Régulation  : Clément Beaune met fin à la « caisse unique » pour les grands aéroports français

La réforme de la régulation aéroportuaire vient de passer un pas décisif. C'en est fini de la caisse unique pour les grands aéroports français. Si cette décision annoncée par Clément Beaune au congrès de l'UAF est plutôt bien reçue, même par les compagnies aériennes, tous doivent désormais régler les modalités des futures caisses aménagées qui fixeront les futurs équilibres économiques du secteur aérien français.
Léo Barnier
Clément Beaune a rendu ses arbitrages généraux sur la réforme de la régulation aéroportuaire, mais doit maintenant entrer dans les détails.
Clément Beaune a rendu ses arbitrages généraux sur la réforme de la régulation aéroportuaire, mais doit maintenant entrer dans les détails. (Crédits : GONZALO FUENTES)

Clément Beaune était attendu sur la réforme de la régulation lors du congrès de l'Union des aéroports français (UAF) ce vendredi. Et le ministre délégué chargé des transports a répondu présent sur les deux principaux enjeux. Si, comme l'expliquait La Tribune hier, la systématisation des contrats de régulation économique (CRE) faisait consensus, il s'est aussi prononcé sur le sujet bien plus polémique : le système de caisse des aéroports.

Une caisse aménagée pour les gouverner tous

Clément Beaune a donc tranché. « J'ai pris la décision de mettre en place pour les grands aéroports d'État, qui sont aujourd'hui en caisse unique, un modèle de caisse aménagée et incitative », a-t-il déclaré lors du congrès. Marseille, Toulouse, Lyon et Bordeaux vont donc changer de modèle et faire la bascule vers une caisse aménagée. Nice, qui est déjà en caisse double, n'est pas concerné - à moins d'une harmonisation - tout comme les aéroports de Paris.

C'était là « le point le plus sensible » de la réforme de la régulation, comme le reconnaît lui-même le ministre : les gestionnaires d'aéroports plaidaient depuis longtemps pour une caisse double, qui permet de dissocier les lucratifs revenus commerciaux (boutiques, restaurants, hôtels...) des revenus aéronautiques moins rentables (redevances aux compagnies aériennes, activités en escale...). Cela leur permet de ne pas prendre en compte ces revenus dits « non régulés » pour fixer les tarifs de redevances sur le périmètre « régulé », et donc de générer des bénéfices plus importants. A l'inverse, les compagnies étaient traditionnellement favorables au maintien d'une caisse unique où les deux périmètres s'équilibrent pleinement.

Avec cette caisse aménagée, il y aura bien une dissociation, mais une partie des revenus commerciaux sera reversée vers les revenus aéronautiques. Cela doit permettre aux aéroports d'avoir une meilleure rentabilité de leurs investissements destinés à étoffer leur offre de boutiques et restaurants, mais aussi générer un apport aux compagnies aériennes sans qui les passagers ne seraient pas là. Clément Beaune espère ainsi que cette caisse aménagée sera « un levier pour inciter les aéroports à des investissements massifs, notamment la transition énergétique ».

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Les CRE au centre du jeu

Cette évolution vers une solution intermédiaire ne se fait pas sans contreparties. Il conditionne la mise en place de ces caisses aménagées à l'obligation pour les aéroports de signer un contrat de régulation économique (CRE) pluriannuel, pour définir le montant des investissements à venir et les tarifs des redevances en conséquence. Il veut ainsi en faire « la pierre angulaire de la régulation économique », estimant aussi que ces contrats vont permettre d'améliorer la visibilité des acteurs du secteur.

« Je suis convaincu que le caractère pluriannuel de ces contrats est particulièrement adapté aux défis du secteur, surtout dans une période d'investissements massifs, surtout pour les conditions écologiques pour la transition écologique », a déclaré Clément Beaune lors du congrès de l'UAF.

Cela doit s'accompagner par un renforcement de la « robustesse » des CRE, en particulier par une meilleure intégration des usagers des plateformes aéroportuaires - à commencer par les compagnies aériennes - au processus d'élaboration. Le rôle des commissions consultatives économiques, les fameuses « Cocoéco », seront dotées d'un « vrai rôle » selon le ministre, tandis que l'Autorité de régulation des transports sera « mieux associée dès le début du processus ». Cela devrait aller de pair avec une simplification du processus, aujourd'hui jugé de façon unanime long et fastidieux.

