Ingérence étrangère et élection, de quoi parle-t-on  ?

IDEES. On saura dans les jours qui viennent quels scrutins à travers l'Europe auront subi une influence étrangère. La victoire des extrêmes dans beaucoup de pays, jusqu'ici épargnés, comme la Belgique, ne laisse présager rien de bon. C'est qu'une des tactiques des ingérences étrangères, la Russie en tête, est de pousser ces extrêmes pour rendre le pays ingouvernable. Par Jean-Jacques Quisquater, Université de Louvain et Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles
(Crédits : Reuters)

Ce qui rend complexe la détection d'une interférence étrangère sur les élections, c'est la difficulté à la distinguer, dans le message délivré, de celui démocratiquement diffusé par le débat national. Il peut être de même nature. Finalement, tous les partis, tous les candidats à une élection veulent aussi influencer les électeurs  mais ils ont une légitimité à le faire. Le moyen le plus commun pour détecter une influence étrangère, c'est de suivre les flux financiers qui l'accompagnent, comme le paiement de telle ou telle campagne publicitaire, sur les médias sociaux.  La Commission européenne en a fait l'expérience à ses dépens puisque Facebook a cru bien faire en refusant toute publicité électorale payée à l'étranger. La Commission voulait simplement encourager le vote dans les Etats membres. Plus douteux est la propension de certains partis politiques à faire de l'ingérence étrangère un argument de campagne  dans l'espoir d'avoir l'image de rempart. Ceci dit, pointer le ou les coupables quand il est trop tard, ce n'est pas très utile

C'est sur la résilience qu'il faut jouer, faire en sorte que l'interférence étrangère, si et quand elle se produit, n'ait aucun impact.

Qu'est-ce qu'une interférence ?

On croit qu'une influence étrangère sur une élection n'a comme but que de favoriser la victoire de tel ou tel parti ou candidat . L'interférence peut aussi vouloir décrédibiliser le processus électoral, et par là-même le pays qui en a été victime. Ce processus prend plusieurs formes. On peut diminuer la confiance du public dans le processus électoral. Des attaques informatiques contre l'infrastructure, des rumeurs de fraude dans des bureaux de votes sont autant d'initiatives qui donneront un sentiment d'à quoi bon chez les citoyens. Après, on peut dissuader les citoyens d'aller voter, en répandant de fausses informations sur l'endroit, le moment et comment voter. L'intimidation et la violence en sont les manifestations les plus extrêmes. Il y a ensuite l'interférence avec le débat électoral lui-même, y injecter des opinions et des positions qui ne feraient pas leur entrée sinon. C'est là que le digital joue son (mauvais) rôle puisqu'il rend tout tellement facile, depuis les cyberattaques contre les partis politiques, la publication d'information fausses ou manipulées, des publicités ciblées envers une audience vulnérable, des pages Facebook où on ose prendre des positions extrémistes puisque d'autres, souvent des trolls, ont ouvert le bal.

Les stratagèmes utilisés prennent de multiples formes : il y a le blanchiment d'information ou de fausses informations. Dans le premier cas, moins connu mais bien réel, il s'agit de décrédibiliser des informations vraies, en les faisant passer par des sites douteux en langue étrangère, des forums intermédiaires pour qu'elles soient reprises ensuite au niveau local complètement déformées. C'est jouer sur les émotions, une technique utilisée par les activistes en mettant en avant des soi-disant injustices envers certains groupes sociaux auxquels les électeurs s'identifieront s'ils n'en font pas déjà partie. Il y a la technique d'inondation : créer une confusion extrême avec trop d'information souvent contradictoire et, enfin, la polarisation : soutenir des positions extrêmes dans le débat électoral, peu importe lequel pour avoir un résultat aux élections qui bloquera ensuite la vie politique. L'Italie qui a vu un gouvernement formé de populistes de gauche et de droite l'illustre bien.

Comment protéger une élection ?

Ne pas en parler, négliger le risque d'interférence jusqu'au moment où elle a eu lieu est la pire des stratégies. C'est celle qui est suivie aujourd'hui, avec un certain fatalisme. Les interférences électorales doivent faire partie du débat public. Il y a l'éducation, l'entrainement à reconnaitre une ingérence, en faire même un jeu dans une tradition de gamification. Il faut inclure dans cette détection bien plus que le gouvernement dont on dira toujours qu'il a un parti pris : journalistes, réseaux de citoyens, académiques, organisations non gouvernementales étrangères qui n'ont aucun intérêt partisan dans l'élection du pays sont autant de leviers neutres. On peut nommer un défenseur des élections comme il y a un défenseur des droits, une personnalité morale au-dessus de tout soupçon qu'on écoutera. Il faut surtout s'y prendre bien avant les élections, pas à la dernière minute ce qui donne un vague sentiment de complot. Les pays doivent coopérer entre eux. On sait, en Europe, que c'est la Russie qui est derrière toutes les ingérences : réagir de manière dispersée contre un ennemi commun qui a un seul objectif est inefficace. Il y a bien des réseaux internationaux de cyberalertes. Pourquoi pas l'équivalent pour les élections ? Il ne faut pas faire confiance aux outils d'AI qui sont inefficaces pour des langues étrangères peu parlées...

Ce qui change aujourd'hui comparé à il y a 100 ans c'est la manière dont les processus cognitifs ont évolué face à la manière disruptive et non linéaire dont l'information est distillée aux citoyens. L'étendue des facteurs qui peuvent influencer les votes des électeurs va au-delà du simple programme des partis politiques, du charisme de leurs leaders ou des médias traditionnels qui les transmettent. On ne connait pas assez ces nouveaux modes de propagande dont on n'identifie que les vecteurs en les chargeant de tous les maux (les réseaux sociaux). On connait encore moins l'efficacité des mesures prises par les réseaux sociaux pour les combattre. On espère que cela va plus loin que simplement fermer des comptes d'utilisateurs non réels, comme Facebook l'a annoncé fièrement. On verra si le code de bonne pratique mis en place par la commission et les géants d'Internet aura permis d'éviter des ingérences dans les élections.

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Pour en savoir plus:

PROTECTING ELECTIONS: A STRATEGIC COMMUNICATIONS APPROACH,  NATO Strategic Communications Centre of Excellence

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Commentaires 4
à écrit le 01/06/2019 à 20:47
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L’ingérence étrangère n’existe pas car ces actions sont bloquées par les services de renseignement de chaque pays ...sauf si ces services sont d’accord sur une «  stratégie commune internationale en cours « .

à écrit le 31/05/2019 à 11:23
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Les ONGs, des leviers neutres (?), plus une personnalité morale au-dessus de tout soupçon, sans compter l'accusation contre la Russie (quelles preuves?), rien que ces mentions font douter!

à écrit le 31/05/2019 à 10:23
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On voudrait une ingérence populaire, avec le R.I.C. ,sur une chose qui nous appartient et que l'on appelle la "Démocratie"!

à écrit le 31/05/2019 à 9:52
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Article complotiste, incroyable la dérive journalistique actuelle, et c'est vous qui êtes tacitement désignés pour juger des fakes news sans rire ? Les russes ne viennent pas voter à notre place les gars, calmez vous vous faites peine à voir là. ...

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