Comment Dunkerque veut devenir le champion de la neutralité carbone

Avec aujourd'hui une empreinte carbone largement au-dessus de la moyenne nationale, le bassin dunkerquois veut faire de son principal handicap un atout. Le territoire travaille d'arrache-pied à des projets de décarbonation du CO2, qu'il s'agisse d'optimiser les process, de changer d'énergie ou de stocker du CO2 en Mer du Nord. Décryptage.
(Crédits : Arcelor Mittal / Jean-Louis Burnod - Happy Day)

« La région possède une empreinte carbone de près 50% supérieure à la moyenne nationale : l'origine est atypique puisque l'industrie domine largement, contre 18% pour les transports et 15% pour l'agriculture », constate Guislain Cambier, vice-président du conseil régional à l'action climatique et au SRADDET (Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires), dans un webinair consacré au sujet. « Nous l'assumons, car c'est aussi constitutif d'une bonne part de nos emplois. Or le conseil d'Etat nous rappelle la nécessité de signer l'accord de Paris pour atteindre la neutralité en 2050  ».

Avec 3.100 salariés et 1.300 sous-traitants, le site Arcelor Mittal de Dunkerque (plus précisément Grande-Synthe) est le plus grand site dans l'Union européenne avec 6.3 millions de tonnes produites, intégrant le traitement du minerai de fer jusqu'à la production de la bobine d'acier. C'est aussi le plus gros émetteur de CO2, pesant à lui seul 10% des émissions à l'échelle nationale et même la moitié des émissions régionales.

Question de moyens

Gros dilemme donc entre les emplois et la planète... En juillet 2019, un premier Manifeste CO2 a été signé, dans le cadre d'un pacte industriel et territorial dans le cadre de Rev3, le mouvement accélérateur de la transition écologique. Le nerf de la guerre reste le financement évidemment, car accompagner les entreprises dans l'évolution de leurs modes de production nécessite un peu de moyens.

L'idée est aussi bien sûr d'éviter des délocalisations et des désindustrialisations, qui pourraient être cinq à six fois plus émettrices de CO2 tout en faisant de Dunkerque le champion de la neutralité carbone.... Sachant que l'Union européenne devrait présenter d'ici cet été un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : cette taxe appliquerait, sur les produits importés, la tarification carbone en vigueur sur les mêmes produits européens intensifs en émissions.

« L'électrification, la chaleur bas carbone sont actuellement au cœur des stratégies et du green deal européen, avec des crédits importants, nous devons être présents », martèle le conseiller régional, qui entend bien tisser des coopérations avec la Rhénanie du Nord Westfalie mais aussi la Silésie, la Lombardie, l'Ecosse, Le Pays de Galle voire même le Québec, le Minnesota et la Californie. Des journées consacrées à leur retour d'expérience sont d'ailleurs régulièrement organisées.

Territoire d'innovation

Le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, se réjouit aujourd'hui « que l'ensemble des acteurs aient compris les enjeux de la lutte contre le changement climatique », avec en ligne de mire la production d'acier à base d'hydrogène vert. C'est même un argument qui attire les faveurs de projets potentiels. Parmi les derniers exemples, Liberty Steel a signé en février dernier un protocole d'accord pour développer une importante usine de fabrication d'acier à base d'hydrogène à côté du site d'Aluminium Dunkerque. Le groupe chinois Envision a sélectionné Dunkerque dans sa short-list pour implanter sa gigafactory. Sans oublier le projet d'éolien offshore

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« Nous avons enclenché de nombreuses démarches pour devenir un écosystème industrialo-portuaire du XXIe siècle, les industriels en sont conscients" poursuit le maire de Dunkerque, à la tête de la Communauté urbaine. Il n'y a pas de débat, la décarbonation, c'est le sens de l'histoire. Le pôle d'excellence EuraEnergie travaille justement sur cette question de façon collégiale pour décarboner l'énergie et améliorer la qualité de l'air. Les 70 acteurs publics et privés travaillent à mettre en commun leurs retours d'expérience : ce Groupement d'Intérêt Public, c'est aussi des supports de financements via le TIGA (Territoire d'innovation de grande ambition) ».

Le territoire dunkerquois a en effet été choisi parmi les 24 lauréats de l'action TIGA dans le cadre du Grand Plan d'Investissement visant à développer à grande échelle des innovations. Avec une subvention prévue de 9.9 millions d'euros et un potentiel d'investissement prévu par l'Etat de 27.6 millions.

Atteindre les objectifs

Reste que le territoire est aujourd'hui encore loin des objectifs à atteindre. « Même si nous travaillons en synergie avec d'autres projets européens, même en optimisant ou en réutilisant le CO2, une étude de l'ADEME (l'Agence de la transition écologique) financée par la CCI est très éloquente : elle conclut que 60% du CO2 devront quand même être stockés en mer du Nord », souligne Valérie Cotinaut, vice-présidente de la CCI Hauts-de-France et travaillant par ailleurs au Centre Nucléaire de Production d'Électricité de Gravelines.

Dunkerque a déjà pour partenaire le CO2 Value Europe, qui permet de capitaliser sur tous les processus industriels établis et innovants qui visent à capter le CO2 (soit à partir de sources industrielles ou directement dans l'air) et de le transformer en produits à valeur ajoutée comme les carburants synthétiques, les produits chimiques ou les matériaux de construction.

En parallèle, la question de l'enfouissement en Norvège est clairement envisagée, sachant que pour le cas de Dunkerque, le transport des émissions de CO2 vers le site de Northern Lights nécessitera un parcours de plus de 1.500 kilomètres. Soit par bateau ou par canalisation, sachant que le transport représente un certain coût (respectivement entre 77 euros et 107 euros la tonne). Une autre solution de stockage « onshore » (sur terre) est avancée, dans des zones géologiques favorables en France, avec un prix évalué entre 90 à 130 euros la tonne mais qui nécessite d'assurer la sécurité et la surveillance des sites.

Recyclage et économie circulaire

Pionnière du recyclage de la « chaleur fatale », qui reste à l'issue d'une production industrielle, la région mène deux projets d'« autoroutes de la chaleur », l'une dans la métropole lilloise avec son centre d'incinération des déchets et l'autre à Dunkerque, où les fourneaux d'Arcelor Mittal sont à l'origine, dès 1982, du plus grand réseau de France de chaleur industrielle fatale. Le réseau s'étend vers la commune de Saint-Pol-sur-Mer et relie le site industriel Daudruy, qui raffine des huiles végétales et animales et le centre de valorisation énergétique des déchets.

 Dominique Pair, directeur du site d'Arcelor Mittal Dunkerque, en charge des relations institutionnelles au conseil régional, rappelle que le site sidérurgique a mis en place un ambitieux programme pour produire de l'acier vert.

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« Nous produisons les meilleurs résultats mondiaux en terme de kilos de CO2 produit par kilo d'acier : nous émettons trente fois moins que CO2 que l'acier chinois ».  Arcelor est même devenu actionnaire d'Ecocem, qui produit du ciment vert à partir des co-produits issus des hauts-fourneaux. « Nous sommes dans le stade de l'action, qui va nous permettre de faire un premier pas, de réduire de 33% dès 2030 et atteindre neutralité en 2050 », conclut-il.

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Commentaire 1
à écrit le 28/05/2021 à 8:06
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les ' metiers d'avenir' laissent perplexe! avant on avait un agriculteur qui faisait pousser des haricots pour nourrir des gens, ou un mineur qui sortait du fer pour fabriquer des voitures les entreprises d'avenir, c'est des entreprises qui creusen...

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