Christine Lagarde a-t-elle déjà perdu la guerre contre l'inflation ?

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Accrochez vos ceintures ! C'est bien parti pour la remontée des taux d'intérêt. Après la Fed, la BCE se prépare à taper, avec retard, sur une inflation dont les banques centrales ne savent pas si elles parviendront à en garder le contrôle. Montagnes russes assurées pour les marchés financiers.
Philippe Mabille
(Crédits : KEVIN LAMARQUE)

Le problème avec la guerre, c'est qu'on sait quand ça commence - le 24 février pour l'invasion de l'Ukraine - mais jamais quand et comment cela finit. Personne ne sait dire quand Poutine aura atteint les objectifs de sa désormais fameuse « opération militaire spéciale » en Ukraine. Ni d'ailleurs qui de la Russie ou de l'Ukraine gagnera cette guerre. Et donc impossible de prédire quand l'impact à double tranchant des sanctions notamment l'embargo sur le pétrole (peut-être bientôt sur le gaz) russe cessera de faire monter les prix de l'énergie. Selon Robert Jules, des prévisions à plus de 150 dollars le baril sont en train de faire leur apparition, un scénario catastrophe pour les économies occidentales.

Pour l'inflation, c'est un peu la même chose. On a beau tenter d'en prédire le pic, celui-ci a de fortes probabilités d'être reporté dans le temps parce que des éléments imprévus en allongent l'horizon. Ainsi, après l'avoir qualifiée de « temporaire », puis de « danger majeur » pour l'économie, les banques centrales sont peut-être en train de perdre le contrôle de l'inflation, faute de savoir ou de pouvoir agir avec suffisamment de force et à temps. Taper trop vite et trop fort, c'est risquer de faire plonger l'économie en récession ; mais le faire avec retard, ou trop mollement, peut faire perdre le contrôle dans une spirale prix-salaires sans fin. Tel est le dilemme dans lequel nous allons nous enfermer.

À défaut de pouvoir bloquer les prix, l'arme anti-inflation par excellence, c'est le resserrement des politiques monétaires. La Réserve fédérale américaine (Fed), qui a déjà relevé de 0,25 point en mars puis de 0,50 point en mai son principal taux directeur, programme deux hausses de 0,50 point en juin et juillet. Malgré cela, la hausse des prix a accéléré en mai aux Etats-Unis, et rien ne dit que l'action de la Fed sera suffisante, même si commence à poindre la crainte d'une récession américaine.

En Europe, Christine Lagarde, la présidente française de la BCE, a enfin décidé de donner un calendrier pour mettre fin au crédit facile et quasi gratuit. Outre l'arrêt de sa politique de rachats d'actifs, le fameux « Quantitative Easing » mis en place lors de la crise financière de 2008 et amplifié à l'occasion de celles des dettes souveraines, qui a fait gonfler son bilan de 1.200 à près de 9.000 milliards d'euros, l'institution monétaire européenne a durci le ton et programmé une série de hausse des taux : 0,25 point en juillet, pour la première fois depuis onze ans, un autre tour de vis en septembre qui pourrait atteindre le double en fonction du niveau de l'inflation, puis, probablement, une hausse des taux régulière jusqu'à la fin du premier trimestre de 2023 lorsque serait atteint, selon ses prévisions, le fameux pic d'inflation.

Cela suffira-t-il ou bien la BCE est-elle déjà en retard, sachant que l'Europe est beaucoup plus exposée à une inflation par la hausse des prix de l'énergie en raison de sa dépendance plus forte, en particulier en Allemagne, aux hydrocarbures russes ? Coline Vazquez fait le point en six questions clefs.

