Arbitre de la vérité

HOMO NUMERICUS. Les réseaux sociaux ne distinguent pas ce qui relève de l'information de ce qui est à classer parmi les infox, voire de la propagande pure et simple. D'où cette question : qui doit être l'arbitre de la vérité ? Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
L'enjeu est là : autant la responsabilités des médias est claire sur ce qu'ils diffusent, autant celle des plateformes numériques s'avère floue entre ce qui relève de l'information, de l'expression personnelle, voire de la désinformation avérée.
L'enjeu est là : autant la responsabilités des médias est claire sur ce qu'ils diffusent, autant celle des plateformes numériques s'avère floue entre ce qui relève de l'information, de l'expression personnelle, voire de la désinformation avérée. (Crédits : Gerd Altmann / via Pixabay)

Contrairement à une idée répandue, la révolution numérique ne fait que commencer. Bien sûr, et comme si nous avions eu sous les yeux un miroir grossissant, le confinement de ces derniers mois aura démontré que la digitalisation de nos vies (explosion du e-commerce, télétravail à grande échelle rendu possible grâce à internet et à ses outils, réseaux sociaux servant à recréer un semblant de lien, divertissements et jeux en ligne, télémédecine et outils de traçage du virus...) est une évidence au point de relancer le lancinant débat sur l'indispensable régulation des plateformes numériques (GAFAM en tête) accusées d'imposer leurs choix technologiques, sans oublier d'accumuler au passage les données personnelles de leurs utilisateurs.

Mais il se pourrait bien que, dans les prochains mois, ce débat se déplace vers une autre question, celle-là nettement plus politique et éthique : qui, sur les réseaux sociaux, peut s'ériger en « arbitre de la vérité » ? Les termes du débat sont posés : comment, sur les réseaux sociaux, préserver la liberté d'expression, et celle d'informer, en évitant que la généralisation des infox soit le prétexte à l'apparition de « commissaires politiques » chargés de dire ce qui est vrai. L'actualité se charge de nous montrer que cette question est loin d'être théorique. Résumons les faits.

Executive Order

Twitter, réseau favori de Donald Trump et de ses presque 82 millions d'abonnés, aurait-il commis un crime de lèse-majesté en signalant et en modérant deux messages présidentiels, l'un pour mettre en garde sur la véracité de son propos, l'autre pour signaler qu'il « glorifiait la violence » ? Si, rédigés par un simple particulier, ces tweets auraient tout simplement été supprimés, cette histoire prend une tournure particulière puisqu'ils émanent du président des États-Unis en personne. En représailles, ce dernier ayant signé un décret (Executive Order[1]) portant sur la « prévention de la censure en ligne[2] » qui, s'il était mis à exécution jusqu'au bout de sa logique, remettrait en cause le statut d'hébergeur des plateformes internet afin de les rendre responsables des contenus qu'elles postent. En clair, là où elles sont aujourd'hui considérées comme de simples «tuyaux », elles pourraient devenir pénalement responsables de tout ce qui se publie sur leurs pages. Un véritable tournant pour ne pas dire une révolution.

Outre le débat provoqué par ce décret à quelques mois d'une élection présidentielle particulièrement disputée, ce fut comme si la boîte de Pandore de la responsabilité des contenus sur les réseaux sociaux avait été ouverte. Une issue que souhaite manifestement éviter le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, qui l'a fait savoir sur le plateau de la chaine conservatrice Fox News[3] en réaffirmant que des sociétés privées ne devaient pas s'ériger en « arbitres de la vérité », prenant ainsi le contrepied de Jack Dorsey, fondateur de Twitter. Même si la grogne monte dans les rangs de Facebook où une douzaine d'employés ont publiquement critiqué les propos de Mark Zuckerberg[4], cette controverse illustre la question du rôle des réseaux sociaux et de ce qu'ils publient.