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Un consensus se dégage

A plusieurs reprises, Clément Beaune a tenu a salué l'implication des différentes parties prenantes engagées dans ce processus depuis le congrès de 2022 : « Nous avons progressé significativement en un an. Par un travail collectif avec l'UAF et les aéroports, avec les compagnies, avec l'ensemble des secteurs et, bien sûr, avec les services de l'État de la Direction générale de l'aviation civile ».

Si comme le dit le ministre, « nous ne pouvons pas faire plaisir à tout le monde d'un coup » et que « gouverner c'est choisir » en référence à Pierre Mendès France, il estime que « l'on peut néanmoins trouver des équilibres et des compromis et c'est ce qui se dessine dans le travail exemplaire qui a été fait entre les aéroports et les compagnies en particulier ».

Et le fait est qu'un certain consensus résulte de ce travail fait en amont. D'où des réactions globalement positives dans les travées du congrès, aussi bien de la part des aéroports que des compagnies aériennes. Assez logiquement, Nicolas Paulissen, délégué général de l'Union des aéroports français, a souligné « le pas décisif » qui avait été franchi.

Mais, plus étonnamment, Jean-François Dominiak, président du Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara), s'est montré enthousiaste : « Par principe, nous préférons avoir une caisse unique, mais nous comprenons bien également qu'il y a des nécessités de financements annexes pour les aéroports. [...] Je donne crédit à Clément Beaune et lui dit : OK monsieur le ministre, allons-y, regardons comment on le fait. Et le Scara sera vraiment positif là-dessus. »

L'ancien patron d'ASL Airlines France était pourtant l'un des plus farouches défenseurs de la caisse unique. Il a aussi approuvé le rôle central donné aux contrats de régulation économique, tout comme le renforcement des Cocoéco.

« Je suis content de voir que ce que dit le ministre correspond en grande partie à ce que le Scara a recommandé dans les différentes discussions tenues jusqu'ici, notamment avec l'Autorité de régulation des transports », a ajouté Jean-François Dominiak.

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Le diable se cache dans les détails

Derrière l'apparente satisfaction, une certaine prudence est tout de même de mise chez les différentes parties prenantes. La maxime faisant état que « le diable se cache dans les détails », est ainsi revenue sur les lèvres de plus d'un participant.

Laurent Timsit, délégué général de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam), s'exprimant au nom de la Chambre syndicale du transport aérien (CSTA qui représente spécifiquement les compagnies aériennes), appelle désormais à préciser les modalités de cette caisse aménagée « C'est un vrai sujet sur lequel nous avons besoin de clarté, de discussion et de concertation », ajoute-t-il en précisant tout de même que le travail a été déjà bien engagé.

Ainsi, au-delà du principe de la caisse aménagée, ce sont bien les modalités de cet aménagement qui vont réellement définir les futurs équilibres entre compagnies et aéroports. Se posent ainsi deux questions principales : quel est le périmètre d'activités couvert par la régulation (activités régaliennes, redevances, assistance en escale, commerces, parkings...) ? Et comment est calculé le reversement d'une partie des revenus économiques générés par les activités commerciales vers les activités aéronautiques.

Cela pourrait se faire par le transfert d'un pourcentage des bénéfices, comme le préconise l'ART. Ou, à l'inverse, par la couverture d'une partie des coûts du périmètre régulé par le non-régulé, comme l'explique Laurent Timsit. Si Jean-François Dominiak insiste ainsi sur la définition du bon niveau de revenus du périmètre non-régulé devant revenir vers les compagnies aériennes, il plaide avant tout pour un mécanisme simple.

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Encore un peu de travail

Pour l'instant, Clément Beaune juge que cela nécessite « d'une part d'aménager le périmètre de régulation des aéroports en limitant le périmètre régulé au seul service public aéroportuaire et d'autre part de définir très précisément les modalités de reversement des profits, des activités non régulées vers périmètre régulé ». Il indique qu'il y a encore ainsi quelques semaines ou quelques mois de travail technique pour finaliser cette réforme.

Cela va passer par un processus formel de consultation des différentes parties sur ces fameuses modalités d'ici la fin de l'année. De fait, Clément Beaune semble désormais vouloir aller vite. Pour la question des contrats de régulation économique, il devra passer par un décret du conseil d'Etat qu'il espère obtenir au premier semestre 2024. Pour la caisse aménagée, il faudra passer par un arrêté, attendu dès le 1er trimestre 2024.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 26/11/2023 à 7:15
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Je pourrai taper dans plusieurs caisse quel bonheur !

à écrit le 25/11/2023 à 19:24
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Bel effort: je parie que la caisse était vide.

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