LA TRIBUNE - Neuf ans après la catastrophe de Fukushima, au Japon, le nucléaire est-il en crise ?
Le secteur reste dans une situation difficile. L'accident de Fukushima a accentué le problème d'acceptabilité et entraîné de nouvelles normes de sécurité et des coûts additionnels, qui rendent les nouveaux projets nucléaires de plus en plus difficiles à mener. Dans les pays développés, ils accumulent des retards et des surcoûts. Pourtant, leurs centrales nucléaires sont relativement âgée, avec une moyenne qui fluctue autour des quarante ans. Si aucun effort n'est fait pour allonger leur durée de vie et pour construire de nouveaux réacteurs, ces pays perdront environ un quart de leur capacité nucléaire d'ici 2025. Et jusqu'à deux tiers en 2040. Aujourd'hui, c'est la Chine qui bâtit l'essentiel des nouvelles centrales. Son industrie a acquis la capacité de mener les projets dans les temps et sans dépasser les budgets. Dans une moindre mesure, l'Inde, la Russie et quelques pays du Moyen-Orient ajoutent des capacités. Les équilibres sont donc en train de changer.
Dans un rapport publié l'an dernier, l'AIE prévenait que le nucléaire était primordial pour lutter contre le réchauffement climatique. Pourquoi ?
Le nucléaire représente 10% de la production d'électricité dans le monde. C'est la deuxième source de production bas carbone derrière l'hydraulique. Certes, les énergies renouvelables progressent, mais leur nature est différente: elles sont intermittentes. Il est nécessaire de trouver des moyens de compenser les fluctuations de production. Aujourd'hui, ce sont les centrales à charbon ou à gaz qui peuvent immédiatement remplacer le nucléaire. Cela a été le cas en 2012 au Japon, où le gaz a pris le relais des centrales. En Allemagne, la décision de sortir du nucléaire a été suivie par une hausse de la production des centrales à charbon. Pendant quelques années, les émissions de CO2 ont donc augmenté.
Demain, de nouvelles technologies, comme les batteries et l'hydrogène, pourront stocker l'électricité produite par des énergies renouvelables, permettant de couvrir les variations saisonnières de la demande. Mais cela va prendre du temps: il faudra des années par exemple, pour que l'hydrogène soit compétitif. En attendant, c'est le gaz ou le charbon qui apporteront la flexibilité nécessaire. Par ailleurs, pour remplacer l'ensemble du nucléaire par de l'éolien et du solaire, il faudrait d'importantes capacités supplémentaires. Or, n'oublions pas que les énergies renouvelables rencontrent leurs propres obstacles techniques et d'acceptabilité sociale. Sans compter que cela renforcerait les besoins de flexibilité de production.
En Europe, les interconnexions entre les différents réseaux nationaux ne permettraient-elles pas d'apporter une réponse à ce problème ?
Le marché européen de l'électricité est très bien connecté, malgré quelques limites, notamment entre la France et l'Espagne. Mais si toute l'Europe passe seulement à l'éolien et au solaire, perdant une partie de la diversité de ses moyens de production de l'électricité, les bénéfices de ces interconnexions seront moins importants. Car il n'y a aucune garantie qu'il y ait du vent en Allemagne s'il n'y a pas de soleil en Espagne. D'autres moyens seraient nécessaires pour assurer la flexibilité du système, certainement du gaz.
Mais est-il toujours économiquement pertinent de construire de nouvelles centrales ?
C'est à chaque pays de le décider. Mais les coûts ne doivent pas être les seuls critères à prendre en considération. Il faut également tenir compte des émissions de gaz à effet de serre et de la stabilité du système électrique. Par ailleurs, il ne faut pas oublier l'ensemble des coûts associés à un changements radicals des moyens de production. En France, par exemple, où le nucléaire représente environ trois quart de la production, le réseau a été bâti autour de quelques centrales qui injectent de l'électricité à très grande échelle et de manière pilotée. Sortir du nucléaire implique une adaptation de ces systèmes de transport et de distribution. Cela représenterait d'importants investissements en plus de ceux déjà nécessaires pour construire des infrastructures d'énergies renouvelables. Enfin, si la construction de nouvelles centrales peut être jugée trop coûteuse, l'extension de la durée de vie des centrales actuelles reste, elle, bon marché. A condition bien sûr que les exigences de sécurité maximale soient respectées, nous considérons donc qu'il s'agit d'une bonne option pour continuer à produire de l'électricité décarbonée.
L'AIE prévoit une hausse d'au moins 60% de la demande mondiale d'électricité d'ici à 2040. Peut-on y répondre sans nucléaire ?
Chaque pays fera ses choix. Bien entendu, plus la demande d'électricité augmentera, plus des sources de production bas carbone seront nécessaires pour contrôler les émissions de CO2. Et plus, il deviendra difficile de remplacer les énergies fossiles. Il faut souligner que l'électrification des transports, du chauffage et de l'industrie ne contribue pas à la réduction des émissions car toute l'électricité n'est pas produite de manière décarbonée. Nous espérons que la hausse de la demande ne sera pas trop drastique, grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique. Mais, parallèlement, le changement climatique devrait entraîner une hausse de la consommation. En Asie, par exemple, il y a une demande massive pour les systèmes d'air climatisé. Après les canicules de l'été passé, ce marché devrait aussi se développer en Europe.
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