Équilibre entre liberté et responsabilité

Lorsque l'on sait qu'au cours de ce dernier mois, sur près de 8 milliards de Terriens, 4,5 milliards se sont connectés à internet dont 3,8 milliards sur au moins un réseau social, on mesure la place que prennent ces plateformes dans le débat public avec, au centre, les questions de la liberté d'expression et de la liberté d'informer, deux choses évidemment différentes mais qui pourtant se retrouvent sans nuance sur les grands réseaux sociaux. L'enjeu est là : autant la responsabilités des médias est claire sur ce qu'ils diffusent, autant celle des plateformes numériques s'avère floue entre ce qui relève de l'information, de l'expression personnelle, voire de la désinformation avérée[5]. Un tel phénomène évidemment amplifié par les algorithmes de ces sites qui orientent les contenus que nous sommes enclins à lire.

Alors que les démocraties font face à cette concurrence des réseaux sociaux qui tendent à saper leurs fondements, les futurs enjeux numériques tourneront de plus en plus autour de ces notions de liberté et d'expression. Dans un monde cerné par les fake news et les émotions qui altèrent et parasitent le réel, il va être de plus en plus difficile de désigner ceux qui se constitueront en « arbitre de la vérité ». S'agira-t-il des plateformes numériques elles-mêmes, à l'instar de Twitter et de la modération des messages du président des Etats-Unis ou bien d'autres institutions officielles (sous l'égide des Etats) suffisamment légitimes pour s'imposer sur ce sujet sensible ? Les enjeux sont considérables alors que les solutions s'avèrent difficiles à mettre en œuvre.

Pour l'heure, impossible de le savoir sauf à remarquer, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, que ce débat salutaire aura été déclenché par deux communication présidentielles postées sur une plateforme qui impose que chaque message ne dépasse pas 280 signes, par un de plus.

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NOTES

[1] https://twitter.com/WhiteHouse/status/1266104188112601089

[2] https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/executive-order-preventing-online-censorship/

[3] https://www.foxnews.com/media/facebook-mark-zuckerberg-twitter-fact-checking-trump

[4] https://www.cnet.com/news/facebook-employees-stage-rare-protest-against-zuckerbergs-response-to-trump/

[5] https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/vous-avez-aime-les-infox-vous-allez-adorer-les-deepfake-830610.html

Philippe Boyer

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Commentaires 7
à écrit le 12/06/2020 à 10:10
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Tout le problème tient dans le fait que "l'information" prend ses sources sur les réseaux sociaux et amplifie la diffusion surtout quand elles sont fausses! Sinon le problème ne se poserait pas!

à écrit le 08/06/2020 à 10:39
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Tout le problème tient dans le fait que "l'information" prend ses sources sur les réseaux sociaux et amplifie la diffusion surtout quand elles sont fausses! Sinon le problème ne se poserait pas!

à écrit le 06/06/2020 à 13:55
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Ce que je trouve aberrant en «  ligne «  aux niveaux des communications et informations ( médias ou autres ) 1) personne n’est à l’abris d’erreurs ou d’un «  mot » ou «  texto » irréfléchi ( l’erreur est humain , personne n’est parfait ) Bien sûr , j...

à écrit le 05/06/2020 à 17:25
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Tout le problème tient dans le fait que "l'information" prend ses sources sur les réseaux sociaux et amplifie la diffusion surtout quand elles sont fausses! Sinon le problème ne se poserait pas!

à écrit le 05/06/2020 à 9:49
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Tout le problème tient dans le fait que "l'information" prend ses sources sur les réseaux sociaux et amplifie la diffusion surtout quand elles sont fausses! Sinon le problème ne se poserait pas!

à écrit le 05/06/2020 à 8:36
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Il vaut mieux éduquer les gens à savoir identifier les bonnes informations en les recoupant plutôt que de nous sortir un énième gardien du temple, du grand livre de la vérité que personen n'a encore trouvé, qui va comme les autres s'acharner à défend...

à écrit le 05/06/2020 à 7:15
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disons plutot que c'est les medias qui reprennent les petites coleres vraies ou fausses de resosocio...... on y verra toujours un noir qui meurt sous les coups d'un blanc, ce qui est intolerable et raciste, mais jamais un blanc qui meurt sous les co...

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