Droits voisins : un Netflix de la presse française serait plus efficace

OPINION. De la même façon que la démocratie donne au peuple le pouvoir de décider de leurs destins, nous Européens, devrions penser à créer notre Netflix de la presse, et pourquoi pas nous, Français, celui de la francophonie. Par Bernard Chaussegros, président de l’Observatoire de la transformation audiovisuelle.
(Crédits : Reuters)

Au moment même où la France s'apprêtait à devenir le tout premier pays à transposer dans sa loi la directive européenne sur le droit d'auteur, l'institut Sapiens publiait une note intitulée « Droits voisins, et maintenant ? ». Elle essayait de montrer que le texte n'était pas la victoire que beaucoup célébraient, mais laissait en réalité de nombreuses questions en suspens. Il était illusoire d'imaginer que les GAFA allaient se plier aisément aux injonctions des Européens et redonner à notre presse moribonde les moyens de profiter enfin équitablement de la manne publicitaire du numérique.

Lire aussi : Les droits voisins, c'est une "question de survie" pour la presse

L'histoire récente nous enseigne typiquement à quel point Alphabet, la maison mère de Google, est passé maître dans l'art de contourner les obstacles européens, à défaut de les repousser. Même les récentes victoires engrangées par la pugnace et très redoutée commissaire européenne Margrethe Vestager doivent être relativisées.

Google a fait appel, ce qui gèle pour l'instant le paiement des amendes. Les mesures provisoires, quant à elles, sont si légères qu'elles ne doivent guère inquiéter. Ainsi, alors qu'il croyait pourtant avoir remporté la victoire décisive, le champion français Qwant a dû très vite déchanter : l'ouverture d'Android à d'autres moteurs de recherches que celui de Google serait certes bientôt possible lors de la première installation d'un smartphone Android par l'usager, mais la possibilité de lui être proposé comme une des 4 alternatives à Google Search ferait l'objet d'enchères au plus offrant. Bref, comme au Poker, il faut payer pour voir et pour jouer.

Quand le piège se referme...

Et c'est précisément là que le piège se referme inexorablement : les GAFA revendiquent, comme la presse le ferait d'ailleurs, le fait qu'ils génèrent de l'audience (ou des usagers, c'est selon), et que cela a donc un prix pour qui veut en profiter, qu'il s'agisse d'annonceurs, ou de développeurs d'applications concurrentes. Quoi de plus libéral au fond ?

Plus de 20 ans avant Google, Microsoft avait déjà montré le chemin en résistant, puis finalement en annihilant, les effets le concernant de décisions européennes en matière d'antitrust.

Aujourd'hui, comment s'étonner encore du fait que dès la promulgation en France de la loi sur les droits d'auteurs votée le 25 Juillet par le Parlement, Google en ait douché les principaux espoirs et même les fondamentaux, d'un communiqué laconique qui fait finalement office de simple changement des conditions générales d'utilisation ?

« Nous n'afficherons plus d'aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l'éditeur a fait des démarches pour nous indiquer que c'est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google »précise le communiqué de presse.

Dit autrement, Google ne compte absolument pas rétribuer les éditeurs de presse, pas plus les Français que les autres d'ailleurs. Au contraire, si un éditeur souhaite désormais voir apparaître plus de contenu que le titre, ce sera en plus à lui de le déterminer, en conscience et par écrit. Et tout ça, sans espérer bien sûr être rétribué...

Les GAFA ? Un trou noir dans une galaxie de contenus

Au contraire, peut-être même qu'un jour, il faudra payer Google en participant pour cela, comme Qwant a dû y renoncer faute de moyens, à des enchères ouvertes pour avoir l'espoir d'être vus sur Google News dont l'ambition affichée, sans mauvais jeu de mot, est de capter l'audience de la presse qui se répartit déjà de plus en plus sur les smartphones dotés de leur système Android sur lesquels nous glanons frénétiquement ci et là un article plutôt que d'acheter un journal ou un magazine, ou de s'y abonner.

Les GAFA seraient finalement comme un trou noir dans une galaxie de contenus. Les trous noirs ont ceci de particulier qu'ils sont tellement denses et puissants, qu'on ne les voit pas, parce qu'ils absorbent tout, même la lumière.

Lire aussi : Sébastien Soriano (Arcep): "Mieux réguler les Gafa permettra de libérer la capacité des autres acteurs à innover"

Si les trous noirs mettent au défi les lois de la physique, les GAFA mettent, quant à eux au défi l'Europe. Un dernier exemple en date concerne le droit à l'oubli numérique cher aux Européens qui va finalement s'appliquer uniquement à l'intérieur de nos frontières.

En effet, la veille du communiqué de presse du ministre de la Culture qui dénonçait le 25 septembre 2019 la réaction de Google après la promulgation de la loi sur les droits d'auteurs et les négociations qu'elle devait permettre de déclencher, la Cour de justice de l'Union européenne tranchait en faveur de l'Américain dans le dossier du droit à l'oubli, estimant que Google n'était pas tenu de l'appliquer en dehors des frontières de l'Union.

