En France, on va désormais pouvoir acheter les autotests antigéniques dans les rayons des grandes surfaces, selon un arrêté signé par Olivier Véran et publié ce jour au Journal Officiel. Jusqu'ici, ce dispositif de dépistage du Covid-19 de premier niveau n'était disponible qu'en pharmacies, seuls établissements autorisés à en vendre (au prix plafonné de 5,20 euros).
Restriction importante, cette libéralisation de la vente des autotests hors pharmacies, le gouvernement ne l'a autorisée qu'"à titre exceptionnel, jusqu'au 31 janvier 2022".
En mars dernier, les pharmarcies damaient le pion aux grandes surfaces
C'était une demande récurrente de la grande distribution depuis le premier trimestre 2021. Une demande pas vraiment incongrue puisque cette mesure est appliquée depuis plus d'un an par plusieurs de nos voisins européens, en Allemagne, Belgique ou Suisse.
Et pourtant la France était tout près de franchir le pas au printemps dernier. Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, avait promis le 14 mars que ces autotests seraient vite déployés en pharmacies et en supermarchés.
Mais très vite, le gouvernement allait faire marche arrière pour les grandes surfaces, expliquait Dominique Seux sur France Inter le 24 mars dernier, arguant du caractère médical du dispositif, et donc réservé aux professionnels, ou au motif qu'il fallait "éviter de déstabiliser un dispositif qui marche".
Avec son réseau de 21.500 officines, le secteur des pharmacies françaises est en effet capable de réaliser et valider des centaines de milliers de tests gratuits chaque jour (jusqu'au tout récent record hebdomadaire absolu de 6,2 millions de tests PCR et antigéniques réalisé juste avant Noël, entre le 13 et le 19 décembre). Et sans doute, eu égard à cette impressionnante force de frappe, le gouvernement choisit-il donc aussi de "protéger ses parts de marché", supposait le commentateur de France Inter.
Toujours est-il qu'en mars dernier, c'était un coup dur pour Carrefour qui avait commandé 1 million de tests en Chine et, dans les starting-blocks pour les distribuer, a dû jeter l'éponge pour ne pas se retrouver dans l'illégalité. De manière générale, une occasion ratée aussi pour toute la grande distribution française, qui dans un registre proche, pouvait pourtant se prévaloir de l'autorisation de vendre, depuis 2014, des tests de grossesse et d'ovulation, sans parler de la distribution de gel hydroalcoolique ou de masques (Michel-Edouard Leclerc revendique par exemple 900 millions de masques vendus depuis mars 2020).
Intense campagne de lobbying de la grande distribution
Mais alors, qu'est-ce qui a fait changer d'avis le gouvernement ? Avec la 5e vague de Covid-19, plusieurs patrons de la grande distribution étaient repartis en campagne ces dernières semaines, estimant que la distribution en grandes surfaces pourrait constituer une arme de plus pour lutter contre la propagation du virus.
Le 21 décembre, le directeur exécutif achats et marketing de Lidl France, Michel Biero, avait indiqué, sur BFM Business, être très favorable à la vente d'autotests par la grande distribution pour répondre à la demande des consommateurs dans cette période de fin d'année.
Michel-Édouard Leclerc, président du comité stratégique des magasins E.Leclerc, poussait à la roue le jeudi 23 décembre sur Franceinfo en ces termes:
"On en a en stock, mais on n'a pas le droit d'en vendre", déplorait-il, dénonçant "des réglementations qui datent d'une autre époque."
Le même jour, c'était aussi Vincent Bronsard, président d'Intermarché et Netto, cité par Le Parisien, qui exhortait le gouvernement à autoriser la grande distribution à vendre des autotests de dépistage du Covid dans ses supermarchés. Comme ses pairs de la grande distribution, le chef d'entreprise promettait de les vendre à prix coûtant, soit à moins de 2 euros. Ce qui va par ailleurs poser un problème aux pharmacies, qui, elles, le vendent entre 4 et 5 euros, au maximum 5,20 euros, prix négocié avec le gouvernement et les fournisseurs. E.Leclerc a déjà annoncé son prix: 1,95 euro l'unité.
