Ils comptent dans leurs rangs des endroits mondialement connus, comme le Grand canyon ou la Grande barrière de corail. Pourtant, malgré leur notoriété et la protection assurée par l'Unesco (l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), 31% des sites du Patrimoine mondial naturel sont menacés par l'exploration pétrolière, gazière ou minière, relève un rapport du WWF (World Wide Fund, Fonds mondial pour la nature) publié jeudi 1er octobre.
Une menace qui prend des proportions encore plus inquiétantes en Afrique, où elle concerne près de deux tiers (61%) des endroits bénéficiant du plus haut niveau de reconnaissance internationale, alerte l'ONG dans son étude, parue à deux mois de l'ouverture à Paris de la Conférence mondiale sur le climat (COP 21).
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L'octroi des concessions en cause
Bien qu'elle ne représente sans doute pas la seule menace guettant ces lieux, l'industrie extractive peut "causer des dommages environnementaux significatifs et permanents, tant directement, aux paysages ou aux sources d'eau, qu'indirectement, en catalysant des changement sociaux et économiques à grande échelle", souligne le rapport. Le comité de l'Unesco responsable de leur sauvegarde a d'ailleurs répété à plusieurs reprises que le statut de "Patrimoine mondial" de certains sites est incompatible avec de telles activités.
Cependant, 70 des 229 endroits protégés sont "actuellement sujets à des activités extractives sous une quelque forme -soit parce que des opérations sont déjà activement menées à leur intérieur soit car l'octroi de concessions pourrait engendrer de telles opérations dans un futur proche", déplore le WWF. Les retours économiques à court terme engendrés par ces exploitations ont en effet souvent un fort pouvoir persuasif sur les gouvernements nationaux, en particulier dans les pays en voie de développement.
Les bénéfices économiques à long terme négligés
Certes, l'ensemble de ces lieux, dispersés dans 97 pays, ne représente même pas 1% de la surface du globe, reconnaît l'organisation. Mais, abritant des espèces emblématiques et offrant des paysages exceptionnels, ils referment une valeur naturelle exceptionnelle, qui explique justement le statut particulier dont ils bénéficient. La protection découle d'une convention de 1972, ratifiée par 191 Etats parties. Une fois accordée à un lieux particulier, sur le fondement de critères déterminés, elle engage les autorités nationales, qui doivent aussi rendre compte périodiquement de l'état de ces sites.
Au-delà de leur importance environnementale et culturelle, ces lieux sont par ailleurs source de bénéfices économiques à long terme, rappelle le WWF. La très large majorité (93%) des sites naturels du Patrimoine mondial représentent en effet un intérêt touristique et 91% ont déjà permis de créer des emplois, a notamment établi une récente recherche de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sans compter qu'ils fournissent de l'eau, de la nourriture et de l'énergie aux populations locales, préviennent les inondations, atténuent les effets du changement climatique, sont parfois des lieux sacrés...
Les investisseurs exposés à un risque financier
Le danger ne menace toutefois pas que les lieux eux-même et les communautés qui en dépendent. Dans le sillon de l'alerte lancée mardi 29 septembre par le gouverneur de la banque d'Angleterre lui-même, Mark Carney, le rapport met aussi en garde quant au risque financier encouru tant par les entreprises extractives qui travaillent à proximité de ces endroits que par les investisseurs qui les soutiennent :
"Les résultats d'un sondage mené en 2015 par WWF au Royaume-Uni montrent que presque 95% des gens considèrent important de protéger les sites du patrimoine naturel mondial des opérations extractives."
A ce danger en termes de réputation, s'ajoute pour les entreprises concernées le risques de perdre les concessions obtenues, d'être la cible demandes de dommages et intérêts, de perdre les financements remportés... Autant d'aléas se répercutant sur les investisseurs.
"Alors que les scientifiques affirment que deux tiers des réserves doivent rester dans les sols si l'on souhaite éviter un dérèglement climatique hors de contrôle, les choix des compagnies extractives constituent une absurdité du point de vue environnemental mais aussi économique et social", observe Pierre Cannet, responsable du programme Climat et Energie au WWF France.
"Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (...), s'ils sont mal gérés, peuvent aboutir à une perte de valeur désastreuse pour les investisseurs à long terme", reconnaît également, Euan Monro, PDG d'Aviva Investors, soulignant la nécessité de disposer de bonnes informations pour une bonne prise de décisions.
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Le "rôle central" de la finance
Cependant, s'ils sont particulièrement exposés aux risque, les investisseurs peuvent aussi "jouer un rôle central" pour sa protection, estime le WWF, qui a d'ailleurs réalisé son étude en partenariat avec Aviva Investors et Investec Asset Management. L'organisation les appelle notamment à exploiter les données fournies par son étude, inédites, mais encore probablement incomplètes en raison du manque de transparence entretenu jusqu'aujourd'hui.
Il s'agit d'engager le dialogue avec l'ensemble des acteurs du secteur extractif afin de les encourager à communiquer sur leurs opérations actuelles ou futures au sein ou à proximité de ces sites, voire de les encourager à ne plus y intervenir. Ce qui ne remet néanmoins pas en cause la nécessité de fournir davantage de moyen à l'Unesco, pour l'instant démuni face à la tâche titanesque de consacrer l'intérêt à la préservation du Patrimoine mondial.
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