Internet, le 4e secteur de l'économie américaine

Cette bataille du pouvoir dépasse donc le seul cadre de la presse, de l'audiovisuel, ou de l'exception culturelle. La numérisation est devenue le poumon de l'économie américaine. Pour s'en convaincre, une étude publiée le 26 septembre par un organisme proche des GAFA a donné quelques chiffres : internet a pesé 2,100 milliards de dollars dans le PIB des États-Unis en 2018. C'est désormais le 4e secteur de l'économie américaine, après l'immobilier, l'État, et juste derrière l'industrie. Ce sont aussi 6 millions d'emplois directs, et 13 millions de plus en indirect, rien qu'aux États-Unis. On comprend mieux dans ce contexte que la taxe GAFA, la loi sur les droits d'auteurs, et finalement tout ce qui pourrait ralentir l'inexorable marche en avant des GAFA, sont autant de freins que le gouvernement américain va chercher à lever en pesant pour cela de tout son poids.

Lire aussi : Taxe Gafa : la France n'a pas gagné grand-chose dans "l'accord" Macron-Trump au G7

De la même façon que la démocratie donne au peuple le pouvoir de décider de leurs destins, nous Européens, devrions penser à créer notre Netflix de la presse, et pourquoi pas nous, Français, celui de la francophonie. La réaction de Google renforce aujourd'hui cette nécessité. Elle ouvre même un autre champ de réflexion, à savoir celui de l'éducation. Il faut apprendre aux plus jeunes à multiplier les sources d'information, mais aussi à les hiérarchiser pour mieux les apprécier, et pas seulement s'en remettre à l'intelligence artificielle que nous promettent les GAFA afin de tout faire et de tout trier pour nous, et finalement arriver à penser à notre place. L'humain doit rester maître de son destin, il doit utiliser la machine et non en être l'esclave.

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Commentaires 14
à écrit le 25/10/2019 à 10:00
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Pensez vous que la Démocratie suivent la courbe de l'enrichissement de certain désireux d'être "plus égaux" que les autres?

à écrit le 24/10/2019 à 19:15
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Mais Google respecte la loi. Puisque rajouter du contenu (extrait, vignette, etc.) à un lien vers un article de presse devient payant, alors Google publie uniquement le lien vers l'article et ne paie RIEN. Où est le problème ? Encore une loi écr...

à écrit le 20/10/2019 à 11:38
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La problématique de l’information mondiale : 1) comment le journaliste reçoit les directives ? 2) comment le journaliste l’interprète ? 3) est ce que les journalistes sont libres d’écrire ce qu’ils veulent comme ils le ressentent ? 4) les journalis...

à écrit le 20/10/2019 à 10:43
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Les GAFA ? Un trou noir dans une galaxie de contenus Je ne sais pas en regardant l'information sur la tnt et le câble, je constate que les pubs sont en même temps comme les sujets. Lorsque l'on fait un débat et que l'invite uniquement des "commen...

à écrit le 20/10/2019 à 10:20
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Une bonne analyse mais la francophonie semble une bien meilleure idée puisque l'europe construite par l'argent pour l'argent n'a plus aucune motivation, volonté, vie, lobotomisée par le court terme, si ce n'est de nous vendre aux capitaux étrangers. ...

à écrit le 19/10/2019 à 19:59
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Je croyais que Netflix, c'était comme Canal Plus sauf qu'ils ne font que proposer leurs propres séries et aident les décérébrés dans leur choix comme Google, qui vous bombarde de pub personnalisées. Le commerce, c'est trouver le besoin à satisfaire ...

à écrit le 19/10/2019 à 15:00
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Le "Netflix de la presse" existe en France. Sur ePresse.fr, nous avons développé la lecture illimitée de la presse depuis Novembre 2017 : plus de 450 journaux et magazines que vous pouvez lire en illimité pour un prix forfaitaire de 9,99€/mois sans ...

à écrit le 19/10/2019 à 14:58
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Le "Netflix de la presse" existe en France. Vous pouvez tester la lecture illimitée sur plus de 450 journaux et magazines en numérique sur @ePressefr. Offre découverte pendant 3 jours sans engagement et sans moyen de paiement requis. https://www.epre...

le 19/10/2019 à 19:41
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Pendant trois jours seulement, ce n'est pas un abonnement illimité pour la suite.

à écrit le 19/10/2019 à 11:48
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La France avait les moyens du temps d'Alcatel de créer des GAFA français, ou impulser leur création en Europe avec nos voisins. J'ai participé à cette avancée technologique. Je constate la nullité des dirigeants Français, atlantistes bornés (et cela ...

à écrit le 19/10/2019 à 11:21
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Excellente initiative ! Les américains nous offrent soit disant un internet gratuit pour mieux contourner nos lois et notre liberté en monétisant nos données personnelles et faire d'énormes profits : ça suffit ! Il est grand temps de développer ce ge...

à écrit le 19/10/2019 à 10:47
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Bonjour, Non C’est 1 mauvaise idée ; Ensemble nous sommes plus forts et nous pouvons apporter plus de créativité à l’humanité, par conséquent le «  mieux » : Est une «  ouverture des capitaux  » des GAFA , inviter des investisseurs Français à part...

à écrit le 19/10/2019 à 10:31
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la presse etait assis sur sa rente, avec distribution par nnpp, dont tout le monde sait ce que ca veut dire.... le numerique a envoye tout ca en l'air, les rentiers sont furieux concernant google, la meme presse cherche un imbecile qui va payer po...

le 19/10/2019 à 11:28
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Et alors ? Des boîtes françaises font des profits, ça vous dérange ? Des boîtes US font des profits encore plus importants et vous trouvez ça normal ? Expliquez nous. Dailymotion, Meetic et toutes les autres cas de succès français rachetés par des b...

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