Le groupe ADP avance ses pions en Asie avec son partenaire indien GMR Airports

Trouver des relais de croissance plus rapides qu'en France, c'est l'objectif du développement du groupe ADP qui doit générer la moitié des revenus à l'international d'ici 2035. Et pour y arriver, le groupe français s'appuie désormais sur son partenaire indien GMR Airports afin de regarder dans son pays d'origine, mais aussi au-delà, de l'autre côté de l'océan Indien.
Léo Barnier
Jakarta apparaît comme l'une des cibles prioritaires pour le groupe ADP et son partenaire GMR Airports.
Jakarta apparaît comme l'une des cibles prioritaires pour le groupe ADP et son partenaire GMR Airports. (Crédits : Reuters)

La question n'est pas tellement de savoir si l'Inde offre des perspectives, mais comment les saisir. Depuis trois ans, le groupe ADP (Aéroports de Paris) a fait le choix de miser sur le groupe indien GMR Airports avec une acquisition à hauteur de 49%. Des bénéfices importants sont attendus via le versement de dividendes, avec une croissance rapide du niveau de rémunération. Avant d'y arriver, ADP devra se montrer quelque peu patient, au moins jusqu'en 2027-2028, au vu des prévisions actuelles. Cet état de fait n'empêche pas le groupe français de se projeter sur de nouveaux développements avec GMR Airports en Inde mais aussi plus à l'Est.

L'Inde peut arriver vite

Les premières échéances pourraient arriver très rapidement pour ADP et son partenaire. Des réflexions sont actuellement menées par le gouvernement indien pour la privatisation de 25 aéroports supplémentaires, dont 13 pourraient être mis en vente d'ici un an. Il ne s'agit pas de grosses prises, la plupart des grosses plateformes ayant déjà été privatisées, mis à part Chennai (Madras) et Calcutta.

Sur les 13 aéroports, six sont de dimension régionale avec 3 à 4 millions de passagers par an. Les autres relèvent plus de l'aérodrome, l'idée étant de constituer des lots regroupant un aéroport de chaque catégorie. Si le menu ne semble pas des plus alléchants à première vue, les hypothèses de croissance et les développements qui pourraient être intégrés dans les contrats de concession rendent tout de suite l'affaire plus juteuse.

Chennai pourrait tout de même intégrer cette liste, mais la réflexion stagne pour le moment : le gouvernement central, qui détient l'aéroport, est favorable à une extension des installations actuelles, tandis que le gouvernement local est partisan de sortir un nouvel aéroport de terre, chacun se regardant en chiens de faïence selon un suiveur du dossier.

La situation devrait s'éclaircir après les futures élections législatives, prévues en mai 2024. Du moins, une réélection du Premier ministre sortant devrait conforter la stratégie et le calendrier des privatisations.

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Toutes les options sont sur la table

Et pour adresser ces marchés, toutes les options sont possibles à en croire Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, et Philippe Pascal, son directeur financier. Etant sur le territoire naturel de GMR Airport, il est logique que le groupe indien dispose d'une prérogative pour se positionner en priorité. La seule contrainte est adressée à GMR Infrastructures Airports. La maison-mère de GMR Airports, qui en détient les 51% restants, ne pas se positionner directement sur une compétition en Inde et doit obligatoirement passer par sa filiale afin de ne pas léser ADP.

De même, les deux dirigeants affirment qu'il est tout à fait possible de voir ADP et GMR Airports s'associer au sein d'un consortium pour adresser un dossier de privatisation. Cela pourrait être le cas si le groupe indien ne disposait pas de la capacité financière pour se présenter seul en raison de son lourd endettement.

Enfin, ADP a toujours la possibilité de partir seul, si GMR Airports n'en a pas les moyens ou la volonté. Si cette dernière option est très hypothétique sur l'Inde, c'est bien plus envisageable dans des pays environnants.

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Cap sur l'Asie

Comme TAV Airports, exploitant turc acheté en 2012 par ADP, qui à la priorité sur la zone Moyen-Orient et Asie Centrale, GMR Airports apparaît comme le véhicule privilégié pour adresser le marché asiatique comme ce fut le cas l'an dernier pour l'aéroport indonésien de Medan. Au vu de ses projections de croissance du trafic aérien, qui n'ont pas grand-chose à envier à celles de l'Inde, l'Indonésie est une cible prioritaire pour les deux partenaires. Ils regardent ainsi ensemble le dossier de privatisation de Jakarta qui pourrait bientôt arriver sur la table. Aucune option n'a été arrêtée pour l'instant, mais l'apport d'un partenaire français pourrait être un plus dans le dossier, notamment au vu de l'expérience passée d'ADP Ingénierie dans la région (même si cette filiale est en passe d'être dissoute).

Comme l'explique Philippe Pascal : « Nous ne sommes pas entrer au capital de GMR Airports pour simplement exploiter des actifs, mais pour nous développer en Asie sans que le groupe ADP ait à en supporter la charge financière, cette charge revenant à l'entreprise dont nous sommes actionnaires. »

GMR Airports doit ainsi contribuer à faire croître la part de l'international dans le revenu opérationnel courant du groupe français. Actuellement de 24%, l'objectif est qu'elle atteigne 40 à 50% d'ici 2035.

