Procès de Heetch : que risque la plateforme ?

Les fondateurs de la jeune pousse, qui permet à des particuliers d'en transporter d'autres, la nuit, et surtout en fin de semaine, ont rendez-vous jeudi et vendredi devant le tribunal de grande instance de Paris
Mounia Van de Casteele
Il est reproché à la plateforme Heetch d'avoir organisé un système de mise en relation de clients avec des personnes se livrant au transport routier de personnes à titre onéreux, d'avoir exercé illégalement l'activité d'exploitant de taxi et enfin d'avoir commis une pratique commerciale trompeuse.

Le compte à rebours a démarré pour l'application nocturne de transport entre particuliers Heetch. Ses fondateurs Matthieu Jacob et Teddy Pellerin ont rendez-vous jeudi et vendredi devant le tribunal de grande instance à Paris. Ceux-ci sont notamment accusés de faciliter l'exercice d'une activité illégale de la profession de taxi. Il s'agit d'un procès très attendu - notamment par les taxis - car il devait initialement avoir lieu au mois de juin. Mais l'audience avait dû être reportée à cause du nombre de chauffeurs venus se porter parties civiles à la barre.

Cette fois, donc, ça devrait être la bonne. Si tant est que l'audience ait bien lieu, puisque plus de 1.200 parties civiles, parmi lesquelles le ministère public ainsi que des syndicats et fédérations professionnelles de taxis se sont constituées pour l'instant. Mais la liste continue encore à s'allonger... "Jusqu'à quand?", s'interroge-t-on chez Heetch, dont l'avocat, Maître Skovron, n'exclut désormais plus une situation analogue à la précédente, et donc, un éventuel report du procès. Ce nombre lui semble toutefois disproportionné, sachant que pour UberPop, il n'y avait eu qu'une trentaine de parties civiles. Il estime d'ailleurs que "tout est un peu démesuré dans ce procès", qui se déroulera sur deux jours, dans l'une des plus belles salles du palais de justice.

Concrètement, différents chefs d'accusations sont reprochés à la jeune pousse créée en 2013 et qui compte à son capital les fonds Kima Ventures (lancé par Xavier Niel, le fondateur de Free en 2010), Alven Capital et Mobivia: le fait d'avoir organisé un système de mise en relation de clients avec des personnes se livrant au transport routier de personnes à titre onéreux, le fait d'avoir exercé illégalement l'activité d'exploitant de taxi et enfin le fait d'avoir commis une pratique commerciale trompeuse.

Heetch, plus proche de Blablacar que d'UberPop ?

Cependant, l'avocat se montre sûr de sa ligne de défense. Tout d'abord sur l'aspect financier, sachant que la loi Thévenoud interdit tout transport de personnes entre particuliers "à titre onéreux". Il rappelle ainsi que la plateforme ne propose que des suggestions de prix pour un trajet, qu'il assimile à du partage de frais. Pour se justifier il met en avant le fait que certains passagers donnent moins que la suggestion, voire ne donnent rien du tout. Ils seraient de l'ordre de quelques milliers, représentant 3 ou 4% des 500.000 utilisateurs de la plateforme, présente à Paris, Lille et Lyon, ainsi qu'à Bruxelles, Milan, Stockholm, Varsovie. Et explique qu'en "tirant le modèle de Blablacar vers de la courte distance, on tend vers les tarifs de Heetch", tout comme en tirant le modèle de Heetch vers la longue distance, pour un trajet paris-Rouen par exemple, on obtient des tarifs comparables à ceux de Blablacar, à la différence près qu'avec Heetch on obtient un tarif par voiture tandis que Blablacar propose un prix par passager.

Ensuite, Jean-Emmanuel Skovron rappelle que les conducteurs de la plateforme ne peuvent toucher plus de 6.000 euros par an. Ce qui correspond au seuil d'amortissement d'un véhicule de tourisme pour l'Ademe. Lorsque les "drivers" atteignent ce seuil, Heetch leur suggère de s'orienter vers une voie de chauffeur professionnel, assure Teddy Pellerin l'un des co-fondateurs de la jeune pousse, qui emploie aujourd'hui 50 salariés. Celui-ci insiste sur l'aspect "collaboratif" de la plateforme, qui compte 30.000 conducteurs à l'échelle internationale. Et précise que la majorité d'entre eux touche en moyenne plutôt 1.858 euros par an.

