
Si le développement du vélo est conforme aux objectifs nationaux, soit d'atteindre 12 % de nos trajets quotidiens, cela permettrait d'économiser 21 millions de tonnes de CO2 par an à l'horizon 2030, d'après une étude réalisée par le cabinet Cways. Un enjeu de taille, alors que la France affiche la volonté d'une neutralité carbone pour 2050. Sauf qu'en 2022, la part de trajets quotidiens effectués à vélo était inférieure à 5 %. Pour rattraper ce retard, l'Etat a annoncé un plan vélo à horizon 2027 de 2 milliards d'euros avec pour objectifs principaux : rendre le vélo accessible à tous, développer les infrastructures ainsi que renforcer la place du vélo dans l'économie.
Pour ce dernier point, le gouvernement souhaite l'assemblage d'1,4 million de vélos en France d'ici 2027 et de 2 millions d'ici 2030. Un chiffre qui devrait être atteint selon Patrick Guinard, le président de l'Association de promotion et d'identification des cycles et de la mobilité active (Apic). En effet, la France assemble aujourd'hui près d' 1 million de vélos sur son territoire et « 60 % à 70 % des vélos électriques sont produits sur le territoire national », se réjouit-il.
Construction d'une filière
Les associations représentant le vélo sont mobilisées depuis janvier dernier par groupes de travail afin d'établir une filière économique. L'objectif est de définir une structure, une gouvernance et des projets pour l'ensemble des acteurs du vélo. Le document final devrait être transmis au gouvernement à la rentrée pour ensuite être rediscuté et finalisé avant fin 2023.
Les groupes de travail planchent également sur un label de certification du made in France, qui n'existe pas à l'heure actuelle et qui permettrait de valoriser la production nationale. Sur l'établissement d'une filière économique, la France est à la traîne en Europe. Le Portugal ou la Pologne sont les deux principaux pays à avoir investi massivement pour développer des usines de production. « Si vous allez dans des usines d'assemblage de vélos au Portugal, vous avez l'impression d'être dans un endroit qui produit des vaccins tellement tout est moderne, robotisé et organisé », a constaté Olivier Schneider, président de la fédération des usagers de la bicyclette (FUB).
Enfin, la France mise également beaucoup sur la promotion du vélotourisme pour développer massivement le vélo sur son territoire et ainsi augmenter les volumes d'utilisation. Car les ventes de vélos stagnent sur le territoire national ces dernières années, l'attrait de l'électrique vient tout juste combler la baisse des vélos sans assistance.
Réindustrialiser les pièces à valeur ajoutée
Les industriels n'ont cependant pas attendu le feu vert du gouvernement pour réindustrialiser une partie de la production. En effet, la pandémie a entraîné de nombreux retards et une perte de qualité pour certaines entreprises.
« Nous ne pouvions plus nous déplacer pour voir les fournisseurs et contrôler les pièces, nous avons eu des difficultés à maintenir la qualité de nos produits. Le prix du transport a aussi beaucoup augmenté, il a été multiplié par quatre pour certaines pièces à risque, comme les batteries », confirme Alexandre Lazareth, responsable du pole product management et de la certification chez Fifteen, une entreprise de services vélo en location courte et longue durée.
Toutefois, il est difficile de rapatrier toute la chaîne de valeur en France quand une grande partie a été délocalisée en Asie. Les industriels se concentrent donc sur les pièces à forte valeur ajoutée comme l'assemblage final ou encore les batteries des vélos électriques. Fifteen a ainsi annoncé la mise en service en mai 2023 d'une ligne d'assemblage qui pourra produire jusqu'à 45.000 vélos par an et susciter la création de 50 emplois dans les Hauts-de France. L'entreprise commencera également l'assemblage des batteries dans le Puy-de-Dôme et souhaite réindustrialiser l'essentiel de l'électronique en France d'ici fin 2024. « Nous voulons fabriquer 80 % à 90 % de la valeur du vélo en France », explique Alexandre Lazareth.
Relocaliser permettra de créer de la valeur économique en France et des emplois. L'objectif est aussi écologique puisqu'un vélo électrique émet 0,3 tonnes de carbone à sa fabrication et son usage contre 4,8 tonnes pour une voiture thermique rien qu'à sa production. Un écart qui peut davantage se creuser si les vélos sont produits en France.
Développer une culture industrielle forte
Cependant, reconstruire toute une industrie ne va pas être chose aisée. Tout d'abord, plusieurs composants des vélos comme la chimie des batteries ou encore les freins, les vitesses, la dynamo ou le moteur n'ont quasiment aucune industrie existante en Europe. Il faudrait donc repartir de zéro. « Nous sommes capables de le faire puisque nous avions tout ceci jusque dans les années 1980 », rassure Patrick Guinard. Encore faudra-t-il des investissements massifs pour monter rapidement en production et être compétitif. « Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir un vélo produit en France qui coûte deux fois plus cher », avertit Alexandre Lazareth.
Pour cela, il faudra augmenter les volumes et donc les ventes afin d'optimiser les coûts. Patrick Guinard propose, outre l'aide à l'achat du gouvernement, la réduction de la TVA de moitié sur les vélos, actuellement à 20 points. L'autre solution concerne la location, souvent moins coûteuse que l'achat. Sauf que, « de par les règles de la concurrence européenne, les collectivités qui proposent des vélos en location libre-service n'ont pas le droit de demander une préférence nationale », regrette Caroline Van Renterghem, directrice des affaires publiques et de la RSE chez Fifteen, qui dénonce également un manque d'aides sur les locations longue durée dans le plan vélo du gouvernement.
Enfin, l'un des freins majeurs de la mise en place d'une filière du vélo en France est le manque de formation et de main d'œuvre. « Mettre des millions pour construire une usine, c'est faisable, mais avoir une culture de l'industrie est très difficile », argue Olivier Schneider. « Aujourd'hui, les gens qui travaillent dans l'industrie du vélo sont soit issus de la filière automobile soit des passionnés, il n'y a pas de formation pour être ingénieur vélo », remarque Patrick Guinard.
L'industrie automobile justement qui, paradoxalement, bloque aussi le déploiement du vélo made in France en accaparant la main d'œuvre mais aussi la production de cellules de batteries dans ses gigafactories. « Nous ne sommes pas près de voir ces cellules sur les vélos tout de suite », regrette Alexandre Lazareth.
Sujets les + commentés