Macron en a rêvé, Pouyanné le fait : Total réinvente la TIPP flottante !

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Et si les superprofits de Total contribuaient à empêcher le retour des Gilets jaunes ? Le PDG de la major française peut se payer le luxe d'une nouvelle ristourne sur les carburants, notamment le diesel. Mais cela dispensera pas l'entreprise d'utiliser ses milliards pour accélérer sa transition du pétrole en direction des énergies renouvelables...
Philippe Mabille
(Crédits : Eric Gaillard)

Trois journées de mobilisation réussies, un samedi de manif' en famille... La « rue » va continuer de défier le pouvoir en plein match Irlande-France pour tenter de contraindre Emmanuel Macron de retirer l'article 7 de la loi sur la réforme des retraites en cours d'examen, celui qui porte de 62 à 64 ans l'âge légal de départ à plein droit. Ce vendredi, les députés ont pourtant déjà voté la fin progressive des régimes spéciaux de retraites, soit, quand même, exactement ce qu'avait proposé Alain Juppé en 1995 en provoquant les grèves massives de l'hiver de la même année. Comme l'avait dit feu Michel Rocard après la publication du livre blanc de 1991 sur les retraites, il a fallu s'y prendre à plusieurs fois et faire tomber plusieurs gouvernement pour parvenir à mettre fin aux privilèges en matière de retraite. De ce point de vue, ce vendredi 10 février est un peu une nouvelle « nuit du 4 août », toutes choses égales par ailleurs...

Pourtant, force est de constater que le mouvement social de cet hiver 2023 ne ressemble en rien à celui de 1995 où la France avait vu l'ensemble de ses services publics s'arrêter et bloquer quasiment tout le pays. Rien de tel pour le moment : on manifeste et on rentre bien sagement chez soi. Rien de commun non plus avec la crise des Gilets Jaunes de 2018-2019 : celle-ci, déclenchée par une fureur de « la France d'en bas » contre la hausse du coût de la vie, aurait pourtant autant d'ingrédients pour se manifester aujourd'hui : malgré le gel de la taxe carbone, le prix des carburants à la pompe est plus élevé qu'il y a deux ans. La France « qui fume des clopes et qui roule au diesel » selon l'expression élégante d'un ancien ministre macroniste est peut-être partie prenante du refus de la réforme mais pour l'heure elle n'a pas réinvesti les rond-points.

Conscient que ses superprofits, annoncés cette semaine, choquent l'opinion, Patrick Pouyanné, le PDG de Total, prend les devants et dit dans le Parisien envisager « de nouvelles actions ciblées de rabais à la pompe » si le litre de diesel repasse au-dessus de deux euros. Une annonce que le gouvernement « accueille favorablement », et pour cause. Bercy doit être bien content de voir Total proposer de lui-même une sorte de « TIPP flottante », à l'image de celle expérimentée, sans grand succès cependant par le gouvernement de Lionel Jospin ... « Plutôt que de partir dans un débat autour d'une taxe exceptionnelle sur les profits, nous préférons prendre des mesures de pouvoir d'achat que les Français ressentent directement », souligne Patrick Pouyanné. Une mesure habile : Total en a plus que les moyens, avec ces profits inespérés et quelle belle opération marketing. Plus que jamais, l'automobiliste n'ira pas chez Total par hasard.