Pourquoi les pharmacies ont finalement perdu la bataille
Mais, malgré cette nouvelle et intense campagne de lobbying, c'est la pénurie d'autotests en pharmacies qui a fait pencher la balance de l'autre côté.
Plus de la moitié des officines se retrouvaient en rupture de stock à cause du bond de la demande à l'approche de Noël, expliquait le 25 décembre, le porte-parole de l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine (USPO), Gilles Bonnefond, dans le Journal du Dimanche (JDD) :
"Depuis le 15 décembre, les officines ont vendu autant d'autotests que les cinq derniers mois. Nous sommes dans une situation de tension, 58% des pharmacies sont en rupture de stock", déplorait Gilles Bonnefond dans le JDD.
De fait, le gouvernement a considéré que face à une demande de tests "sans précédent depuis le début de la crise sanitaire, il y a lieu de diversifier les circuits d'approvisionnements et de ventes des autotests", explicite l'arrêté signé par Olivier Véran.
Pénurie en pharmacies et abondance en supermarchés ?
La grande distribution promet une arrivée rapide des autotests dans les rayons de leur supermarchés. Chez E.Leclerc, dès le mercredi 29 décembre dans deux magasins sur trois et à la fin de la semaine dans tous ses magasins. Chez Carrefour, à partir de vendredi 31 décembre, voire "peut-être un peu plus tôt". Et chez Lidl, d'ici à une dizaine de jours.
Cependant, une question se pose : comment peut-on avoir d'un côté des ruptures de stock en pharmacie et de l'autre, l'abondance d'autotests en grandes surfaces?
Certaines grandes enseignes, parmi lesquelles E.Leclerc ou Lidl, affirment avoir déjà des millions d'autotests en stock. Idem pour Vincent Bronsard, président d'Intermarché et Netto, qui assurait dès le 23 décembre que son groupe était capable d'en mettre en vente 3 millions d'ici le réveillon du Nouvel An.
A priori, AAZ et Biosynex, les deux fabricants français qui se partage la commande publique de l'État pour notamment les établissements scolaires et qui fournissent l'énorme marché des pharmacies, sont déjà au taquet. Ainsi de la PME francilienne AAZ qui adapte sa production (3x8, machines en H24) pour passer de 2 millions d'autotests par semaine actuellement à plus 3 millions (+50%) par semaine dès janvier.
"On ne livre plus nos clients par palette, mais par semi-remorque pouvant transporter 250.000 tests", explique le patron de cette PME, Joseph Coulloc'h à BFM TV.
Mais face à l'explosion de la demande, le fabricant français, qui lui-même reste très dépendant de son propre fournisseur canadien d'or colloïdal (un principe actif indispensable aux autotests), envisage de faire appel au chimiste allemand BASF.
Pourtant, Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (Uspo), croit avoir la réponse, accusant directement les grandes surfaces d'être les responsables des ruptures de stocks chez les pharmaciens:
"Hier on pouvait commander 16 millions d'autotests pour la fin de semaine, aujourd'hui tout a été acheté par la grande distribution, ils sont en train de tout piller", a-t-il assuré à l'AFP.
Quant au président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset, bouillant de colère à l'issue d'une réunion avec le ministère de la Santé, il taxe le gouvernement de trahison:
"Mes confrères se sentent trahis par le gouvernement", s'est-il exclamé auprès de l'AFP.
Il estime que cette décision "change la stratégie de testing" et constitue "un renoncement à la lutte contre l'épidémie".
Une polémique similaire avait eu lieu au début de la pandémie avec les masques, qui ne pouvaient pas être vendus dans le commerce. Finalement, les grandes surfaces avaient pu commencer à en vendre en mai 2020, non sans avoir été accusées d'avoir constitué des "stocks cachés", après une période où la France en manquait.
De fait, "l'étrange bataille des autotests" - comme la nommait il y a neuf mois déjà Nicolas Demorand sur le ton du journaliste mi-inquiet mi goguenard - est loin d'être finie.
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