Ce sont là les deux différences avec l'application UberPop d'ailleurs, qui, elle, fonctionnait toute la journée, et sans limite de revenus pour les conducteurs, du moins au début. Par ailleurs, concernant l'intention du conducteur, l'avocat se réfère au site du ministère de l'Economie, selon lequel, effectuer un trajet "pour son propre compte" ne signifie pas de s'engager à faire ce déplacement faute de passagers.

Des trajets impliquant la banlieue, et des jeunes, le week-end

Quoi qu'il en soit, la majorité des trajets se font les jeudis, vendredis et samedis, et concernent des jeunes de moins de 25 ans, au départ ou à l'arrivée de la banlieue, qui ne seraient, selon une récente enquête, pas sortis sans l'application. Au-delà de l'aspect juridique de l'activité, il semblerait donc que la jeune pousse soit une véritable réponse à la mobilité des jeunes la nuit.

Elle recense ainsi 100.000 trajets par semaine sur lesquels elle prélève une commission de 15%, dont 3% sert à financer une assurance complémentaire couvrant tous les passagers sur chaque trajet.

Cependant le clap de fin ne serait pas loin d'après quelques spécialistes du sujet. C'est en tout cas l'avis de Maître Jonathan Bellaiche, avocat de plusieurs fédérations de taxis, qui demanderont 300.000 euros de dommages et intérêts. Les chauffeurs qu'il défend à titre individuel demanderont quant à eux 800 euros de préjudice moral. Une somme qui correspond au montant qui avait été accordé à titre de réparation dans le procès UberPop. Selon lui, "par son service, Heetch a usurpé des parts de marché en proposant des tarifs qui sont anti-concurrentiels et a fortement dévalorisé l'image de la profession auprès des jeunes. Cela a eu pour effet de dégrader les conditions de travail des taxis".

Pour les autres parties civiles, les demandes varient de l'euro symbolique à plus d'un million et demi selon les dossiers, indique-t-on du côté de Heetch.

Du côté de Strasbourg, un certain pessimisme est de mise. "Le tribunal risque de les condamner et ce serait assez regrettable d'autant que c'est une start-up française", lance ainsi, pragmatique, l'eurodéputé centriste Dominique Riquet, auteur d'un récent rapport en faveur des plateformes de transport adopté à une large majorité au Parlement européen. "Le juge dit la loi, ils pourraient donc être condamnés. L'activité serait suspendue, ça ne pourrait pas en être autrement. Le législateur n'a pas fait son travail, ce qu'il vient de rendre comme copie est à pleurer. On est au-dessous de tout", analyse-t-il, estimant que si le juge avait habilement essayé d'obtenir quelques éclaircissements pour le dossier Heetch, "ce n'est pas la loi Grandguillaume qui pourra lui en donner".

Mais pour l'heure, "rien n'est écrit", sans vouloir paraphraser un récent candidat à la présidentielle. Et pour cause. Ce sont les juges qui trancheront. L'incertitude demeure toutefois quant au jugement, qui devrait probablement être mis en délibéré pour le début de l'année prochaine, selon des sources proches du dossier. D'ici là, l'application sera-t-elle suspendue ? Le suspense touche à sa fin.

Mounia Van de Casteele

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Commentaires 2
à écrit le 08/12/2016 à 17:49
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Chauffeurs de Heetch, venez sur tindrive.com

à écrit le 08/12/2016 à 14:56
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Condamner des entrepreneurs et des startup sous prétexte qu'ils font de la concurrence, c'est tout de même un réflexe un peu archaïque. Ce n'est certainement de cette manière que l'on va permettre à nos entreprises de se positionner sur des secteurs ...

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