Avec une croissance du trafic de plus de 14 % sur un an, 199 millions de passagers et la perspective de revenir aux niveaux record de 2019, tout semble sourire aux aéroports français. Pourtant, Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français (UAF), a tenu à remettre « l'église au centre du village » à l'occasion de sa conférence annuelle, ce mercredi. Il souligne les importantes disparités d'un aéroport à l'autre et surtout une équation financière difficile avec un risque de sous-investissement dans les prochaines années.
S'il se félicite de cette reprise, Thomas Juin est loin d'afficher un enthousiasme débordant. Il rappelle ainsi que quatre ans après la crise, le trafic n'est toujours pas encore pleinement revenu au niveau de 2019 (moins de 93 %). La bascule devrait être faite cette année, mais le patron des aéroports français indique qu'il s'agit d'un chiffre global et que ce ne sera pas le cas dans des aéroports comme Roissy ou Toulouse.
De même, il insiste sur les disparités avec de « véritables changements structurels » entre les différents segments de trafic, entre une demande dynamique de la part des passagers loisirs et affinitaires et l'apathie du voyage d'affaires. Et cela se retrouve dans les liaisons, avec une croissance portée essentiellement par le low cost sur les liaisons internationales moyen-courrier alors que les liaisons domestiques radiales peinent à retrouver des couleurs.
1 % de croissance par an
Surtout, Thomas Juin se projette dans les années à venir. Et il sait très bien que ce n'est pas l'Europe qui portera la croissance du transport aérien dans les prochaines années. Il rappelle ainsi que les projections pour le transport aérien français, établies par la feuille de route de décarbonation de l'aérien dans le cadre de la Loi Climat et Résilience, font état d'une croissance annuelle moyenne de 1 % (en passagers au kilomètre transportés) entre 2019 et 2050.
Un net ralentissement par rapport aux vingt années précédentes, qui se décline sur le domestique (0,8 % par an) et surtout sur l'international (1,1 % par an). Ces projections, qui tiennent compte de l'effet prix selon un modèle développé par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), font état d'une de la perte d'un point de croissance par an sur chaque segment en raison du renchérissement à venir du transport aérien.
« Nous sommes sur des courbes de croissance molle [...], en raison de deux choses : d'abord nous sommes sur un trafic mature, puis nous allons subir un renchérissement des coûts au niveau de notre secteur avec le carburant durable », explique Thomas Juin, le président de l'Union des aéroports français.
Les aéroports ne pourront donc plus autant compter sur la croissance continue du nombre de passagers pour assurer leur développement, et ce alors que se profile des dépenses sans précédent pour assurer la transition écologique du secteur.
Accélérer les investissements de décarbonation
« Notre défi, c'est d'accélérer la décarbonation du secteur, dont les aéroports sont partie prenante. Ils jouent leur part dans cette décarbonation et tous nos membres sont aujourd'hui engagés dans un processus de réduction de leurs émissions », assure Thomas Juin, qui insiste sur les investissements nécessaires.
Ceux-ci portent sur le renouvellement des matériels, l'électrification des opérations au sol, l'intégration des nouvelles énergies (carburant durable et, à plus long terme, l'hydrogène). Il met également en avant les efforts des aéroports pour devenir des hubs énergétiques qui, grâce au développement de capacités photovoltaïques « mais pas seulement », pourront subvenir à leurs besoins mais aussi à ceux des territoires à proximité.
Le patron des aéroports souligne un second défi dans les années à venir, celui de la qualité de service « qui engage tous les acteurs du transport aérien y compris l'État ». Et sur ce point, il est épaulé par Nicolas Paulissen, délégué général de l'UAF, qui met en garde contre le risque de sous-investissement dans les années à venir. Il viendrait s'ajouter au fort ralentissement déjà connu pendant la crise sanitaire où « le cash n'était pas utilisé pour investir mais pour tenir ».
« Il ne faudrait pas que dans les 10 ans qui viennent, que les infrastructures des aéroports français soient vétustes. Nous voulons être à la pointe de l'innovation et être aussi bons que nos compétiteurs en Europe et dans le monde. On doit nous laisser les capacités financières pour développer nos ambitions », revendique Thomas Juin.
Attirer le financement privé
Face à cette situation, les aéroports vont devoir changer de logiciel économique. Et pour le patron de l'UAF, la solution est simple : le financement privé. Selon lui, c'est la condition sine qua none pour permettre aux aéroports de surmonter le mur d'investissement qui se profile. Mais, à ce stade, il estime que les aéroports ne sont pas assez attractifs sur le plan financier. L'occasion pour lui de remettre sur la table le sujet de la régulation économique et de la juste rémunération du capital.
« Il y a clairement une divergence beaucoup trop forte actuellement entre le retour sur investissement attendu par un opérateur aéroportuaire en France et le niveau de rémunération du capital autorisé par l'Autorité de régulation des transports », tance Thomas Juin.
Sur le point de la régulation, des avancées sont néanmoins attendues prochainement avec l'atterrissage du dossier de la caisse aménagée, qui va permettre aux grands aéroports régionaux de séparer en partie les revenus extra-aéronautiques (commerces, hôtels, restaurant et parkings) des revenus aéronautiques (redevances aéroportuaires) dans les semaines à venir, puis de celui des commissions économiques consultatives et des contrats de régulations économiques d'ici la fin du semestre.
Confiance fragilisée avec l'Etat
Malgré cela, Thomas Juin et Nicolas Paulissen estiment que des freins sont encore mis par l'Etat, qui n'assumerait pas complètement la privatisation décidée dans les années 2000 pour la gestion d'un certain nombre d'aéroports. Le patron de l'UAF estime que « la confiance a été quelque peu fragilisée » par l'empilement de mesures franco-françaises qui n'avaient pas été prévues dans les modèles économiques lors de la mise en place avec les concessions aéroportuaires.
Il cite ainsi l'interdiction des vols domestiques en cas d'alternative ferroviaire de moins de 2h30, la compensation intégrale des émissions sur les vols domestiques et enfin la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance qui vient d'entrer en vigueur.
Face à cette dernière mesure, qui pèsera à hauteur de 120 millions sur les aéroports français, l'UAF a annoncé avoir déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) via le Conseil d'Etat pour en contester la validité. La réponse est attendue « prochainement ».
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