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que ce tournant dans les politiques monétaires change la donne pour l'économie mondiale et les marchés financiers. Pour l'économie française, la hausse des taux intervient néanmoins comme une assurance anti-dérive budgétaire, sauf à organiser un "Frexit" plus ou moins implicite, ce que n'exclut pas Jean-Luc Mélenchon prêt à un bras de fer avec l'Europe pour imposer son plan de relance à 250 milliards d'euros. Mais une victoire de la coalition de la gauche unie autour de la Nupes aux Législatives est improbable. La hausse des taux de la BCE va réduire les marges de manœuvre d'Emmanuel Macron pour soutenir le pouvoir d'achat et risque de porter un coup à la promesse de retour au plein emploi, une promesse qui apparaît de plus en plus comme un mirage, souligne Fanny Guinochet.

L'été sera-t-il meurtrier sur les marchés ? s'interroge Eric Benhamou. Pour les marchés financiers, la hausse des taux de la BCE est aussi un coup dur avec une forte chute des bourses européennes et du CAC 40 et surtout la crainte d'un krach obligataire qui pourrait par contrecoup affecter l'épargne investie dans l'assurance-vie. Face au risque d'une rapide remontée des taux, les épargnants pourraient être tentés de faire des arbitrages en faveur du Livret A dont la rémunération pourrait être relevée vers les 2% en août. Des experts commencent déjà à réclamer au gouvernement des mesures conservatoires pour éviter un blocage des fonds en euros comme le prévoit la loi Sapin 2.

Et le pire est peut-être à venir avec le risque de coupures d'électricité, voire de gaz cet hiver. Contrairement à ce qu'affirme Emmanuel Macron, qui dit que cela n'arrivera pas, de nombreux experts de l'énergie s'attendent à de possibles coupures organisées auprès des industriels, et même auprès des particuliers, ce qui n'est pas arrivé depuis le début des années 1950, écrit Juliette Raynal.

Alors que l'OCDE et le FMI noircissent leurs prévisions pour l'économie mondiale, les économistes de l'OFCE ont révisé en baisse à 2,4% contre 2,7% la croissance attendue en France cette année, explique Grégoire Normand. Le plongeon brutal de la consommation au premier trimestre, la croissance économique moins forte que prévu en 2021 (6,8% au lieu de 7%) et l'inflation élevée ont amené les économistes à assombrir leurs projections.

Le virage va être assez difficile à négocier et il est plus que temps que la France sorte de son interminable séquence électorale pour se mettre à agir. D'après un grand industriel allemand, on en est déjà outre-Rhin à prévoir un plan de résilience « What if » au cas où la guerre en Ukraine s'aggraverait et conduirait à un nouveau durcissement des sanctions avec des coupures de gaz. Un plan secret, mais qui prévoit quelles usines seront mises à l'arrêt, avec chômage partiel, ou maintenues en priorité.

Cette sombre perspective intervient alors qu'un nouveau choc va frapper le secteur automobile avec la bascule votée au Parlement européen vers le 100% électrique en 2035. D'après Nabil Bourassi, les constructeurs auto ont cependant largement anticipé cette échéance et comptent basculer à l'ère des batteries bien avant cette échéance. Ils craignent simplement que les consommateurs ne soient pas au rendez-vous...

La semaine a aussi été marquée par le rejet de la réforme du marché européen du carbone qui prévoit de mettre en place un mécanisme de compensation aux frontières en raison d'une volonté des Verts de durcir un dispositif déjà très controversé et qui risque de peser, au pire moment, sur la compétitivité des entreprises européennes. Entre la croissance et le climat, il va bientôt falloir choisir.

Retrouvez aussi le replay de la neuvième édition du Paris Air Forum, organisé par La Tribune à la Maison de la Mutualité le 7 juin.

Et nos articles avec un entretien exclusif avec Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, selon qui, si on additionne nos investissements prévus dans la défense, l'Europe sera devant la Chine. Guillaume Faury, directeur général d'Airbus et président du Gifas fait également le point au Paris Air Forum sur les perspectives de l'industrie aéronautique et de défense au temps de la guerre en Ukraine. L'aérien peut-il se verdir sans décroître ? Comment sortir du kérosène ? Patrick Pouyanné, le président de TotalEnergies, a débattu avec Augustin de Romanet, le président d'ADP, sur le développement des carburants durables de l'aviation (les SAF).

