Présidentielle : le train plébiscité par les candidats, l'avion décrié

Les acteurs du ferroviaire peuvent se réjouir : leur secteur apparaît comme la priorité des candidats sur les questions de mobilité. La nécessité de moderniser le réseau fait consensus, chacun y allant de son annonce sur le nombre de milliards d'euros à mettre sur la table. En face, l'aérien fait pale figure, au mieux éludé, au pire tancé.
Léo Barnier
Alors que les transports passent au second plan dans la présidentielle, le train est assez largement plébiscité par les candidats.
Alors que les transports passent au second plan dans la présidentielle, le train est assez largement plébiscité par les candidats. (Crédits : GONZALO FUENTES)

Le ferroviaire se taille la part belle dans la présidentielle, l'aérien doit se contenter de la portion congrue. Dans un débat organisé par le think tank TDIE (Transport développement intermodalité environnement) et Mobilettre au Pavillon Gabriel, les représentants de six candidats (aucun des candidats à l'Elysée ne s'étant déplacé en personne malgré l'extrême proximité géographique immédiate du Palais) se sont affrontés tour à tour sur le thème des transports. Si des divergences évidentes sont apparues, deux grandes lignes générales se sont dégagées : la volonté de développer fortement le ferroviaire, avec des investissements massifs dans le réseau, et laisser l'aérien de côté.

Vecteur de la transition écologique, puissant outil d'aménagement du territoire, force industrielle... le train a tous les atouts dans sa manche à en croire les représentants de Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Fabien Roussel, Emmanuel Macron, Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon (dans l'ordre de passage lors du débat). Chacun a ainsi milité pour le renforcement de la part modale du ferroviaire, que ce soit sur les trajets du quotidien ou la longue distance, par rapport à la route et à l'aérien. Et le développement du fret ferroviaire a également été plébiscité.

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La modernisation du réseau en priorité

Le futur contrat de performance 2021‑2030 entre l'État et SNCF Réseau a été une nouvelle fois largement pris pour cible. Après avoir suscité l'ire d'acteurs du secteur ferroviaire, de l'Autorité de régulation des transports (ART) et d'élus (rapport sénatorial "Comment remettre la SNCF sur les rails ?"), ce texte qui définit les lignes directrices pour les 10 ans à venir a été vertement critiqué par les représentants de plusieurs candidats. Comme d'autres avant lui, le sénateur "Les Républicains" Philippe Tabarot, qui représentait Valérie Pécresse, n'a pas hésité à parler de "contrat de contre-performance manifeste de l'Etat" tout comme le sénateur socialiste Olivier Jacquin pour Anne Hidalgo.

De fait, l'ensemble des représentants ont qualifié la régénération et la modernisation du réseau d'essentielles, avec comme priorités la mise en place du système de signalisation européen ERTMS (sur lequel la France a beaucoup de retard) et la Commande centralisée du réseau (CCR) pour remplacer les 2.200 postes d'aiguillages actuels. Ils ne sont dès lors pas fait prier pour ajouter des milliards d'euros supplémentaires aux 2,8 milliards annuels prévus dans le contrat de performance.

Les milliards sont de sortie

Le camp de Valérie Pécresse s'est montré le moins généreux en la matière avec 700 millions d'euros de plus par an, suivi par celui d'Anne Hidalgo avec un milliard d'euros. Les chiffres se sont ensuite envolés : pour Fabien Roussel, l'adjoint à la mairie de Paris Jacques Baudrier a annoncé cinq milliards d'euros, tandis qu'Arsène Ruhlmann, par ailleurs consultant au sein d'un grand cabinet de conseil, parlant ici pour Jean-Luc Mélenchon, est monté jusqu'à 6 milliards. Et pour Yannick Jadot, David Belliard, également adjoint à la mairie de Paris, a mis pas moins de 7 milliards sur la table.