Inutile de rêver cependant : ce contre-feu savamment orchestré est un bon coup de com', mais compenser par une telle ristourne la hausse du prix du diesel, associée à l'embargo russe, n'aura qu'un temps. Et le débat sur les superprofits et les superdividendes des entreprises multinationales ne va pas s'éteindre avec quelques centimes à la pompe. Aux Etats-Unis, le président démocrate Joe Biden, qui n'est pas un gauchiste, a dénoncé dans son discours sur l'état de l'Union les méga-profits des groupes pétroliers. A défaut d'une super-taxe, qui ne ferait pas grand mal à Total qui réalise l'essentiel de ses profits hors de France, la question de la fiscalité des rachats d'actions, dont TotalEnergies est devenu un champion du monde, commence à titiller certains députés Renaissance. Un tour de vis pour limiter cette pratique généreuse envers les actionnaires serait très sérieusement à l'étude. Pour rappel, en 2022, TotalEnergies a redistribué à ses actionnaires le montant record de 13,3 milliards d'euros, contre 7,1 milliards un an plus tôt. Si le montant du dividende est stable d'une année sur l'autre, c'est son programme de rachat d'actions de 6,4 milliards qui a frappé les esprits. A croire qu'ils ne savent plus quoi faire de leur argent... sinon récompenser les fidèles retraités américains qui sont avec le truchement des fonds de pension les premiers actionnaires du pétrolier français.

Quitte à prendre les devants, TotalEnergies serait sans doute bien inspiré d'accélérer ses investissements dans les énergies renouvelables : Patrick Pouyanné l'avait dit dans La Tribune : « c'est l'argent du pétrole qui finance la transition écologique ». Aux actes, donc ! La major française a les moyens de faire des pas de géant. Le PDG de TotalEnergies le sait : avec les transitions en cours dans le monde de la finance, c'est une course de vitesse qui est engagée entre le monde ancien du carbone et le nouveau monde de l'électricité. Avec la révolution ESG, le groupe pétrolier risque de voir se tarir rapidement ses financements. Sous la pression des ONG qui l'ont attaqué pour manquement à son devoir de vigilance, BNP Paribas annonce vouloir réduire par cinq ses investissements dans l'extraction et la production de pétrole et de gaz. TotalEnergies a l'air puissant avec ses 36 milliards d'euros de profits opérationnels en 2022 (19 milliards de bénéfice net du retrait de Russie). Mais en réalité, c'est un géant aux pieds d'argile dont la survie même dépendra de sa capacité à réussir sa transition énergétique. Le chemin est encore long et sera parsemé d'épines.

Il n'y a pas que Total qui soit sous pression. A l'heure de la publication d'excellents résultats pour Vinci, le bras de fer s'engage déjà avec l'Etat sur la hausse des tarifs des autoroutes, sur fond de menace à peine voilée de réduction de la durée des concessions et de fuites organisées d'un rapport de l'inspection des finances. Dans un long entretien accordé à La Tribune, Xavier Huillard, le patron de Vinci, répond sur ce point tout en se félicitant du relais de croissance que va apporter au groupe le plan de relance de Joe Biden, le fameux Inflation Reduction Act et ses 370 milliards de dollars de subventions.

Le défi posé par l'IRA oblige l'Europe à réagir. Au sommet de Bruxelles, les 27 se sont enfin accordés pour lever temporairement et de façon ciblée le verrou des aides d'Etat et des règles de concurrence. Comme d'habitude, l'Europe peine à être à la hauteur, alors qu'elle joue sur la décarbonation de son économie la survie même de son industrie.

Sur la réforme des retraites, les syndicats ne se font guère d'illusion : sauf à entrer dans un scénario de généralisation de la grève, très improbable, les 64 ans finiront par passer au Parlement. On ne voit pas ce qui ferait reculer Emmanuel Macron sur ce qui est devenu le marqueur de son deuxième quinquennat. Mais le prix de ce passage en force reste inconnu. Elisabeth Borne a déjà cédé du terrain sur les carrières longues et le patronat, à la veille du début de la campagne au Medef, est très inquiet de l'attitude de l'aile gauche de la macronie, qui pourrait imposer des sanctions si les entreprises ne jouent pas le jeu sur les seniors.

Autre inconnue : quid des confortables réserves de l'Agirc-Arrco, la retraite complémentaire des cadres. Bercy lorgne avidement sur cette manne, mais les partenaires sociaux, Medef compris, pourraient prendre l'initiative d'une renégociation du dernier accord afin de tirer les conséquences du report de l'âge de départ sur les mécanismes de décote et de surcote. Car en réalité, pour les cadres, l'âge de départ à taux plein passe à 65 ans. La même question se pose aussi pour l'assurance-chômage : afin de dissuader les entreprises d'en jouer comme un instrument de pré retraite déguisé, le débat commence à monter pour décaler de 57 à 61 ans l'âge auquel les droits sont prolongés à trois ans... Etre un cadre senior et au chômage, c'est de plus en plus la double peine.