Philippe Mabille

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Commentaires 13
à écrit le 13/06/2022 à 0:05
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Bof!...on s'en remettra.Y a t-il eu au delà de 3/4 ans une stabilité économique, financière? NON. Cette période d'inflation n'est qu'un épiphénomène de plus dans la marche du Monde.

à écrit le 11/06/2022 à 20:56
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Pendants 30 ans, les salaires augmentés peux ou pas du tout dans de nombreux métiers, pas de croissance, beaucoup de chômage, et maintenant que le rapport employeur emplois tourne à l avantage des salariés et enfin on peut des augmentations de salai...

le 13/06/2022 à 7:36
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l'europe a la croissance mais la faillite d'un pays comme la france est bien connu c'est la depense social hors de france qui coute bien plus cher que ne rapportera la reforme des retraites et que le pouvoir nie et ne fera rien pour rectifier ce...

à écrit le 11/06/2022 à 20:55
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Pendants 30 ans, les salaires augmentés peux ou pas du tout dans de nombreux métiers, pas de croissance, beaucoup de chômage, et maintenant que le rapport employeur emplois tourne à l avantage des salariés et enfin on peut des augmentations de salai...

à écrit le 11/06/2022 à 18:29
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Quand le Krach obligataire (imminent, voire en cours) aura eu lieu, obligeant au recours à la loi Sapin 2 (blocage des ass. vie en Euros), il faudra penser à traduire cette personne en justice ; ça ne remboursera certes pas les épargnants, mais ça pe...

à écrit le 11/06/2022 à 17:05
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Tout comme la FED, qui a subit des pressions du gouvernement américain pour ne pas remonter ses taux à temps, la BCE a subit des pressions des responsables européens pour ne pas remonter les siens non plus. Christine Lagarde n'a fait que suivre les i...

à écrit le 11/06/2022 à 16:29
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Se gouvernement et sur tous la premier ministre et ex ministre de l emplois et de l insertion devrait bien connaitre le marcher de l emplois et le problème de l inflation qui aura des conséquence sur l emplois et le pouvoir d achats .mes elle co...

à écrit le 11/06/2022 à 11:45
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Elles est un peu derrière la courbe d'étau, elle lag Lagarde... L'économie est un golem qui se régule de lui-même... plus violemment c'est tout. Tous les spécialistes de la spécialité s'accordent à penser que cette inflation est le dernier signal...

à écrit le 11/06/2022 à 10:51
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Pour parodier un sketch sur elle d il y a 15 ans: «  la croissance recule mais nous avançons… » ou «  j invite les consommateurs français à comparer les étiquettes et faire jouer la concurrence.. » quelle concurrence ?quand il y a trust / entente su...

à écrit le 11/06/2022 à 10:49
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Pour parodier un sketch sur elle d il y a 15 ans: «  la croissance recule mais nous avançons… » ou «  j invite les consommateurs français à comparer les étiquettes et faire jouer la concurrence.. » quelle concurrence ?quand il y a trust / entente su...

à écrit le 11/06/2022 à 10:47
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Pour parodier un sketch sur elle d il y a 15 ans: «  la croissance recule mais nous avançons… » ou «  j invite les consommateurs français à comparer les étiquettes et faire jouer la concurrence.. » quelle concurrence qu’a d il y a trust / entente su...

à écrit le 11/06/2022 à 10:31
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N'est pas Lagarde qu'a perdu le bataille. Elle n'est rien plus un marionette. Ceux qu'entre dans les histoires de l'UE comme les grand loosers sont Macron (et son processeurs) avec ses copains de pays de sud de l'UE.

à écrit le 11/06/2022 à 8:35
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Christine Lagarde, c’est Grouchy à Waterloo..

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