Consolidation : Air France-KLM prêt à bouger sur les DOM

Et si le marché des DOM se consolidait enfin. Alors qu'Air France, Air Caraïbes, French Bee, Corsair et Air Austral se livrent une concurrence acharnée depuis des années, au prix souvent de guerres tarifaires, Ben Smith vient de déclarer qu'il étudiait la possibilité d'une consolidation.
Léo Barnier
Ben Smith a déclaré étudier les possibilités de consolidation dans les DOM.
Ben Smith a déclaré étudier les possibilités de consolidation dans les DOM. (Crédits : GONZALO FUENTES)

C'est une petite bombe que vient de lâcher Ben Smith, directeur général d'Air France-KLM, ce vendredi. Interrogé sur la concurrence sur l'Outre-Mer à la toute fin de la présentation des résultats annuels 2022, le dirigeant canadien a affirmé qu'il y avait un besoin de consolidation et laissé entendre qu'il pourrait bien passer à l'action. Les cibles se comptent sur les doigts d'une main : la compagnie réunionnaise Air Austral, Corsair, présente à la fois sur la Réunion et les Antilles et les deux transporteurs du groupe Dubreuil, French Bee sur la Réunion et Air Caraïbes sur les Antilles.

Alors que la séquence portait sur la remontée des tarifs entre la métropole et l'Outre-Mer avec Anne Rigail, directrice générale d'Air France, Ben Smith a pris la parole : « Le marché Outre-Mer est vraiment un marché qui devrait avoir une consolidation. Il y a jusqu'à quatre sociétés sur un seul réseau. Ce n'est pas optimal pour nous et les passagers. » Mais le patron d'Air France-KLM ne s'est pas contenté de ce constat et a ajouté : « C'est quelque chose que nous étudions et nous regardons s'il existe une option qui pourrait être intéressante pour nous et pour le consommateur. »

Ben Smith n'en a pas dit plus, mais cela a suffi à jeter un pavé dans la mare. D'autant plus qu'il avait annoncé quelques minutes auparavant qu'Air France-KLM était sur le point de retrouver ses marges de manœuvre et sa liberté pour participer pleinement à une opération capitalistique avec le remboursement des aides d'Etat et la levée des restrictions européennes. Le groupe avait en effet l'interdiction d'effectuer des acquisitions stratégiques au-delà de 10% du capital des entreprises concernées tant que les aides d'Etat n'avaient pas été remboursées à au moins 75%.

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Pas de détails pour le moment

Le patron d'Air France-KLM n'a rien laissé filtrer sur la forme que pourrait prendre cette consolidation. Les possibilités sont multiples entre une acquisition, une prise de participation minoritaire, une coentreprise ou un accord commercial. Air France et Air Austral ont d'ailleurs déjà un accord sur la desserte de La Réunion : la compagnie réunionnaise vend ainsi un allotement de 30 sièges à la compagnie nationale sur ses vols entre Roissy et Saint-Denis.

Interrogée à l'issue de la conférence sur cette déclaration, Anne Rigail a préféré botter en touche : « C'est (Ben Smith) un connaisseur de l'industrie et c'est vrai que sur ce marché des DOM au global il y a un nombre de compagnies qui n'est tout simplement pas rationnel. French Bee est par exemple arrivée sur la Réunion où il y avait déjà trois acteurs et cela fait une situation concurrentielle qui est un peu bancale. [...] C'est sa vision du marché. »

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Des opportunités existent

Le fait est que les crises sont créatrices d'opportunités et c'est le cas sur le marché de l'Outre-Mer. Si Air France vient de confirmer son retour aux bénéfices, ce n'est pas le cas de ses concurrents. Tout le monde s'accorde à dire que le marché s'est bien comporté. Après avoir constitué une valeur refuge au plus fort de la crise sanitaire, il a continué de croître dans le contexte de reprise de la demande mondiale des voyages : selon les chiffres de la DGAC pour l'année 2022, l'axe métropole - Outre-Mer a retrouvé 98,7 % de son trafic de 2019 et même davantage entre Paris et La Réunion.

Malgré ce dynamisme, les trois dernières années ont été dures à vivre. Les compagnies ont bien sûr subi d'importantes baisses d'activités hachées entre les confinements, les conflits, le variant Omicron... Et si le trafic s'est montré plus dynamique qu'ailleurs, les prix sont restés bas en raison de la forte concurrence. L'attitude d'Air France, qui a mis en ligne jusqu'à 60 % de capacité supplémentaire sans toucher aux tarifs en dépit de l'augmentation des coûts de production et l'explosion de la facture carburant, a notamment été pointée du doigt par les autres compagnies. A l'automne dernier, Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee, et Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, s'accordaient pour dénoncer une hausse de capacité « décorrélée de l'évolution naturelle du trafic » face à laquelle ils n'ont eu d'autres choix que d'ajouter eux aussi de la capacité pour préserver leurs parts de marché et donc de dégrader les recettes unitaires.

