe ? A cette fin, « la taille fait la force », estimait le PDG de Veolia, Antoine Frérot, fin août, lors de sa proposition d'acquisition de 29,9% de Suez. « L'innovation est fondamentale pour inventer et mettre au point les technologies qui manquent encore pour réussir pleinement la transformation écologique. La combinaison des talents et des compétences de recherche accélérerait le développement de ces solutions d'avenir et permettrait un meilleur amortissement des investissements nécessaires », avait-il alors souligné dans un communiqué.
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Mais face à ce mastodonte, l'entreprise cible ne disparaîtra pas pour autant, avec la création d'un « nouveau Suez », repris par des actionnaires majoritairement français, comprenant des partenaires financiers des deux groupes ainsi que les salariés. Il intégrera les activités actuelles de Suez dans l'eau municipale et le déchet solide en France, ainsi que d'autres activités de l'entreprise « notamment dans l'eau » et dans plusieurs zones géographiques dont l'Italie, l'Afrique, l'Inde, la Chine et l'Australie.
Au final, ces activités représentent un chiffre d'affaires de l'ordre de 7 milliards d'euros, soit moins de la moitié des 17 milliards réalisés par l'entreprise en 2020. C'est moins que ce qu'avait demandé la direction de Suez, mais plus que ce que voulait Veolia au départ. « Le but sera d'abord de trouver des partenaires financiers de long terme, pour faire en sorte que l'activité Eau France soit pérenne [...] Nous pensons que le potentiel est là », a fait valoir Philippe Varin. Les fonds Ardian et GIP ont pour leur part indiqué étudier les conséquences de l'accord de principe, dont les termes doivent encore être détaillés.
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