Seule Fabienne Keller, députée européenne, n'a pu avancer de chiffres pour Emmanuel Macron. En l'absence d'arbitrage de la part de son candidat, elle n'a pu que défendre son bilan et donc les 2,8 milliards d'euros proposés par le contrat de performance. Elle s'est tout de même permis d'avancer qu'il fallait "poursuivre et amplifier" les investissements structurels et que ceux prévus dans le fret ferroviaire devraient être prolongés.

Aucun des représentants ne s'est pas, en revanche, aventuré à évoquer le pendant social de cette modernisation : la mise en place de 16 postes de CCR en lieu et place de 2.200 postes d'aiguillages fera certes gagner le réseau en efficacité, mais devrait entraîner la suppression de plusieurs milliers de postes.

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La concurrence n'est pas le graal pour tout le monde

Si le débat sur le renforcement du réseau fut avant tout une histoire de chiffres, les positions se sont avérées plus tranchées sur l'ouverture à la concurrence. Dans les faits, seul le représentant de Jean-Luc Mélenchon souhaite y mettre fin, prônant le retour à la SNCF comme grande entreprise nationale porteuse seule du service public. Et cela aussi bien sur les services en accès libre que sur les lignes conventionnées. De même, il appelle à la réflexion sur la libre concurrence dans le fret, dont il juge le bilan catastrophique et incapable d'empêcher le déclin du secteur depuis 15 ans.

Arsène Ruhlmann est en partie rejoint par Jacques Baudrier, pour Fabien Roussel, qui prône lui aussi la renationalisation de la SNCF. L'adjoint parisien dénonce lui aussi les dérives possibles de l'ouverture des services publics à la concurrence arguant de la dégradation des conditions de travail pour les chauffeurs de bus en Ile-de-France.

A l'inverse, le représentant de Valérie Pécresse voit l'ouverture à la concurrence comme l'un des aspects positifs du pacte ferroviaire de 2018 (avec la casse du statut de cheminot). Il souhaite donc son accélération et appelle à une diminution des péages pour favoriser le développement de l'offre. Il s'est également félicité d'être élu en Provence-Alpes-Côte d'Azur, la première région à avoir cassé le monopole SNCF sur une ligne conventionnée. De même, Fabienne Keller n'a pas hésité à mettre en avant la libéralisation du rail comme l'une des réussites du quinquennat qui s'achève.

Sur cette question, David Belliard se veut pragmatique et ne pas en faire une question d'idéologie. Il salue ainsi la réussite de l'ouverture à la concurrence en Suède tout en pointant le mauvais exemple britannique. Sans se mouiller, il déclare qu'il faut surtout injecter suffisamment d'argent pour moderniser le réseau et voir après comment s'organise la suite.

Le représentant d'Anne Hidalgo n'est pas non plus rétif à cette libéralisation, concédant tout de même quelques hésitations lors des débats sur le pacte ferroviaire en 2018. Il exprime néanmoins son inquiétude de voir les opérateurs se concentrer uniquement sur les lignes les plus rentables au détriment des autres, laissées à la seule SNCF.

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Pas de clivage marqué entre LGV et petites lignes

Globalement, il n'y a pas eu de mise en opposition entre la grande vitesse et les petites lignes. Ces dernières ont tout de même bénéficié de nombreuses attentions de la part de chaque camp, voyant dans le développement du réseau secondaire le meilleur moyen de réduire la dépendance de la voiture dans les trajets quotidiens.

Philippe Tabarot a dénoncé le sous-investissement sur ces liaisons et la faible qualité du service, obligeant les gens à prendre leur voiture. David Belliard a appelé à préserver les petites lignes et même à développer l'offre avec du cadencement pour les horaires, grâce à de nouveaux modèles économiques. Il a également plébiscité le train de nuit avec la volonté de créer 15 nouvelles lignes.

Après avoir clairement dit qu'il n'opposait pas grande vitesse et petites lignes, Arsène Ruhlmann s'est prononcé pour un développement global du rail, avec là aussi du cadencement, ainsi que des réseaux interurbains pour accélérer le report modal.