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Le frein de l'endettement

Si les opportunités sont bien là et que Français comme Indiens comptent bien les saisir, un frein majeur pèse actuellement sur ces projets de croissance externe. GMR Airports fait face à un endettement massif avec un pic d'investissement sur les dernières années. Il a ainsi investi 1,2 milliard d'euros pour l'extension de l'aéroport de Delhi, 700 millions pour celles d'Hyderabad et 400 millions pour le nouvel aéroport de Goa - ce qui va générer dans les prochains mois des capacités d'accueil pour 50 millions de passagers supplémentaires. Dans le même temps, il a fait face à une baisse sensible de revenus avec la crise du Covid. Le groupe ADP, qui dispose d'un droit de blocage sur le budget au titre de son pacte d'actionnaires, a d'ailleurs dû s'opposer à certains projets industriels, même s'il a n'a pas remis en cause l'extension de capacités.

Cet endettement se retrouve au niveau des sociétés aéroportuaires de Delhi, Hyderabad et Goa, de la holding GMR Airports, mais aussi de GMR Airports Infrastructure. Cette dernière, qui représente la famille du président fondateur du groupe GMR, Grandhi Mallikarjuna Rao, est l'actionnaire majoritaire de GMR Airports avec 51% et donc le partenaire d'ADP qui possède les 49% restants. La dette consolidée s'approche aujourd'hui des 3 milliards d'euros, alors que les aéroports ne devraient générer qu'entre 700 et 800 millions d'euros de chiffres d'affaires pour l'année financière qui s'achève fin mars. Et sur les neuf premiers mois de l'exercice, ils affichaient une perte de l'ordre de la dizaine de millions d'euros. Au vu de cette situation, de l'inflation actuelle autour de 7 et de la remontée des taux directeurs, GMR Airports ne peut prétendre à des taux d'emprunt inférieur à 15%.

Sans une réduction franche du niveau d'endettement et du ratio entre la dette et l'Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement), GMR Airports pourrait voir la vague imminente de privatisations en Inde lui passer sous le nez. De même, il serait dans l'incapacité de s'aligner sur un dossier comme Jakarta. Et même avec l'apport d'ADP, Augustin de Romanet prévient qu'il ne pourrait pas prétendre à obtenir l'intégralité de la concession.

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Ne pas rater le coche

Les dirigeants du groupe ADP sont bien conscients de cette situation qui limite grandement les capacités de croissance externe de GMR Airports. Philippe Pascal vante d'ailleurs la transparence financière de la part de ses partenaires indiens, telle que définie dans le pacte d'actionnaires « extrêmement puissant ». Pour y remédier, le directeur financier explique qu'il y a aujourd'hui trois possibilités identifiées. Il y a tout d'abord la croissance organique de trafic, mais cela va prendre du temps : au vu des investissements consentis et d'une nécessaire montée en puissance des nouvelles installations, elle ne génèrera réellement des profits qu'à l'horizon 2027-2028 (même si Hyderabad devrait être très vite rentable).

La deuxième solution, qui est aujourd'hui largement utilisée par le groupe GMR pour rentabiliser le développement de ses activités dans de multiples secteurs, est la cession d'actifs. GMR Airports, non sans une certaine pression d'ADP, a ainsi cédé sa participation dans l'aéroport de Cebu aux Philippines pour rentrer un peu de cash (150 millions d'euros) en décembre 2022 et a commencé à vendre des petites parts à Goa.

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Vers une entrée en Bourse

La dernière solution est l'introduction en Bourse d'une structure. Celle-ci est privilégiée par ADP et a déjà été définie dans le pacte d'actionnaires signé en 2020. Celui-ci prévoit même une échéance limite pour sa mise en œuvre, qui pourrait arriver assez rapidement même si la date n'a pas été communiquée.

 « Je ne veux pas entendre parler de majorité », Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP.

L'heure est d'ailleurs à la réflexion sur la meilleure manière de mener cette opération, ce qui va nécessiter une ingénierie financière de précision pour préserver les équilibres actuels. Augustin de Romanet et Edward Arkwright, directeur général exécutif du groupe ADP, excluent en effet toute possibilité d'être dilués, si ce n'est à faire preuve d'un peu de souplesse « à la marge ». De même, cette opération doit se dérouler sans nouvelle injection de cash, outre une possible prime en cas de fusion. A l'inverse, les deux dirigeants excluent toute prise de contrôle de GRM Airports par ADP, que ce soit en devenant actionnaire de référence avec un pacte d'actionnaires ou de majoritaire. Au milieu de tout cela, il faut pourtant trouver du flottant à hauteur d'un quart du capital.

Cette introduction en Bourse peut se faire de deux manières : soit par la cotation de GMR Airports directement, soit par une fusion entre GMR Airports et sa maison-mère GMR Airports Infrastructure qui est elle-même déjà cotée. Dans le premier cas, les actionnaires actuels - ADP (à 49 %) et GMR Airports Infrastructure (à 51 %) - se retrouveraient dilués et leur pacte tomberait.

Dans le second cas, la fusion réduirait fortement la part de la famille qui ne possède que 60% de GMR Airports Infrastructure, le reste étant du flottant. Une situation qui est exclue par la famille, qui veut garder le contrôle, mais aussi par ADP qui ne veut pas voir son exposition frontale apparaître comme plus importante que celle de la famille. Le groupe français semble pour l'instant pencher pour cette option.  « Il existe des outils techniques qui permettent de résoudre cette apparente contradiction », assure Edward Arkwright, mais le choix final pourrait encore varier dans les prochains mois en fonction de l'évolution de la situation.

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