En changeant l'horizon du départ, Emmanuel Macron est en train de changer toute la matrice de la protection sociale. Et ce n'est sans doute qu'un début : « Si les recherches sur la lutte contre le vieillissement tiennent leurs promesses, en 2070, l'âge de départ à la retraite pourrait être porté à 72 ans », pronostique dans une récente note le cabinet d'études Astérès. Celui-ci s'appuie sur les dernières recherches scientifiques qui anticipent un allongement de l'espérance de vie, jusqu'à +41%, suite à des tests menés sur des animaux en laboratoires. Dans ce scénario qui semble inspiré d'un film de science-fiction, il faudrait ainsi travailler jusqu'à 72 ans « pour que le ratio cotisants / retraités soit égal à celui anticipé par le scénario de référence », soit 1,3 pour 1, le ratio qui aurait été obtenu dans le scénario central de l'Insee avec un départ à la retraite à 64 ans !

Philippe Mabille

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Commentaires 10
à écrit le 13/02/2023 à 14:03
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@CB je ne vois pas bien le rapport entre le sucre et Total mais bof. Je ne me suis jamais gavé de sucre , je suis juste gavé d'actions de Total après 25 ans dans une filiale du groupe,avec le dividende actuel la vie est belle.

à écrit le 12/02/2023 à 14:26
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Total comme Elf autrefois appuyé par la géopolitique Française et son armée au frais du contribuable, facile de faire des bénéfices avec l'appuie de l'état, idem en Russie et l'équipe de Poutine.

à écrit le 12/02/2023 à 4:50
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de là mon réflexe : abo Gaz passé de TOTAL à ENGIE et abo Électricité reste chez TOTAL. Le monde à l'envers.

à écrit le 11/02/2023 à 17:46
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Une vraie option/solution serait de rendre le coût du pétrole cher en le taxant massivement... ça aurait comme avantage de lisser les prix et de transformer massivement les transports de développer d'autres sociétés... Vaste programme mais qui je pen...

à écrit le 11/02/2023 à 13:11
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Le dirigeant de Total a compris le message le pétrole c'est mal . Donc il va devenir producteur d'électricité et hydrogène uniquement. Dans 10 ans la Station Service aura disparu du paysage . Et seules les classes aisées ayant les moyens d'acheter...

le 11/02/2023 à 14:05
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Ne soyez pas si pessimiste il y a actuellement 35 millions de véhicules thermiques en circulation et même en accélérant sur l'elec il en restera toujours 20 millions au minimum à la fin de la décennie dont il faudra bien remplir les réservoirs .

le 12/02/2023 à 17:10
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Vous avez tout à fait raison !!!!!!! Mais on peut ajouter que ce c'est TIPPE qu'il faut dire maintenant. Ce qui fait qu'après le pétrole ils taxeront l'électrique bien sûr!!! Comment se faire de la pub et faite des profits, Ils annoncent qu'ils fe...

à écrit le 11/02/2023 à 11:23
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600 millions de ristournes, 20 milliards de profits. Elle est pas belle la vie?

le 11/02/2023 à 16:13
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Les profits de Total ne se font pas en France, car il n'y a ni pétrole (infime quantité) ni gaz. Donc Total ne vous doit rien, sauf à vouloir être un assisté permanent. Par contre si vous voulez bénéficier des bénéfices de Total, achetez des actions...

à écrit le 11/02/2023 à 9:22
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En france les syndicats ils savent pas y faire et ils ont rien compris au fonctionnement du juju. Ca sert a rien leurs grèves actuellement, ils épuisent leurs troupes c'est tout, lui il s'en fout. Faut déposer des préavis de grève pour les transports...

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