Du côté de Fabien Roussel, Jacques Baudrier estime que 20 % des déplacements individuels en voiture peuvent être transférés vers des mobilités douces, notamment vers le train avec un abaissement de 30 % des prix et une meilleure prise en charge des coûts de transports vers le lieu de travail par les employeurs. Mais il souhaite également investir sur le TGV pour concurrencer la voiture et l'avion sur la longue distance.

La dimension locale plébiscitée

Dans le camp d'Anne Hidalgo, Olivier Jacquin a évoqué la nécessité d'accompagner les régions pour décarboner les TER, mais aussi redynamiser les petites lignes. A l'heure où Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué en charge des Transports, vient de signer la nouvelle convention d'exploitation des trains d'équilibre du territoire (TET) avec SNCF Voyageurs, le sénateur a appelé à plus de lignes transversales, ainsi qu'au développement des trains de nuit.

Pour le candidat-président, Fabienne Keller a appelé à la convergence entre État, pouvoirs locaux et autorités organisatrices de la mobilité (AOM) pour construire une vision d'ensemble et des stratégies détaillées, ainsi qu'à des débats avec les citoyens à l'échelon local. Cela n'a pas empêché ses adversaires, notamment Philippe Tabarot, de rappeler le virage opéré en cours de quinquennat avec l'accent d'abord mis sur les trajets de quotidien au détriment des grands projets, telle la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse, avant la relance de ces derniers.

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Jugé pollueur mais pas payeur, l'avion n'est pas à la fête

Face à ces déclarations d'amour au ferroviaire, l'aérien n'a donc pas pesé lourd. L'envoyé de Yannick Jadot s'est montré logiquement le plus véhément en faisant de la réduction de la place de l'avion l'un des axes de sa stratégie de réduction de moitié de l'empreinte carbone des transports en France. Cette dernière représente 28 % des émissions nationales totales de CO2. Afin de remettre l'avion à "sa juste place", David Belliard reprend à son compte l'interdiction des lignes aériennes lorsque qu'une alternative ferroviaire existe en moins de quatre heures, soit le curseur posé par la convention citoyenne sur le climat (la loi climat-résilience ayant retenu la limite de deux heures trente). Il estime ainsi que l'aérien doit être réservé à la longue distance, au nom notamment du droit à la mobilité, et disparaître sur toutes les liaisons où une alternative ferroviaire existe.

Au nom de Jean-Luc Mélenchon, Arsène Ruhlmann valide aussi cette proposition des quatre heures, mais il met un bémol. Pour lui, la question n'est pas d'aller chercher Air France sur le Paris-Marseille, mais de limiter l'explosion du trafic des compagnies low cost dont les parts de marché atteignent les 60 % en France désormais. Il souhaite ainsi davantage de régulation sur le trafic transeuropéen, avec un prix minimum sur les billets d'avions.

Olivier Jacquin se montre un tout petit peu moins vindicatif, en se contentant de valider le curseur des deux heures trente tel qu'il est inscrit dans la loi Climat-résilience actuelle. Mais il rejoint David Belliard sur le principe du pollueur-payeur, au nom duquel ils se sont accordés pour dénoncer une concurrence déloyale de l'avion face au train au prétexte que le kérosène n'est pas taxé. Là où l'écologiste appelle à la fin de cette "niche fiscale" qui rend l'aérien "anormalement attractif" par rapport au ferroviaire, le socialiste souhaite "trouver une marge sur l'avion sans pénaliser certaines parties de France" où il n'y a pas d'alternative en train. Ce dernier veut notamment adapter les tarifs, jugeant que l'aérien ne paye pas ses infrastructures au contraire du ferroviaire.