Si les volumes ont été bons depuis le printemps, les prix ne sont réellement remontés qu'à l'automne. De fait ni French Bee et Air Caraïbes, ni Corsair, ni Air Austral n'ont encore retrouvé le chemin des bénéfices bien que la situation s'améliore.

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Destins croisés

Dans ce contexte, les quatre compagnies sont dans des positions bien différentes. Fortes de leur réussite avant crise, French Bee et Air Caraïbes sont sans doute les plus solides. Il y a quelques mois, Marc Rochet estimait avoir « de la réserve » et « de quoi sortir de la crise et redécoller ». Et ce malgré plus de 100 millions d'euros de pertes nettes cumulées en 2020 et 2021. Les deux compagnies bénéficient du soutien de leur actionnaire, le groupe Dubreuil Aéro, avec une recapitalisation à hauteur de 15 millions d'euros chacune fin 2021. Pourtant celui-ci ne serait pas forcément contre une vente. En septembre 2020, CMA CGM avait bien failli entrer au capital à hauteur de 30 %, pour 55 millions d'euros, avant de se désister pour monter sa propre compagnie cargo puis débouler chez Air France-KLM.

De son côté, Air Austral est en cours de recapitalisation avec l'arrivée d'un consortium d'investisseurs réunionnais rassemblé autour de Michel Deleflie, PDG du groupe Clinifutur, et un soutien renforcé de la part des acteurs publics locaux pour une injection de cash d'un montant total de 55 millions d'euros. Elle a aussi obtenu un abandon de créances négocié avec l'Etat à hauteur de 119 millions d'euros, soit plus de la moitié de sa dette. Air Austral prévoyait une sortie de crise progressive au cours de son exercice 2022-2023, qui doit s'achever fin mars, mais sa situation reste tout de même fragile. Elle avait perdu 100 millions d'euros sur les deux années précédentes.

Enfin, Corsair est peut-être celle qui est dans la position la moins favorable. Bien que le dynamisme des ventes semble ne pas s'être démenti cet hiver avec des bons niveaux d'engagement, la compagnie a brulé beaucoup de cash depuis plusieurs années. Ses pertes nettes ont ainsi été de 180 millions d'euros pour les exercices 2020 et 2021 (clos au 30 septembre 2021). Les comptes pour 2022 n'ont pas encore été publiés. C'est plus du double d'Air Caraïbes. Le groupe avait néanmoins bénéficier d'un important plan de sauvetage début 2021, avec l'arrivée de nouveaux actionnaires pour l'essentiel présents dans les DOM (à la fois des acteurs privés et des collectivités territoriales), qui ont apporté 30 millions d'euros en cash, ainsi qu'un financement de près de 300 millions d'euros apporté par l'Etat et son ancien actionnaire TUI.

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Des essais infructueux

Corsair et Air Austral auraient d'ailleurs pu convoler. C'était du moins le projet porté l'été dernier par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI, service de l'État à la manœuvre dans les dossiers d'aides aux compagnies aériennes), mais il avait dû y renoncer face à l'opposition de la région Réunion, propriétaire d'Air Austral. Auparavant, les deux compagnies avaient étudié la possibilité d'une coentreprise commerciale avec d'importants bénéfices potentiels.

Air Caraïbes s'était aussi montrée intéressée à un rapprochement au début du dossier, mais davantage sur le plan commercial. En tout cas, Marc Rochet avait déclaré à l'époque que, pour lui, le transport aérien allait devoir se consolider en sortie de crise : « Il y aura une concentration à l'issue de cette séquence, forcément des compagnies seront obligées de se rapprocher. »

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 18/02/2023 à 20:20
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AF a plus au moins près de 30% du marché dans les DOM. S'il y a rachat d'une compagnie desservant les DOM, seul Corsair peut être une cible étant donné qu'elle détient une part de marché la plus faible de toutes les compagnies. Je doute qu'un rachat ...

à écrit le 18/02/2023 à 15:31
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Processus bien rodé, depuis des décennies. Au nom de la "régionalisation", on ouvre (en prenant, s'il y en a, des subsides de l'Etat) une compagnie dédiée Laquelle s'avère quelques années (au mieux) plus tard, non rentable. NB les investissements son...

à écrit le 18/02/2023 à 2:17
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Les prix vont encore augmenter pour une raison simple, le nombre de vols doit être fortement réduit pour réduire les rejets de CO2 et la seule solution pour obtenir ce résultat est de rendre les vols très chers. Le transport aérien doit malheureusem...

à écrit le 17/02/2023 à 21:02
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Que veut dire consolidation de la part d’Air France sur les DOM ? Les prix sont au plus haut et tout le monde s’aligne sur les tarifs d’Air France. Où est la concurrence ???

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