Une affirmation qui a sans doute fait bondir le secteur, notamment les compagnies aériennes qui se plaisent à rappeler qu'il paie les quotas de carbone du système européen ETS et du dispositif mondial propre à l'aérien Corsia, la compensation des émissions sur les vols domestiques, la taxe de l'aviation civile pour financer le contrôle aérien, la taxe d'aéroport pour la sûreté-sécurité, la taxe de solidarité ou encore la taxe sur les nuisances sonores aériennes qui n'a pas d'équivalent ferroviaire.

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Des positions plus modérées

Le programme de Fabien Roussel se veut bien moins contraignant. Considérant que la baisse de la mobilité ne peut être le fait que d'un appauvrissement ou de mesures anti-démocratiques, Jacques Baudrier ne semble pas enclin à brider l'aérien mais entend en revanche renforcer la fiscalité sur la tranche la plus aisée des voyageurs, en taxant spécifiquement les déplacements en jets d'affaires et les billets en première classe. La réflexion est la même pour l'automobile avec un ciblage sur les véhicules lourds.

Fabienne Keller s'est là aussi montrée discrète, préférant insister sur l'apport des développements technologiques pour décarboner l'aviation. Ce qui lui a permis de rappeler les investissements faits en la matière dans le cadre du plan de relance et de France 2030.

Sans se mouiller non plus, c'est le camp de Valérie Pécresse qui s'est montré le plus favorable à l'avion. Philippe Tabarot a mis en avant l'importance de l'industrie aéronautique en France et la nécessité de lui donner les moyens de rester au premier rang mondial.

Sur le transport aérien, le sénateur a rappelé son opposition à l'interdiction des vols en cas d'alternative ferroviaire de moins de deux heures trente, tout en précisant que cela n'avait finalement concerné que quelques lignes et que cela ne devrait pas aller plus loin. Il préfère se fier à la concurrence, estimant que le train gagne en général face à l'avion sans qu'il n'y ait besoin de l'interdire. Il a d'ailleurs déclaré que c'était actuellement le cas sur le Paris-Marseille.

L'envoyé de Valérie Pécresse pose tout de même la question de la tarification, jugeant qu'il ne peut y avoir des billets d'avions moins chers que le train sur une même liaison, ce qui provoque un dumping néfaste au vu de l'impact écologique.

Léo Barnier

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Commentaires 7
à écrit le 31/03/2022 à 10:17
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Le seul candidat qui a une politique pour les services publics et donc leur renationalisation en monopole public (SNCF, RATP, EDF/GDF, France Telecom, Banques, Assurances, Santé, Ecole, EHPAD, Université, Retraite, Police, Armée) c'est Fabien Roussel...

à écrit le 22/03/2022 à 11:18
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Avec les 3/4 des voies ferrées démantelées par les politiciens français, avec 4 tonnes supplémentaires autorisées en charge aux camions sous le début du mandat macron, avec la CGT qui sabote le train, avec la privatisation imposée qui sera un échec a...

à écrit le 22/03/2022 à 8:59
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Ceux même qui ont participé au sabotage, veulent a nouveau vous faire payer les dommages!

à écrit le 22/03/2022 à 0:53
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Manifestement c'est l'union du capitalisme de gauche derrière le train du déficit public...

le 22/03/2022 à 10:20
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Il n y a pas de compagnie ferroviaire bénéficiaire hors subventions dans le monde même au Japon les chemins de fer sont 4 fois plus endettés que la sncf …en suisse le pays subventionne plus ces chemins de fer que la France ( au prorata du nombre d ha...

à écrit le 21/03/2022 à 21:46
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après bientôt cinq ans la politique en marche a oubliée le transport ferroutage ! les promesses électorales sont elles de retour ?

à écrit le 21/03/2022 à 17:53
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Il y a des modes, ces dernières années, un jour le nucléaire c'est pas bien, un autre c'est bien. Un jour les hydrocarbures c'est pas bien, un autre c'est bien. Et c'est pareil un peu pour tout. La grande mode actuellement, c'est d'être "responsable"...

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